Face au péril climatique, aux crises économiques et sociales, aux menaces terroristes ou aux pandémies, le professeur de géographie urbaine et d’urbanisme Guy Burgel s’inquiète du réveil d’un vieux fond d’hostilité à la métropolisation. Son dernier ouvrage, «Sauver la planète ville», a pour ambition de s’attaquer aux idées reçues apparues depuis le Covid.
La ville connaît une crise profonde, voire inédite, dans la perception qu’on en a. Face au péril climatique, aux crises économiques et sociales, aux menaces terroristes ou aux pandémies, auxquels s’ajoute la guerre en Europe que l’on croyait révolue, le professeur de géographie urbaine et d’urbanisme Guy Burgel s’inquiète du réveil d’un vieux fond d’hostilité à la métropolisation. « Cette conjonction de crises, dont la crise sanitaire a été le point d’orgue, fait que l’on ne croit plus au progrès alors que c’était une grande idée des Trente Glorieuses. Et on ne pense plus que le politique peut les résoudre », déplore le géographe.
En citadin convaincu et engagé, Guy Burgel prend le contre-pied de ce rejet des villes. Il publie un véritable pamphlet, « Sauver la planète ville » (Archicity, 2022), contre les sceptiques et leurs discours qu’il juge « urbanophobes », des « Métropoles barbares » de Guillaume Faburel à « L’impasse de la métropolisation » de Pierre Vermeren. « La ville est le réceptacle de cette conjonction de défiances alors qu’historiquement, elle a toujours été associée au progrès », analyse-t-il.
Son ouvrage a donc tout aussi bien pour ambition de s’attaquer aux idées reçues apparues depuis le Covid, comme l’exode urbain ou la stigmatisation de la densité urbaine, que de proposer un plaidoyer pour redonner du sens à l’urbain. L’occasion pour l’auteur de défendre son concept, forgé en 2008, d’une véritable « altermétropolisation » permettant de conserver les aspects positifs des métropoles en matière d’innovation, de culture et de services, tout en tentant de les corriger de leurs aspects inégalitaires.
Quelles sont les idées reçues contre la ville que vous dénoncez ?
J’observe que le domaine de l’anecdote a remplacé la mesure des faits. Or, les discours « urbanophobes » ne s’embarrassent pas, en général, d’analyses des faits très sophistiquées, encore moins de leurs mesures. Parmi les exemples que j’ai repérés, je conteste l’idée que la densité, donc l’urbanisation elle-même, soit l’une des causes principales de la diffusion rapide du Covid-19. Quand on fait une analyse très précise des faits, on découvre que la surmortalité due au Covid au cours du premier semestre 2020, c’est-à-dire à l’acmé de l’épidémie, n’est pas atteinte dans les villes denses, notamment internationales à forte potentialité de relations, comme Paris, mais en banlieue.
De même, il ne faut pas céder à cette idée d’exode urbain. Tout le monde ne quitte pas les grandes villes, même si Paris a connu, au cours des dernières décennies, une perte de population. Beaucoup de gens qui en partent s’installent plutôt dans la grande métropole parisienne ou dans d’autres métropoles de province, et non en télétravail à la campagne. A la lumière des exemples lyonnais et parisien, il paraît même certain que le fameux exode urbain concerne, au moins en France, plus encore que les grandes métropoles, les villes petites et moyennes, où les distances et les temps de transport sont plus courts. Les arbitrages des ménages pourraient être plus rationnels que les calculs des idéologues. Ce serait une bonne nouvelle car l’étalement urbain est le meilleur allié du réchauffement climatique. Au lieu d’examiner une réalité et de la mesurer, on construit des mythes. C’est propre, selon moi, aux périodes de crises et de manque de confiance.
Voulez-vous dire que la métropolisation, qui est très critiquée, n’a pas de défaut ?
Elle a beaucoup de défauts. Elle sécrète l’inégalité et la différenciation, mais il faut voir les profits que la collectivité en tire. La métropolisation a permis des innovations en termes culturels et de découverte. La rapidité avec laquelle les vaccins ont été mis au point pendant la crise sanitaire a été possible parce qu’il y avait une pluralité de contacts humains, scientifiques et d’échanges, qui ont rendu l’innovation possible. Il ne s’agit pas que d’un gain de productivité économique.
Cela dit, il est vrai que, d’un autre côté, on a une augmentation des inégalités spatiales à l’intérieur des métropoles. Entre les quartiers bourgeois et gentrifiés, certaines populations profitent davantage de cette création de richesses culturelles et économiques. Mais on espère un ruissellement vers les catégories les moins favorisées, c’est un pari. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : sur le long terme, la métropolisation a été positive et bénéfique pour le plus grand nombre.
Vous défendez l’« altermétropolisation ». En quoi ce concept consiste-t-il ?
Il a été formé sur le même principe que l’altermondialisation. Il ne s’agit pas d’une « antimétropolisation », mais d’une autre forme de métropolisation. On a de plus en plus une ville à trois formes : des quartiers plutôt centraux gentrifiés, d’autres plutôt populaires qui sont paupérisés, et une périurbanisation large. Cette situation est catastrophique car la ville est dissociée. Autrement dit, la lutte des classes ne se fait plus du tout dans la même ville. Cette configuration est également désastreuse pour l’environnement car elle génère des mobilités, forcément automobiles, et donc des gaz à effet de serre. ce découpage est aussi mortifère du point de vue de la cohésion de la société. Je pense donc qu’il faut revenir à des formes beaucoup plus resserrées de villes. En termes économiques, il faut absolument repasser à des formes plus intégrées d’activité entre l’industriel et le tertiaire, surtout au moment où l’on parle tant de réindustrialisation. Et que l’école redevienne intégrative, ce qu’elle n’est plus.
Quelles sont les solutions pour sortir de la crise profonde que connaît la ville ?
D’abord, il faut dissiper certaines illusions : ni tomber dans une qui soit technocratique, en pensant que l’on va résoudre l’échec d’intégration des villes par beaucoup d’intelligence artificielle et une horizontalité créative, ni dans celle de la zone à défendre, qui rejette l’ensemble du système économique et urbain par engagement idéologique et mode de vie. Ces tentatives s’apparentent plus à des soins palliatifs sur des territoires limités qu’à des solutions curatives à grande échelle. Le véritable pari est politique. Il faut réinvestir le politique, qui est dévalorisé. Je prêche pour des approches visionnaires qui proposent aux citoyens une conception de la société et de la ville différentes.
Nous souffrons d’un déficit démocratique. Si l’on veut faire dialoguer la démocratie participative des citoyens et représentative des élus, une nouvelle carte administrative et politique de la France est nécessaire. Il y a deux France : une des métropoles et une qui est « sous-métropolisée », que l’on ne peut pas gérer de la même façon.
Il convient aussi de renouveler les mobilités. L’idée que la ville puisse être immobile est un contresens. Dans les zones périurbaines, des moyens alternatifs à l’automobile sont à trouver. Et on doit être inventif sur la fabrique de la ville, avec le zéro artificialisation nette, et la recycler. On a besoin de formes urbaines pour répondre aux désirs de nos concitoyens, tout en ayant un habitat plus regroupé.