« Des solutions permettant d’accélérer radicalement la transition » : c’est ce que recherche le gouvernement, a indiqué la Première ministre Élisabeth Borne au sortir du séminaire gouvernemental de rentrée. Son équipe, a-t-elle souligné, est « à l’image du dépassement voulu par le Président de la République : déterminée à sortir des sentiers battus et des solutions toutes faites, pour être utile aux Français. » Chiche ?
Les monnaies locales sont de nouveaux outils de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Ancrées sur les territoires, elles relocalisent concrètement les échanges et développent les circuits courts de proximité. Ces moyens de paiement, strictement garantis par un montant équivalent d’euros mis en réserve, sont utilisables uniquement sur un territoire donné, et c’est ainsi qu’elles renforcent les échanges entre acteurs locaux : consommateurs, commerces de proximité, TPE et PME locales, associations, paysans, etc.
Une efficacité démontrée
L’efficacité des monnaies locales a été démontrée par la récente étude d’utilité sociale « Monnaies locales, monnaies d’intérêt général » publiée en 2021 par le Mouvement SOL, la fédération française des monnaies locales, et elles font donc partie aujourd’hui des solutions concrètes dont se saisissent les Français pour agir, au quotidien, en faveur de la transition et de l’emploi local. On dénombre ainsi près de 80 monnaies locales dans l’Hexagone, et parmi elles la plus importante d’Europe, l’Eusko, qui affiche plus de trois millions d’eusko en circulation.
Des dizaines de mairies, communautés de communes, métropoles, départements, régions, soutiennent ces monnaies conçues comme des communs, gérées démocratiquement et sans but lucratif, et adhèrent à ces circuits d’échanges locaux dont elles ont saisi tout le potentiel. Mais elles sont entravées dans cette dynamique par un cadre légal et réglementaire trop contraignant qui n’a plus lieu d’être à l’heure où il faut « sortir des sentiers battus » pour agir.
Ces collectivités territoriales souhaitent en effet utiliser ces monnaies locales en paiement des dépenses publiques car les chercheurs impliqués dans l’étude du Mouvement SOL ont démontré qu’un paiement en monnaie locale génère a minima 25 % de revenus supplémentaires pour le territoire qu’un paiement en euros ! Autant d’argent qui va bénéficier aux commerces de proximité et entreprises du territoire, donc à l’emploi local, au pouvoir d’achat, à la consolidation des filières locales, et à la sauvegarde des cœurs de ville. Ceci tout en favorisant la transition écologique, puisque ce sont des circuits courts locaux qui se développent.
Que fait l’État ?
Les monnaies locales ont été reconnues par la loi sur l’Économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, à la demande du gouvernement, qui les a fait inscrire au Code monétaire et financier. Il en a donc fait des moyens de paiement utilisables par toutes les collectivités territoriales. Une première en Europe, la France montrant encore une fois son sens de l’innovation dans le domaine de l’ESS. Mais pourquoi l’État s’est-il arrêté en si bon chemin ?
En effet, huit ans après, les paiements en monnaies locales par les collectivités adhérentes restent relativement faibles. Certes, la Ville de Bayonne a mis en place un dispositif (repris par d’autres collectivités comme le Grand Angoulême ou encore les villes de Nantes, Lyon, etc.) permettant que ses créanciers soient réglés pour partie, s’ils le souhaitent, en monnaie locale, mais avec une telle lourdeur organisationnelle, y compris pour le Trésor localement, que nulle part en France les paiements en monnaie locale par les collectivités ne se développent significativement.
La solution serait simple : il suffirait d’autoriser les collectivités, sous le contrôle du Trésor public, à ouvrir des comptes sécurisés en monnaie locale, manipulés uniquement par le Trésor, et pouvant servir tant pour les encaissements (piscine municipale, cantine scolaire…) que pour les paiements (salaires des agents, factures des entreprises, subventions aux associations…). Mais pour des raisons techniques et réglementaires que l’urgence climatique et sociale nous imposent de requestionner, c’est aujourd’hui impossible.
Quel levier extraordinaire représenterait pourtant la possibilité pour les collectivités d’injecter sur le territoire des millions d’euros en monnaie locale qui iraient exclusivement irriguer l’économie locale et développer les circuits courts ! On pourrait ainsi expérimenter dans un premier temps l’usage des monnaies locales dans des politiques locales favorisant l’accessibilité alimentaire, ou encore expérimenter un coup de pouce au RSA versé en monnaie locale. Cela assurerait que cet argent public profite à coup sûr aux entreprises du territoire, cela accroîtrait les rentrées fiscales locales, et bénéficierait au pouvoir d’achat car une économie locale plus forte est par nature plus créatrice d’emplois et généreuse en salaires.
Le Mouvement SOL a travaillé avec des juristes pour formuler des propositions d’évolutions juridiques permettant de lever ces freins à l’usage des monnaies locales par les collectivités. Nous souhaitons que l’État écoute et prenne toute sa part sur ce sujet aux côtés des territoires et de la société civile, pour apporter de nouvelles solutions concrètes et efficaces aux défis climatiques, économiques et sociaux de notre époque !
Il est donc indispensable que le gouvernement intègre à sa feuille de route l’ouverture d’un dialogue avec les monnaies locales et les collectivités engagées pour soutenir leur développement et leur usage par les collectivités territoriales. Ne serait-ce pas une initiative à intégrer dans son grand projet de planification écologique, pour que la transition écologique soit aussi sociale et solidaire, participative et ancrée dans les territoires ?