REPORTERRE : La réduction du temps de travail est une revendication de longue date des écologistes. Elle induit plus de temps pour s’occuper de soi et des autres, et nous pousse à nous interroger : de quoi avons-nous réellement besoin ?
• Une enquête diffusée en partenariat avec l’émission La Terre au carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter.
Une semaine « en » quatre jours, oui. Travailler moins ? Certainement pas. « Je suis contre la réduction du temps de travail », a bien précisé le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de son intervention sur TF1 mercredi 27 mars. Il commentait l’expérimentation de la semaine en quatre jours dans la fonction publique, annoncée par le gouvernement. Il s’agit d’une compression du temps de travail et non pas d’une réduction. L’heure n’est pas à la victoire pour les partisans de semaines plus allégées, comme les syndicats CGT et Solidaires, qui plaident pour les 32 heures depuis des années. Cette expérimentation est tout de même l’occasion de rouvrir les débats sur le temps de travail salarié. Est-ce que l’augmentation du temps libre est une condition pour mieux préserver la planète ?
La réduction du temps de travail — aussi appelée « RTT » — est « avant tout une revendication portée par le mouvement ouvrier », rappelle l’historien Willy Gianinazzi. Mais « les pionniers de l’écologie politique en France », comme le philosophe André Gorz et l’agronome et homme politique René Dumont, l’ont aussi préconisée dès les années 1970. « Gorz a défendu la réduction du temps de travail dans une optique de décroissance », dit Willy Gianinazzi. Travailler moins pourrait, selon Gorz, permettre d’avoir plus de temps à consacrer à des activités non marchandes, en harmonie avec la nature.
Le temps retrouvé
La réduction du temps de travail est depuis toujours une revendication des écologistes en France. « À l’époque de la réforme des 35 heures [au début des années 2000], les Verts prônaient déjà la semaine de 32 heures », souligne Willy Gianinazzi. Et les Écologistes continuent de la réclamer aujourd’hui. La députée écolo Sandrine Rousseau revendique même un « droit à la paresse ». Une référence au célèbre ouvrage du même nom de l’essayiste Paul Lafargue, publié en 1880. « La vie ne se résume pas au travail », expliquait encore l’élue récemment sur LCI.
Dans Paresse pour tous (Le Tripode, 2021) et La Vie est à nous (Le Tripode, 2023) l’écrivain sous pseudonyme Hadrien Klent décrit une France dans laquelle on ne travaille plus que trois heures par jour. « La paresse, ce n’est ni la flemme, ni la mollesse, ni la dépression. La paresse, c’est tout autre chose : c’est se construire sa propre vie, son propre rythme, son rapport au temps – ne plus le subir. La paresse au XXIe siècle, c’est avoir du temps pour s’occuper de soi, des autres, de la planète », écrit-il.
Du temps libre pour s’occuper de la planète, c’est, par exemple, prendre le temps de réparer plutôt que d’acheter du neuf, cuisiner ou fabriquer ses produits d’entretien, participer à des initiatives de type Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), prendre le vélo ou le train plutôt que la voiture, etc.
« La paresse, c’est avoir du temps pour s’occuper de soi, des autres, de la planète »
En tout cas, des études montrent que les usages du temps dégagé par un troisième jour libre dans la semaine « sont davantage des usages de sobriété que des usages de consommation », explique le sociologue Jean-Yves Boulin, spécialiste du travail et de l’emploi, interrogé par Ouest France. « Les gens vont prendre le temps d’être en famille, de jardiner, de cuisiner… En cela, ce n’est pas quelque chose qui va dans le sens d’une augmentation de la consommation carbonée. »
À l’inverse, les longues journées de travail seraient synonymes de plus de dégradations environnementales. Selon une étude des économistes Francois-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, les personnes travaillant beaucoup et ayant un salaire élevé consomment plus de biens et d’énergie. La corrélation entre le nombre d’heures de travail et la consommation est notamment significative concernant les dépenses dans le logement, les hôtels et restaurants et les transports, des secteurs particulièrement polluants.
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Les personnes qui travaillent beaucoup prennent moins les transports en commun. Elles mangent plus souvent à l’extérieur et plus souvent des produits congelés ou tout préparés. Elles font des activités plus axées sur la consommation, qui marquent une position dans la société tout en demandant peu de temps.
