Tribuen de Jean TODT dans Le Monde
Environ 1,4 million de personnes dans le monde sont tuées chaque année dans des accidents de la route. La conduite à 30 km/h dans les zones peuplées doit aider à réduire cette mortalité, plaide, dans une tribune au « Monde », Jean Todt, président de la Fédération internationale de l’automobile et ancien dirigeant de Ferrari, à l’occasion de la 6e Semaine mondiale de la sécurité routière.
Ayant grandi en rêvant de devenir pilote de course, et ayant commencé ma carrière comme copilote de rallye dans les années 1960, j’ai bien connu l’esprit fataliste qui régnait alors au sein de la communauté des coureurs automobiles. Chaque année, les courses entraînaient la disparition d’un ou plusieurs de mes héros avec comme point d’orgue, en 1968, la mort de Jim Clark, le plus grand pilote de son époque. Malgré le choc qu’elles représentaient, ces tragédies semblaient cependant inévitables.
Combien nous nous trompions alors ! En effet, après des décennies d’études scientifiques et d’innovations en matière de sécurité, les décès et les blessures graves dus à des accidents sont devenus l’exception et non plus la règle dans le sport automobile.Lire la tribune : « Les politiques opposés aux 80 km/h jugent acceptable que davantage de personnes soient tuées sur la route »
À l’occasion de la 6e Semaine mondiale de la sécurité routière des Nations unies, qui se tient du 17 au 23 mai, et de la 2e Décennie d’action pour la sécurité routière, qui court de 2021 à 2030, je suis au regret de dire que, malgré les nombreuses améliorations apportées à la sécurité routière mondiale sur nos routes au cours de la dernière décennie, nous éprouvons encore trop souvent ce sentiment de fatalité à l’égard des accidents de la route et des décès, comme c’était le cas pour les coureurs dans ma jeunesse.
Pour inverser la tendance de la mortalité
Mais je reste optimiste et je pense qu’au cours des dix prochaines années, grâce aux efforts concertés des gouvernements et des citoyens du monde entier, nous pourrons prendre des mesures décisives pour inverser cette tendance.
Tout d’abord, un point sur la situation actuelle. À une époque où nous avons l’habitude de voir les statistiques quotidiennes des décès dus au Covid-19– et les mesures gouvernementales mondiales qui les accompagnent pour les réduire –, les chiffres des accidents de la route devraient nous choquer : chaque jour, 3 500 personnes sont tuées et des milliers d’autres gravement blessées sur les routes du monde, ce qui en fait la première cause de décès des jeunes âgés de 5 à 29 ans ; chaque année, environ 1,4 million de conducteurs, passagers, cyclistes et piétons sont tués, et près de 50 millions de personnes sont gravement blessées.
C’est l’équivalent du crash quotidien de sept avions de ligne. Toutes les 24 secondes, une personne est tuée dans un accident de la route. Bien sûr, avoir conscience du problème ne suffit pas, comme c’était le cas pour les pilotes dans les années 1950 et 1960. Il est urgent d’agir et que des mesures politiques, technologiques et culturelles soient prises afin de réduire ces chiffres.
Changer de comportement en réduisant la vitesse
C’est là que réside l’importance de cette semaine de célébration et de promotion de la sécurité routière, ainsi que la 2e Décennie mondiale de la sécurité routière. Le message est le suivant : si chaque citoyen change son comportement et que chaque gouvernement prend des mesures – comme nous le faisons face à la pandémie de Covid-19 – des millions de vies seront sauvées.
Ce plan pour la sécurité routière dans la prochaine décennie va de pair avec les Objectifs des Nations Unies pour le développement durable pour 2030. La 6e Semaine mondiale de la sécurité routière demande aux citoyens de se mobiliser pour respecter l’une des mesures les plus efficaces pour sauver des vies : en effet, sous la bannière #Love30, nous encourageons à réduire la vitesse autorisée à 30 kilomètres/heure dans les zones où les véhicules et les usagers de la route les plus vulnérables se côtoient de manière fréquente.
Cette simple mesure permettrait une réduction immédiate d’un grand nombre d’accidents mortels impliquant des piétons, des enfants, des personnes âgées, des cyclistes et des personnes handicapées.
Réduire la vitesse contribue à améliorer l’environnement
La déclaration de Stockholm 2020, adoptée par les gouvernements du monde entier en février de l’année dernière, reconnaît les bénéfices de la conduite à 30 km/h ou moins dans ces zones peuplées. Selon des études de la Commission européenne, à une vitesse de collision de 45 km/h, les chances de survie des piétons sont inférieures à 50 %. Alors qu’à une vitesse de collision de 30 km/h, les chances de survie sont de 90 %.
Et à une époque où les gouvernements et les citoyens soutiennent de plus en plus des causes essentielles telles que la protection de l’environnement, et luttent contre les ravages économiques de la pandémie de Covid-19, ces réductions de vitesse sont une autre façon de contribuer à cet effort. En effet, à l’échelle mondiale, ces tragédies humaines sur la route coûtent en outre 3 à 5 % du PIB. La réduction de la vitesse contribue également à améliorer l’environnement.
Et en parcourant le monde au cours de la première décennie de notre campagne de sécurité routière, une évidence s’est imposée à moi, et les statistiques la confirment : l’abaissement des limites de vitesse autorisée n’est qu’une des mesures à prendre. L’un des plus grands défis consiste en effet à aider les pays en voie de développement à révolutionner leurs infrastructures et leur approche de la sécurité routière.
Promouvoir une véritable culture de la sécurité
Pour cela, bien sûr, ces pays ont besoin d’argent consacré exclusivement à cette cause. C’est pourquoi, Il y a trois ans, j’ai contribué à la création du Fonds des Nations unies pour la sécurité routière, destiné à mobiliser des fonds pour fournir les outils du changement. C’est un début, mais outre le financement, il existe de nombreuses autres formes d’aide que chacun peut apporter. A ce sujet, j’invite les lecteurs à consulter le site UNroadsafetyweek.org.
Après cinquante-cinq ans de carrière au plus haut niveau de la course automobile, et après avoir vu mourir beaucoup trop d’amis, collègues, et icônes du sport automobile, je mesure aussi le chemin parcouru pour sauver des vies. Lors du premier tour du Grand Prix de Bahreïn en novembre 2020, Romain Grosjean a perdu le contrôle de sa formule 1 qui roulait à 241 km/h et a heurté la barrière de sécurité à 192 km/h. Il y a quelques années seulement – sans parler des courses de ma jeunesse – il n’aurait pas survécu à l’impact ni à l’incendie qui en a résulté.
Pourtant, il s’en est sorti avec des brûlures aux mains. Nous devons cette heureuse issue à un ensemble d’équipements et de mesures mis au point par le département sécurité de la Fédération internationale de l’automobile, l’organe régulateur du sport automobile –notamment les casques, les combinaisons de conduite, les dispositifs de retenue de la tête et du cou, une conception de véhicule radicalement améliorée et une réaction post-collision ultrarapide.
L’enseignement le plus important que le sport automobile peut apporter à la mobilité quotidienne est la mise en place d’une véritable culture de la sécurité. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que, grâce aux efforts déployés par les gouvernements et les citoyens du monde entier, nous pouvons surmonter l’une des « pandémies » les plus mortelles que nous ayons eue à affronter – la mortalité routière.
Jean Todt est président de la Fédération internationale de l’automobile depuis 2009, ancien président-directeur général du groupe Ferrari et ancien directeur de l’écurie Ferrari de formule 1