« Il va falloir replanter et rebâtir. Nous allons très vite lancer les travaux (…) mobilisant les professionnels de la forêt, l’ONF, les forestiers mais aussi les bénévoles. » Ainsi s’est exprimé Emmanuel Macron, en déplacement le 20 juillet en Gironde où près de 21 000 hectares ont été ravagés dans les incendies géants de la Teste-de-Buch, au pied de la dune du Pilat (7 000 ha) et de Landiras (13 600 ha), près de Langon.

Après l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, le choix présidentiel avait été celui d’une reconstruction strictement à l’identique, y compris la charpente en bois pourtant invisible. Certainement pas la meilleure option technique et économique. Quant à l’intégrité historique et patrimoniale, qui chagrine la charpente en béton de la cathédrale de Reims reconstruite après la guerre ?

L’immense et monotone forêt des landes de Gascogne n’a rien d’une cathédrale environnementale, loin s’en faut, mais le même réflexe conservateur est à l’œuvre. Bien sûr, pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise, « il faut qu’on rebâtisse, qu’on ressème, mais avec des règles différentes », a considéré le Président.

Parce que 95 % des départs de feux sont d’origine humaine, on révisera (peut-être) les règles d’urbanisme sur la distance entre constructions et plantations. On fera enfin respecter (peut-être) les obligations légales de débroussaillement1, aujourd’hui largement ignorées par les particuliers.

Outre la prévention, on se dotera (peut-être) de moyens à la hauteur de lutte contre les feux de forêts. On replantera des variétés d’arbres (peut-être) plus résistantes au climat qui change. Mais pour l’essentiel, la réponse immédiate à ce sinistre, c’est un « grand chantier national » de replantation. Comme si cela allait de soi.

Chantier incertain

Or, cela ne va pas de soi. Replanter 20 000 hectares de pins – deux fois la superficie de Paris intra-muros – est une opération qui prendra plusieurs années, compte tenu de l’ampleur de la tâche et des capacités des propriétaires et des entreprises forestières.

Imaginons que ce chantier soit achevé en 2030. Une fois plantés, ces arbres, a priori des résineux, n’arriveront pas à maturité avant une quarantaine d’années. Attendre 2070 donc, pour pouvoir les abattre et les vendre.

A condition bien entendu qu’ils survivent au manque d’eau chronique, à des successions de pics de chaleur chroniques et aux attaques d’insectes et maladies d’autant plus redoutables que les arbres seront fragilisés par un stress climatique croissant.

Aussi bien du point de vue économique qu’environnemental, il serait plus judicieux de convertir une bonne partie de ces surfaces incendiées en champs solaires, qui peuvent fournir à brève échéance de l’électricité décarbonée à des coûts très compétitifs. Certes, la production forestière évite des émissions de CO2 quand on remplace le ciment et l’acier par du bois de construction et du fioul par du bois de chauffage. Mais cette production ne sera pas disponible avant des décennies.

Or, c’est maintenant qu’il faut réduire très fortement nos émissions de CO2 (une baisse d’environ 36 % entre 2021 et 2030), ce qui passe par une accélération de la production d’électricité décarbonée et de son usage dans les transports, le chauffage, l’industrie.

Les économies d’énergie et les changements de comportements n’y suffiront pas, surtout à court terme. Et le nouveau nucléaire sur lequel on compte tant ne pourra pas représenter un apport significatif avant 2040.

Sur le plan économique, couvrir un hectare de panneaux solaires est un investissement bien plus rentable et bien plus sûr que de planter un hectare de forêt qui ne rapportera rien pendant plus d’un demi-siècle.

Sur le plan écologique, cela ne détériore pas les sols, mais permet au contraire leur régénération puisqu’ils sont en jachère, voire pâturés par des animaux. Et il y a franchement assez de place pour loger quelques milliers d’hectares de panneaux solaires dans la forêt des landes de Gascogne, qui s’étend sur près d’un million d’hectares.

D’autant que la France n’est pas menacée de déforestation. Sa couverture forestière a progressé d’un million d’hectares au cours de la dernière décennie sur le territoire métropolitain. Et en moyenne, la production biologique annuelle de bois (la croissance des arbres sur pied) est deux fois plus élevée que les prélèvements de bois en forêt.

La forêt française n’est pas en recul

Un programme ambitieux de développement de projets solaires – et éoliens – sur une partie des surfaces incendiées en Gironde dans le cadre d’un programme de restauration aurait, au-delà du bénéfice en termes climatique et de sécurité énergétique, de multiples avantages.

Pour les propriétaires forestiers – privés pour l’essentiel –, cela leur apporterait des revenus qui les aideraient à financer les travaux de replantation. Il est au passage peu justifié que de l’argent public serve à la replantation de parcelles privées, en principe couvertes par des assurances. En l’état, ce « grand chantier national » annoncé par Emmanuel Macron n’a pas beaucoup de légitimité.

Un projet mixte pour l’après-sinistre – replantation forestière et implantation de capacités électriques renouvelables – apporterait également des recettes publiques. D’une part pour les collectivités locales, au titre des redevances payées par des installations de production d’énergie. D’autre part pour l’Etat, dans la mesure où le prix de marché de l’électricité dépasse le prix contracté avec les producteurs renouvelables au terme de procédures d’appels d’offres. Dans cette situation, que l’on connaît aujourd’hui et qui s’annonce durable, les producteurs d’électricité renouvelable doivent reverser la différence à la puissance publique.

Les recettes publiques ainsi dégagées pourraient permettre d’aider à développer l’activité et les emplois de la filière bois locale. Ces investissements dans les énergies renouvelables pourraient également bénéficier aux habitants de la région, qui pourraient y placer leur épargne, avec un rendement bien plus intéressant qu’une assurance-vie, un argument qui compte par ces temps d’inflation.

Bref, il serait temps de se guérir du syndrome Notre-Dame. Si le conservatisme économique et technique avait été la règle, la forêt des landes de Gascogne n’aurait jamais été plantée. C’est une œuvre parfaitement artificielle, développée à marche forcée sous le Second Empire pour assécher et valoriser une immense plaine inondable, et qui a fourni à la France au siècle suivant l’un des matériaux de sa croissance à l’âge des fossiles, entre autres des poteaux pour les mines de charbon.

Pourquoi ne pas diversifier – somme toute très à la marge – cet espace artificiel et le faire participer à la nécessaire accélération de la sortie des fossiles, vrai « grand chantier national » de ce début du XXIe siècle ? Entre Napoléon III et Macron II, qui est le plus conservateur ?https://assets.poool.fr/paywall-frame.html

Antoine de Ravignan

Replanter la forêt en Gironde : le syndrome Notre-Dame