Un rapport publié ce 6 avril par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail met en lumière l’importance de la pollution du milieu naturel par les pesticides et leurs résidus. Ces substances qui ont été peu surveillées à ce jour apparaissent lors de campagnes d’analyse. Et leur présence avérée dans l’eau potable pose le problème de la politique de l’eau actuelle.  

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié ce jeudi 6 avril une étude qui présente les résultats d’une enquête sur la présence de pesticides et de leurs métabolites (1) dans l’eau potable, ainsi que des résidus d’explosifs. Les résultats sont alarmants.

C’est en 2019 que l’Anses a décidé de lancer cette campagne d’analyse, en concertation avec les ARS et la Direction générale de la santé (DGS), pour traquer la présence de trois classes de polluants dans l’eau potable et dans l’eau brute utilisée pour la produire :

  • 157 pesticides et métabolites de pesticides
  • 54 résidus d’explosifs,
  • un solvant : le 1,4-dioxane.

La campagne a permis de collecter plus de 136 000 résultats. Les prélèvements d’eaux brutes et traitées ont été réalisés sur tout le territoire français, y compris dans les territoires d’outre-mer. L’objectif était d’analyser des points de captage d’eau représentant environ 20 % de l’eau distribuée.

Chlorothalonil : ennemi public N°1

Résultat : 89 de ces pesticides et métabolites ont été détectés « au moins une fois dans les eaux brutes et 77 fois dans les eaux traitées ». Parmi les 7 composés « émergents » ayant conduit à des dépassements de la limite de qualité de 0,1 µg/litre (selon la réglementation), un cas en particulier se dégage : le métabolite du chlorothalonil R471811. C’est le composé le plus fréquemment retrouvé, « dans plus d’un prélèvement sur deux », note l’Anses. Et il conduit « à des dépassements de la limite de qualité dans plus d’un prélèvement sur trois ».

Pour rappel, le chlorothalonil est un fongicide commercialisé par Syngenta, utilisé depuis 1970 et interdit en France depuis 2020. « Ces résultats attestent qu’en fonction de leurs propriétés, certains métabolites de pesticides peuvent rester présents dans l’environnement plusieurs années après l’interdiction de la substance active dont ils sont issus », note le rapport.

C’est en apprenant la présence importante de ce métabolite de pesticide dans les eaux de consommation en Suisse que l’Anses a décidé de l’intégrer dans sa campagne d’analyse. « Un autre métabolite du chlorothalonil a été retrouvé avec une concentration supérieure à la limite de qualité de 0,1 µg/litre dans environ 3 % des échantillons », ajoute l’agence.

Pour rappel, dès lors qu’un métabolite est considéré comme pertinent, il peut être intégré dans les campagnes de mesures réalisées par les ARS, avec une limite de qualité à respecter de 0,1 µg/litre.

Ce métabolite est présent dans plus de la moitié eaux destinées à la potabilisation et en concentration supérieure aux limites de qualité (0,1μg/l) dans plus d’un tiers. Cela en ferait aujourd’hui la cause majoritaire de non-conformité réglementaire de l’eau potable en France. (communiqué de la FNCCR)

Les autres substances investiguées

En toute logique, d’autres micropolluants ont été retrouvés, et notamment le métolachlore ESA (lire notre enquête), qui a été évalué comme non pertinent par l’Anses en 2022 mais qui a été quantifié dans plus de la moitié des échantillons, sachant que « moins de 2% d’entre eux dépassent la valeur de gestion de 0,9 µg/litre définie pour les métabolites non pertinents ».

Concernant les résidus d’explosifs (issus de sites d’armement datant de la première guerre mondiale ou à proximité d’activités industrielles d’armement), ils ont été retrouvés dans moins de 10 % des échantillons d’eaux traitées. Le 1,4-dioxane (solvant) a quant à lui été quantifié dans 8 % des échantillons.

Quelles conséquences pour les collectivités ?

