Les élèves de master 1 de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles travaillent sur les liens ville-campagne.
Les élèves de master 1 de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles travaillent sur les liens ville-campagne. CÉCILE PELTIER

Ces sept établissements, qui forment des professionnels de la conception des espaces extérieurs, sont de plus en plus en prise avec les enjeux de la transition écologique.

Ce vendredi matin, la trentaine d’étudiants de l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSP),bottes en caoutchouc aux pieds, papotent devant les locaux historiques de l’école. Derrière eux, le potager du roi étale ses formes géométriques. L’ambiance est à la rigolade : malgré le mauvais temps, ils sont impatients à l’idée de la séance « d’arpentage » du jour, qui vient clore cette semaine d’atelier. Dans cette année de cours en grande partie à distance, chaque jour de terrain est précieux pour ces amoureux de grand air.

Anciennes mais peu connues, les sept écoles du paysage françaises accueillent au total quelque 600 élèves. Parmi elles, quatre préparent au diplôme d’Etat de paysagiste (DEP), qui confère le grade de master (bac + 5) : l’ENSP, située à Versailles (Yvelines) et Marseille, les Ecoles nationales supérieures d’architecture et du paysage de Lille et de Bordeaux, et l’Ecole de la nature et du paysage de Blois (Loir-et-Cher).

La formation démarre par un cycle de deux ans, accessible après le bac via Parcoursup (dossier et entretien). La majorité des étudiants intègrent ensuite, sur dossier, le cycle DEP, en trois ans, jusqu’au master 2. Il est également possible d’intégrer ces écoles à bac + 2 par un concours commun, dont les épreuves viennent d’être remaniées. Soixante-six places sont proposées cette année – pour un taux de réussite avoisinant les 30 %. Un système d’admissions sur dossier permet également à une trentaine d’étudiants d’entrer directement en master.

Un recrutement diversifié

Les trois autres écoles de paysage sont plus scientifiques. Accessible sur concours à bac ou bac + 3, la formation d’Agrocampus Ouest (Angers), en cinq ans, débouche sur un diplôme « d’ingénieur du paysage ». Tout comme celle de l’Itiape, à Lille : cet établissement privé, rattaché à l’ISA-Lille, forme en trois ans après un bac + 2 des ingénieurs du paysage par la voie de l’alternance. A Paris, l’Ecole supérieure d’architecture des jardins (ESAJ), privée également (comptez 8 250 euros l’année), est axée sur l’étude du vivant. Elle délivre en trois ans après le bac un bachelor d’assistant paysagiste, et en cinq ans un mastère paysagiste.

Entre la sensibilité plus forte de la jeunesse au réchauffement climatique et l’intérêt renouvelé, en ces temps de pandémie, pour le cadre de vie, la filière « a le vent en poupe », veut croire Michel Audouy, secrétaire général de la Fédération française du paysage. « Si, pour l’instant, le nombre de candidats est relativement stable », remarque-t-il, les écoles ont en revanche « diversifié leur recrutement », avec des jeunes qui viennent de licences de géographie ou d’environnement, d’écoles d’architecture, d’horticulture, mais aussi des arts appliqués.

La concurrence est rude et, les premières années au moins, les jeunes paysagistes doivent composer avec une forme de précarité

A la sortie, aussi, les débouchés ont évolué : à côté du traditionnel poste en bureau d’étude ou en collectivité, de plus en plus de diplômés se mettent à leur compte ou intègrent des collectifs pluridisciplinaires, avec une prédilection pour les projets artistiques ou la médiation territoriale. Sur le terrain, les professionnels notent un regain d’intérêt des collectivités pour la végétalisation des espaces et la participation citoyenne, mais les moyens ne suivent pas toujours. Résultat, la concurrence est rude et, les premières années au moins, les jeunes paysagistes doivent composer avec une forme de précarité.

