Le plan France 2030, qui sera présenté le 12 octobre, comprend le financement de mini-réacteurs SMR, des petites installations pour lesquelles les Français ont pris du retard face Etats-Unis, à la Chine et la Russie
Petit réacteur, grande promesse ? Outre l’hydrogène vert, les batteries électriques et autres « secteurs d’avenir », le futur plan d’investissements de l’Etat doit aussi miser sur des mini-centrales nucléaires SMR, pour small modular reactors (« petits réacteurs modulaires »). Le plan France 2030, dont les détails seront annoncés le 12 octobre, se chiffrera en milliards d’euros.
En décembre 2020, en déplacement au Creusot (Saône-et-Loire), le président, Emmanuel Macron, avait affiché sa volonté d’« [engager] la France dans la compétition mondiale sur les SMR ». Celle, aussi, de « rapidement rattraper le retard » pris dans ce domaine sur d’autres pays. En tête de liste : les Etats-Unis, la Chine, mais aussi la Russie, qui a déjà installé un dispositif sur une barge de l’Extrême-Orient.
Côté français, la mise en service d’une première centrale SMR est prévue avant… 2035. Dans le cadre du premier plan de relance, il y a un an, l’Etat avait déjà débloqué une somme pour ce projet Nuward, ou plutôt cet avant-projet sommaire : 50 millions d’euros. EDF coordonne le dossier avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Naval Group et TechnicAtome.
Le cumul de deux réacteurs permettra, le cas échéant, une puissance de 340 mégawatts. Soit presque cinq fois moins que le réacteur de troisième génération, dit EPR, censé être opérationnel pour 2023, à Flamanville (Manche), après des années de retard et de surcoût. Toutefois, autant l’électricien français compte sur les réacteurs de très grande puissance pour renouveler dès que possible le parc nucléaire existant dans le pays, autant il entrevoit surtout les petits réacteurs comme un produit de vente à l’étranger. « La singularité, c’est que le projet SMR est dès le début adressé à l’international », reconnaît Renaud Crassous, directeur du projet pour EDF. Avec un « objectif premier » : « proposer à l’export un produit standardisé ». « Ce qui est important, c’est d’arriver quand le marché émerge. » Or celui-ci devrait surtout se développer à partir de la décennie 2030.
« Les SMR et les EPR n’ont pas du tout la même temporalité, ni la même raison d’être, rappelle Valérie Faudon, directrice générale de la Société française d’énergie nucléaire. Le SMR est un réacteur de petite taille, c’est pour cela qu’il n’est pas du tout adapté au renouvellement du parc français, où nous avons plutôt besoin de grosses unités sur très peu de sites. »
Construits en usine
C’est à l’étranger, en revanche, que ces mini-centrales disposeraient de leur potentiel maximal. En particulier pour remplacer le charbon, qui reste le plus polluant des combustibles, car le plus émetteur de dioxyde de carbone, à l’inverse du nucléaire. Ces installations promettent aussi d’autres usages que la production d’électricité. Par exemple, la génération de chaleur pour des chauffages urbains – la Chine a déjà démarré un test grandeur nature –, la fabrication d’hydrogène, ou encore le dessalement de l’eau de mer. Elles pourraient s’installer dans des contrées jusque-là dépourvues d’installations. Isolément, il s’agirait d’alimenter certaines villes sans recourir à un vaste réseau électrique.
Le projet Nuward, qui mobilise quelque 200 personnes, avait fait l’objet d’un accord de préfaisabilité dès 2012. Il n’a été dévoilé, pourtant, qu’en 2019. « Aux Etats-Unis, certains projets sont présentés à la façon d’une start-up. En France, nous fonctionnons différemment, explique Jean-Michel Ruggieri, responsable du programme au CEA. Nous n’avons pas la même approche de recherche des financements. Nous hésitons à en parler tant que nous avons l’impression que ce n’est pas assez solide techniquement. »
Les difficultés rencontrées sur l’imposant chantier de Flamanville n’ont pas dû aider non plus à hâter le dossier des petits réacteurs. « Les industriels qui contribuent à la fabrication des EPR peuvent aussi participer à celle de SMR car ce sont des technologies complémentaires », avance Cécile Arbouille, déléguée générale du Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.Les concepteurs mettent en avant l’intérêt de modèles plus petits, y compris du point de vue de la sécurité. Puisqu’il y aura « moins de chaleur résiduelle à évacuer, explique M. Crassous, le refroidissement du réacteur à l’arrêt pourra se faire de façon autonome, sans intervention humaine. »
Pour répondre à la standardisation internationale, « l’un des enjeux consistera à harmoniser les certifications de sécurité, ce qui ne va pas de soi, ajoute Michel Berthélemy, économiste à l’Agence pour l’énergie nucléaire, rattachée à l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques. Dans le cadre de la régulation de la sûreté du nucléaire, et à la différence de l’aéronautique par exemple, l’échelle est plutôt nationale jusqu’à présent ».
Autre particularité : à la différence des grosses unités, ces petits réacteurs sont destinés à être construits en usine, plutôt que çà et là, sur tel ou tel site d’implantation. « La production en série représentera un élément-clé », selon Aline des Cloizeaux, chef de projet pour Naval Group.Elle « permettra un gain de temps, et un contrôle encore plus facile de la qualité de réalisation ».
Plus de cinquante concepts de SMR sont déjà en cours de développement à travers le monde, à des degrés divers de technologie et de maturité. Mais il n’y a pas lieu de s’emballer, insistent les syndicats. « Il nous manque encore un démonstrateur pour faire la preuve du passage à l’échelle industrielle de cette technologie », tempère Alexandre Grillat, secrétaire national de la CFE-CGC Energies.
Attention aussi à conserver « une maîtrise publique » adaptée aux enjeux français, selon Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération CGT des mines et de l’énergie : d’abord assurer l’installation d’EPR dans le pays, ensuite songer à vendre ailleurs des SMR. « Pourquoi pas ensuite aller à l’étranger pour les besoins d’autres pays, mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. » L’attelage se précisera en principe le 12 octobre.
Adrien Pécout