Il existe des traitements qui peuvent être intégrés dans les usines de production d’eau potable pour se débarrasser de ces substances : traitement sur charbon actif, filtration membranaire par nanofiltration ou par osmose inverse. Mais ils entrainent un coût important en investissement ainsi qu’en exploitation (l’énergie pour la filtration membranaire, la régénération du charbon actif). Cela aura donc un impact important sur le prix de l’eau.

Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), l’installation de ces traitements à l’échelle nationale entrainerait « une dépense supplémentaire de plusieurs milliards d’euros», l’effort financier étant d’autant plus difficile à supporter pour une petite collectivité. Reste aussi, pour les autorités sanitaires, à mieux identifier les impacts sur la santé humaine de ces micropolluants.

Dans un communiqué publié le 7 avril, la FNCCR préconise plutôt « une remédiation du problème à la source par une préservation des ressources en eau et la responsabilisation des producteurs des pesticides mis sur le marché ». Une logique qui est en ligne avec celle des agences de l’eau : « cela coûte nettement moins cher d’agir sur la préservation de la ressource, que sur le traitement de l’eau potable. D’autant que le charbon actif se sature plus vite avec les métabolites qu’avec les autres molécules », nous explique un expert en eau potable de l’une des 6 agences de l’eau.

Une limite a cette logique, qui consiste à agir en amont : « les actions de préservation ne donnent pas des résultats immédiats car les métabolites demeurent présents durant plusieurs années, voire des décennies », explique la FNCCR, alors que « la législation prévoit que les services publics d’eau potable disposent de maximum six ans pour abaisser la concentration de ces polluants sous le seuil de conformité ».

Pour financer des actions de remédiation, la FNCCR appelle a mettre à contribution le fabricant du pesticide. Même logique du côté de l’association Amorce qui milite depuis plusieurs années pour la création d’une  filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) sur ces polluants – en s’inspirant du dispositif existant dans le secteur des déchets.

Pourquoi les collectivités et donc les consommateurs devraient-ils payer le prix des erreurs des autres ? En outre, le remplacement de molécules chimiques par de nouvelles s’avérant à terme tout aussi problématiques nous mènent à l’impasse. (Hervé Paul, vice-président de la FNCCR)

Ce rapport vient mettre en lumière les carences de la politique actuelle du gouvernement, et de sa volonté de ne pas interdire des pesticides dont on retrouve pourtant la présence (de la molécule mère ou de ses métabolites) dans le milieu naturel ainsi que dans l’eau potable. Ainsi, le même jour où Emmanuel Macron présentait le nouveau « plan eau » (lire notre article), son ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire annonçait sa décision de revenir sur l’interdiction d’un des pesticides incriminés par le rapport de l’Anses, le S-metolachlore.

Focus

Le ministère ne compte pas changer de logique

Suite à la sortie du rapport de l’Anses, le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) a finalement réagi le 7 avril. Notant que la campagne exploratoire de l’Anses avait mis en évidence des concentrations maximales de 2µg/L, le MTECT a tenu à rappeler que « les eaux prélevées et analysées sont non conformes mais ne présentent pas de risque sanitaire », en rappelant que « la valeur sanitaire transitoire permettant de prévenir d’un risque sanitaire est de 3µg/L ».

Il explique cependant que le ministère de la Santé va rester « particulièrement vigilant sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine et mettre en place, sous la conduite des ARS, des mesures plus régulières, à partir de 2023, du Chlorothalonil et de ses métabolites, en lien avec la montée en compétences des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux pour rendre des résultats fiables ».

Pour améliorer la qualité de l’eau, le ministère appelle à « intensifier les mesures de protection des zones de captage, de les adapter et les différencier en fonction des spécificités territoriales », en amenant les filières agricoles « à réduire substantiellement l’utilisation des produits phytosanitaires », à travers des « pratiques agricoles alternatives, économiquement soutenables ». Mais il maintient sa stratégie qui consiste à ne pas vouloir laisser les agriculteurs « dans des impasses techniques et économiques, à l’instar des situations récentes du S-métolachlore ou des néonicotinoïdes », invoquant la souveraineté agricole et alimentaire.

Nouvelles menaces sur l’eau potable