L’avocat général a requis, devant la cour d’appel d’Agen, des peines de prison ferme pour le président et vice-président de la chambre d’agriculture, dans le dossier du barrage illégal de Caussade. L’arrêt sera rendu le 17 décembre.
Echarpes tricolores et casquettes jaunes ont fait le siège, jeudi 28 octobre, du palais de justice d’Agen. Une centaine d’élus de tous bords, dont le maire d’Agen, Jean Dionis du Séjour,et environ un millier de militants du syndicat agricole Coordination rurale, sont venus en nombre à l’occasion du jugement en appel du président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, et de son vice-président, Patrick Franken. Ils avaient été condamnés en première instance en juillet 2020, dans le dossier du barrage illégal dit de Caussade, à neuf mois de prison ferme, ainsi qu’à 7 000 euros d’amende chacun. Des peines très rares dans un dossier environnemental et pour des responsables agricoles.
A l’issue d’une longue audience de six heures, l’avocat général de la cour d’appel d’Agen a requis les mêmes peines, avant que l’affaire soit mise en délibéré au 17 décembre. Aucun des deux mis en cause n’a souhaité faire de commentaire mais pour Pascal Béteille, président de la Coordination rurale 47, « notre mobilisation est un succès, la construction du lac une victoire, ce que nous voulons c’est la relaxe ».
Longue bataille
Tout au long de l’après-midi, les juges ont tenté, en questionnant longuement les prévenus, de dérouler le fil de ce projet qui remonte aux années 1980. Celui-ci prend réellement forme en 2015,lorsqu’un syndicat d’agriculteurs irriguant dépose une demande d’autorisation de travaux pour ériger un barrage dans la vallée du Tolzac, sur la commune de Pinel-Hauterive. A la suite d’une enquête publique positive, la préfecture du département publie le 29 juin 2018un arrêté d’autorisation. