Comment penser l’aménagement des rues des grandes villes autrement, en redonnant une place à chacun, y compris à la nature, et en sortant de la monopolisation de l’espace par la voiture ? C’est le sujet du guide méthodologique « La rue commune », présenté le 29 mars dernier.
« Nous travaillons sur la métropolisation des villes depuis longtemps, mais un sujet trottait dans notre tête depuis longtemps : dans les grands aménagements que nous fabriquons, il existe des espaces élémentaires sur lesquels nous n’avons pas agi : les rues. Elles sont un espace ultra- fonctionnel, constant, approprié par la voiture. C’est aujourd’hui le moment de réinterroger ses fonctions, son statut », résume Vincent Cottet, urbaniste associé dans l’agence Richez associés.
L’agence Richez associés a travaillé avec l’équipe de l’urbaniste Franck Boutté, et Léonard, la plateforme de prospective du groupe Vinci, à l’élaboration d’un « guide méthodologique pour la transformation des rues ordinaires ». Un travail mené en réponse à un appel à commun lancé par l’Ademe en 2020, pour soutenir l’émergence de communs autour de la résilience des territoires. Une vingtaine de projets ont été soutenus, dont celui de la Rue commune. L’idée était de travailler dans une approche coopérative, avec des remontées de terrain, et de produire un travail qui soit ensuite en open source, disponible pour tous. Une consultation citoyenne a ainsi été lancée sur le sujet, qui a suscité plus de 25 000 réponses.
La fin du monopole de la voiture
Résultat, un manifeste élaboré dans l’après-covid, période qui a montré qu’une fois les voitures supprimées, de multiples usages de la rue étaient possibles. Destiné notamment aux élus locaux et aux agents territoriaux, il invite à repenser la rue post voiture, la rue post carbone.
« Le vrai levier pour l’adaptation des villes se joue dans le vide, l’espace public, donc la rue prend un sens nouveau. De plus, l’adaptation au changement climatique se joue au niveau local, de façon engageante pour les citoyens », juge Franck Boutté. Trois enjeux sont visés : opérer la transition vers les mobilités décarbonées, libérer le sol pour répondre aux enjeux écologiques, et transformer les usages de la rue pour améliorer le bien-être en ville.
Les urbanistes ont d’abord déterminé ce que ne peut pas être une « rue commune », sachant que la voiture n’y prendra plus la place prépondérante qu’elle occupe aujourd’hui. Ainsi, seules les rues secondaires, n’accueillant pas d’axes de circulation majeurs, mais à proximité de transports en commun, pourront être concernées, et, détail de taille, il faut que la collectivité ait les moyens d’intervenir sur cet espace public. Le guide propose une méthode pour déterminer les rues éligibles. Les auteurs ont fait une simulation sur plusieurs métropoles : ainsi, sur la métropole bordelaise, 1575 kilomètres de voies sont éligibles, soit 24% des voies, à Lille, c’est 18% des voies, et à Lyon, 29%, soit 1502 kilomètres de voies.
Des fonctions multiples
Ils ont ensuite fixé cinq grands principes généraux devant guider l’aménagement de ces rues : donner la priorité aux piétons, organiser un espace commun flexible et évolutif, amplifier la biodiversité, accueillir et valoriser les eaux pluviales dans un cycle naturel, et rafraîchir la ville dans une approche bioclimatique des espaces publics.
Le guide repose sur quelques invariants, comme le fait de supprimer les trottoirs, et donc de mettre tous les usagers au même niveau, de limiter la vitesse de circulation des véhicules à 5 ou 10 kilomètres heures, d’interdire les stationnements de voiture, de rendre les surfaces perméables pour réactiver le cycle de l’eau. Ensuite, chaque rue aura sa singularité, sa spécificité : les auteurs ne croient pas à un modèle unique, mais à une diversité de rues construites avec les usagers et les habitants.
« L’idée est de commencer à expérimenter les possibles sur de petits bouts de rues, puis petit à petit de construire un réseau de rues communes, d’infuser sur toute la ville », explique Vincent Cottet. Le guide comprend une boîte à outils détaillée pour mettre en place un plan d’action sur toutes les facettes de la rue – sol, sous-sol, façades,… « Plutôt que de mettre des moyens dans la maintenance des rues, pourquoi ne pas désormais les mettre dans leur transformation progressive vers une Rue commune »? conclut Franck Boutté.