Entre ville et campagne

La formation, elle aussi, évolue, pour répondre à de nouvelles problématiques des villes. Ainsi à l’ENSP, les étudiants de master travaillent, par exemple, sur la continuité du paysage « rural-urbain » en limite de métropole. Pour explorer cette notion, les enseignants se sont focalisés sur le sud-ouest de Paris. Autrefois rural, le secteur est un bon moyen de « sensibiliser les étudiants aux méfaits de l’étalement urbain et de les inciter à imaginer de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement », décrypte Bruno Tanant, paysagiste et responsable du département projets de l’école.

Après avoir rencontré ces trois derniers jours des acteurs du territoire, les étudiants, répartis en deux groupes, vont quadriller la zone en voiture et à pied, en quête d’une compréhension plus globale. Le groupe, piloté par Bruno Tanant, réalise une boucle entre la forêt de Rambouillet et le parc de la vallée de Chevreuse.« Regardez par la fenêtre, soyez attentifs aux interstices, à la manière dont on passe d’une ville à l’autre. Prenez des notes, faites des photos, des vidéos, dessinez ! », recommande aux étudiants la paysagiste Manon Anne.

Le véhicule s’engage sur la nationale 10 en direction du Sud-Ouest : Montigny-le-Bretonneux, Trappes, Elancourt, La Verrière… A travers la fenêtre du minibus, le paysage qui défile est une succession de zones d’activités couvertes de panneaux publicitaires, de quartiers pavillonnaires et d’infrastructures routières. A partir de Coignières, le périurbain laisse, presque sans transition, place aux champs cultivésArmés de leur GPS, les élèves suivent le trajet avec attention, et cherchent la présence d’eau, de faune et de flore, l’habitat, les axes routiers. Bref, ces coutures et ces frictions entre ville et campagne.

Botanique et écosystèmes

Les deux vans font un premier arrêt au Perray-en-Yvelines : « Une commune pavillonnaire emblématique de la périphérie, avec les questions d’éloignement qu’on a vu dans une certaine mesure émerger avec la crise des gilets jaunes », analyse Bruno Tanant.Les étudiants dessinent, prennent des notes sous forme de croquis. L’ENSP pousse ses étudiants à développer une approche personnelle de la représentation de l’espace. « On a des cours d’arts plastiques, et au fil de la scolarité, on apprend à diversifier nos techniques », précise Nicolas, un étudiant.

Plus tard, les minibus font halte à Dourdan (Essonne). Avec son coquet centre historique et son château fort du XIIIe siècle, c’est une autre facettedu territoire, poursuit Bruno Tanant, qui invite les étudiants à s’inspirer de la résilience de ces petites villes. De retour en voiture, la conversation roule maintenant sur les essences d’arbres qui bordent la route. Beaucoup d’étudiants, issus de précédentes formations en architecture, urbanisme ou en design, sont venus chercher à l’école du paysage de Versailles des connaissances en botanique, une compréhension des écosystèmes. Une dimension centrale dans la conception d’espaces qui s’adaptent.

Revenus à l’école, tous se retrouvent à l’atelier. Sur le sol, les professeurs ont étalé une carte IGN. La semaine prochaine, les élèves vont utiliser les données collectées pour proposer une cartographie thématique du site, et construire une maquette qui les suivra pendant les deux mois et demi de l’atelier. Sur ces bases, chaque élève va ensuite proposer un projet permettant d’améliorer un aspect du fonctionnement du territoire, dans une démarche de durabilité. Comme agrandir la forêt de Rambouillet, suggère Bruno Tanant. « Il faudra alors décider sur quel lieu on replante, quels types d’arbres, quel travail on met en place en matière de paysage, comment on le traduit en termes d’urbanisme, d’écologie…, explique le professeur.Beaucoup sont encore frileux, moi je leur dis : c’est à vous de faire la révolution ! »

Méconnues, les écoles du paysage sensibilisent les étudiants à un urbanisme durable