Travailler moins et produire moins
Aujourd’hui, 10 000 salariés en France travaillent quatre jours par semaine — le plus souvent à 35 heures. « L’écologie n’est pas l’aspect le plus mis en avant par les employeurs et les salariés », précise Pauline Grimaud, sociologue postdoctorante au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET-Cnam), qui étudie actuellement les entreprises qui ont mis en place la semaine de quatre jours. Leurs motivations premières affichées sont « l’articulation des temps sociaux, le bien-être et la productivité », explique-t-elle. « Cela permet de garder les salariés. »
Mais surtout, les entreprises qui accompagnent la semaine de quatre jours d’une baisse du temps de travail sont d’ailleurs « marginales », selon Pauline Grimaud. La plus connue est la société d’informatique LDLC, passée à la semaine de 32 heures, sous l’impulsion de son médiatique patron, Laurent de la Clergerie. Dans un entretien à Sud-Ouest, ce dernier se réjouit d’avoir des salariés « qui travaillent plus efficacement tout en étant beaucoup moins stressés ». Dans un reportage de France Culture sur un site de LDLC près de Nantes, Antony raconte que son jour libéré lui permet d’avoir plus de temps pour ses travaux et pour passer du temps avec son fils.
Plus de productivité, ce n’est pas en tout cas pas ce que réclament les défenseurs de la réduction du temps de travail version écolo. Au contraire, elle doit être l’occasion de questionner la finalité du travail. « Il faut s’interroger sur le pourquoi du travail. Qu’est-ce qu’on produit ? Pourquoi ? Pour qui ? », observe l’économiste Jean-Marie Harribey, ardent défenseur de la RTT depuis plusieurs décennies. « Le capitalisme mondial épuise la nature. Il faut affecter les capacités humaines à autre chose que produire toujours davantage », dit-il. « Il faut sortir du cercle vicieux travail-production-consommation, de plus en plus dévastateur pour la planète », avance de son côté le philosophe Arnaud François, auteur de l’ouvrage Le travail et la vie (Hermann, 2022). Autant pour préserver le vivant que pour réduire la souffrance sociale, Arnaud François estime qu’il faut « s’interroger sur ce qui fait véritablement besoin au niveau mondial » et « ne produire et travailler qu’en conséquence ».
De quoi avons-nous besoin ?
Reste à se mettre d’accord sur ce qui fait vraiment « besoin ». Le débat est à peine amorcé. Et se mettre d’accord, aussi, sur la manière de financer la réduction du temps de travail. Sur ce point, les propositions diffèrent. « Il faudrait, en même temps, réduire les inégalités de revenus à l’avantage des plus pauvres. Et pour éviter un trop gros effet rebond, c’est-à-dire une augmentation de la consommation, il faut ponctionner les hauts salaires pour améliorer les services publics », estime Jean-Marie Harribey. Dans Paresse pour tous (Le Tripode, 2021), le fictif « candidat de la paresse » à l’élection présidentielle Émilien Long estime qu’il est « économiquement viable d’avoir des journées de travail de trois heures de travail », si on taxe les heures supplémentaires, les revenus du capital et les multinationales du numérique, et en limitant les écarts de salaire dans un ratio de 1 à 4.
Dans Travailler moins, travailler autrement ou ne pas travailler du tout (Rivages, 2021), le théoricien de la décroissance Serge Latouche écrit, lui, que, pour être efficace, la RTT devrait « être massive » et, bien sûr, accompagnée de tous les autres changements impliqués par la décroissance. Il imagine une phase de transition, « en attendant de pouvoir abolir l’économie », dans laquelle le protectionnisme et l’inflation ne seraient plus « tabous », pour sortir des logiques néolibérales.
La question de la réduction du temps de travail ne peut être pensée sans étudier le mot travail sous toutes ses acceptions. Car le travail n’est pas que salarié ou soumis à rétribution financière. « On entend souvent dire que dans une société soutenable, on consommerait moins et donc on travaillerait moins », assurait dans Reporterre le philosophe Aurélien Berlan. Pourtant, « si l’on consommait moins d’énergies (notamment fossiles), il y aurait un plus fort besoin de recourir au travail physique, et donc à l’énergie musculaire, dans nos activités de tous les jours — qu’il s’agisse de se déplacer, de construire une maison ou de fabriquer des outils. Plutôt que d’un droit à la paresse, il faut se préparer à mettre la main à la pâte si on veut parler sérieusement de sobriété. »
Aurélien Berlan prône la « reprise en main de nos conditions de vie en tâchant de pourvoir nous-mêmes à nos besoins », dans la lignée des féministes de la subsistance. Mais il faudra veiller, pourrions-nous ajouter, à ce que ces tâches soient partagées. Le travail domestique, ou plus largement le travail du soin, est aujourd’hui largement assuré par les femmes et les personnes racisées ou immigrées — gratuitement ou à moindre coût. Pour reprendre les termes de la sociologue écoféministe Geneviève Pruvost, il faut lutter contre « une longue invisibilisation qui va du travail de subsistance, au contact premier des matières, jusqu’au travail domestique dans nos cuisines ».