A un mois de la fin du débat public sur une éventuelle relance du programme nucléaire, avec la construction de six réacteurs nucléaires, la Commission nationale du débat public, par la voix de sa présidente Chantal Jouanno (photo), reproche au gouvernement et au Sénat, sans les citer, de « considérer comme sans intérêt » le processus dont elle a la charge.
La charge est « feutrée » dans la forme, mais « lourde » sur le fond, observe l’avocat spécialiste en droit de l’environnement Arnaud Gossement. « A ma connaissance, poursuit-il, c’est la première fois qu’une AAI se plaint publiquement de faire l’objet d’un mauvais traitement. »
Dans un communiqué du 18 janvier 2023, la CNDP reproche au gouvernement et au Sénat, sans les citer, d’ignorer et, même, de mépriser le processus en cours visant à solliciter l’avis du public sur la mise en œuvre d’un programme de six réacteurs nucléaires EPR2, les deux premiers à Penly (Seine-Maritime). Le texte est cosigné de sa présidente, Chantal Jouanno, et du président de la commission particulière affectée à ce projet d’EDF, Michel Badré.
Un débat balayé
Leur critique vise l’adoption par les sénateurs d’un amendement supprimant à la fois le plafond de 63,2 GW de capacité installée et l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire d’ici à 2035 inscrits dans la loi de transition énergétique d’août 2015 – l’horizon, initialement fixé à 2025, avait été reporté sous le précédent quinquennat. Un nouveau dispositif auquel le gouvernement ne s’est pas opposé, tout en affichant, pour la forme, la volonté d’une rédaction moins offensive… ce que les parlementaires ont d’ailleurs rejeté.
Ces évolutions sont, non seulement, sans objet avec le projet de loi initial, « relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes », mais elles reviennent « à considérer comme sans intérêt pour définir la stratégie énergétique les interrogations, les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours », dénonce la CNDP. Autrement formulé, vous faites comme si nous n’existions pas…
« Violer la Constitution, ce n’est pas rien »
« On a ainsi une AAI qui explique que le Parlement et le gouvernement sont sur le point de violer la Constitution, ce n’est pas rien », commente Arnaud Gossement. « La CNDP en appelle en effet au principe de participation du public inscrit à l’article 7 de la charte de l’environnement de 2004, à valeur constitutionnelle, qui implique qu’il puisse le faire lorsque le choix est ouvert et non quand la décision est déjà prise », explicite-t-il, en se référant alors à la Convention d’Aarhus, que la France a ratifiée.
« La participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence », peut-on y lire. « La CNDP émet une critique extrêmement grave, ce n’est pas juste ‘‘vous avez oublié de mettre le sel sur la table’’ », image-t-il.
Une affaire de calendrier
En réalité, l’accusation faite à l’exécutif de ne pas prendre au sérieux le débat public engagé en octobre 2022 remonte à sa genèse même. Huit mois plus tôt, en février, à Belfort, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, n’avait-il pas annoncé la relance du programme nucléaire, avec le lancement de nouveaux réacteurs et le prolongement de la durée de vie de ceux existants…
« Cela ne me choque pas qu’un responsable politique affiche une volonté », avait assuré Michel Badré à « La Gazette », au démarrage du débat… en rappelant toutefois que la décision reviendrait au Parlement au second semestre 2023, à travers la loi de programmation énergie-climat, qui sera suivie d’une PPE.
Oubli (délibéré)
Le 17 janvier, devant les sénateurs, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, s’est défendue de « préempter » un débat en cours. Un élément de langage récurrent à chaque fois qu’un membre du gouvernement ou de son entourage est interpellé à ce sujet. Les mêmes rappellent à chaque fois aussi la « concertation nationale sur le mix énergétique » menée en ligne par l’exécutif, qui s’est achevée le 18 janvier et a donné lieu à quelque 31 355 contributions.
Mais ils oublient généralement de mentionner le débat public mené sous l’égide de la CNDP. Ce dernier a commencé le 27 octobre, à Paris et à Dieppe (Seine-Maritime), par une réunion publique sur le thème « A quoi sert ce débat ».
Avec pour objectif de rassurer ceux pour qui il était « pipé, les jeux étant faits d’avance », comme on pouvait l’entendre ici et là. « Si le projet de loi en cours d’examen sur l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations est in fine adopté en l’état par le Parlement, avec la suppression du plafond et de l’objectif de réduction de la part du nucléaire, il sera démontré que ce débat public n’aura servi à rien », se désole Arnaud Gossement. « Et ce serait grave, car cela affaiblirait la démocratie environnementale », conclut-il. La première étape est son vote mardi 24 janvier par le Sénat. Avant son examen par l’Assemblée nationale.