La mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable accuse du retard. Dans son dernier rapport, le secrétaire général de l’organisation, António Guterres, relève que « les crises mondiales, multiples et corrélées, auxquelles nous faisons face – pandémie de Covid-19, crise climatique et répercussions des conflits en Ukraine et ailleurs – compromettent la viabilité même de la réalisation des objectifs de développement durable d’ici à 2030 ». L’inflation, l’augmentation des inégalités et les crises alimentaires, énergétiques et financières en sont les principales conséquences.
Alors que le dernier rapport du Giec préconise une action immédiate pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025 afin de limiter le réchauffement climatique et conserver un monde « vivable », la ministre du Travail et de l’Economie sociale espagnole, Yolanda Díaz, est à l’initiative d’un projet de résolution des Nations unies visant à promouvoir l’économie sociale et solidaire (ESS) pour le développement durable.
Le processus y conduisant a été enclenché le 22 juillet lors d’un « événement parallèle » au siège de l’ONU à New York. Il s’appuie sur la résolution et les conclusions de la 110e session de la Conférence internationale du Travail qui reconnaît « la contribution de l’économie sociale et solidaire au travail décent ».
L’ESS concourt ainsi au 8e des 17 objectifs de développement durable (ODD) grâce aux solutions qu’elle apporte en matière de créations d’emplois, de réduction des inégalités, de protection sociale, de réponse aux besoins sociaux, ou encore de résilience face aux crises et d’accompagnement des transitions (transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, transition numérique, transition écologique)1.
Mobilisation mondiale
La manifestation de l’ONU du 22 juillet a permis de rassembler, autour de l’Espagne, un premier groupe de pays souhaitant porter le projet de résolution. Des ministres de la République dominicaine, du Sénégal ou encore de la Slovénie y ont participé, tandis que notre nouvelle secrétaire d’Etat à l’ESS, Marlène Schiappa, a exprimé son soutien dans une vidéo, allant jusqu’à évoquer un « momentum pour l’économie sociale et solidaire ».
Le soutien de la France à ce projet de résolution en faveur de l’ESS peut interpeller dans le contexte de l’affaire des « Uber Files » qui a révélé le rôle joué par Emmanuel Macron dans l’ubérisation de l’économie.
Mais, il faut aussi rappeler que la France a depuis longtemps pris des initiatives pour une reconnaissance onusienne de l’ESS. Dès 2013, François Hollande avait créé un groupe pilote international pour échanger des bonnes pratiques entre une dizaine d’Etats membres, les agences de l’ONU, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des réseaux de la société civile, avant que la formule ne soit renouvelée en 2019 avec l’alliance mondiale Pact for impact.
C’est de cette époque que date la création de la Task force inter-agences des Nations unies sur l’ESS, qui regroupe 18 agences de l’ONU ainsi qu’une quinzaine de membres observateurs pour accroître la visibilité de l’ESS sur la scène internationale. Ses travaux sur la contribution de l’ESS aux ODD sont à l’origine du projet de résolution, dont s’est saisi le gouvernement de Pedro Sánchez, qui assurera au premier semestre 2023 la présidence de l’Union européenne.
Les planètes s’alignent, car de son côté, la Commission européenne a déjà annoncé la mise en œuvre d’un ambitieuxplan d’action. Pour Yolanda Díaz : « Il y a des alternatives, il y a de l’espoir : aucune économie ne devrait être autre chose que sociale ! (…) La voie sur laquelle nous nous engageons aujourd’hui est décisive. »
Le président du Conseil économique et social de l’ONU, le Botswanais Collen Vixen Kelapile a ajouté que « l’ESS est un modèle économique alternatif qui peut jouer un rôle décisif dans la réalisation de l’Agenda 2030 ». La résolution permettrait d’intégrer l’ESS aux feuilles de route des agences de l’ONU en lien avec les 17 ODD et de renforcer et diffuser les politiques publiques qui lui sont consacrées dans les pays membres.
Un travail politique pour changer l’économie
Il importe cependant qu’elle soit adoptée à l’unanimité, conformément à la pratique du consensus au sein de l’ONU. Une résolution de l’Assemblée générale n’ayant pas de valeur contraignante, le processus compte plus que le résultat.
C’est un levier pour sensibiliser à l’ESS et accompagner les pays. Si l’Espagne vise la session de septembre prochain, plusieurs pays du Sud l’invitent à la reporter en 2023 pour favoriser ce travail politique.
Sans doute serait-il opportun que la résolution soit portée par un tandem Nord-Sud. Elle devra également bien s’articuler à une résolution déjà existante sur le rôle des coopératives dans le développement social, adoptée en 2017 à l’initiative de la Mongolie.
Les acteurs de l’ESS présents le 22 juillet ont apporté leur appui, à l’instar de la Coalition internationale de l’ESS, représentée par l’Alliance coopérative internationale, ou du Réseau intercontinental de l’ESS (RIPESS).
Le maire de Bordeaux, l’écologiste Pierre Hurmic, devenu fin 2021 président du Global Social Economy Forum, qui rassemble plus de 80 gouvernements locaux et réseaux de la société civile, a clairement pointé l’enjeu. Se référant aux violents incendies qui viennent de ravager la Gironde et en établissant leur lien avec le réchauffement climatique, il a déclaré à la tribune :
« Notre maison brûle et nous devons impérativement cesser de regarder ailleurs. (…) Il nous faut bifurquer, changer de trajectoire, conduire la transformation écologique et sociale de notre économie. (…) L’ESS doit devenir la norme qui régulera l’économie de demain. »
A l’ère post-Covid, l’ESS ouvre une voie pour décoloniser notre imaginaire et changer l’économie. Comme le disait Paul Eluard : « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. »https://assets.poool.fr/paywall-frame.html
Timothée Duverger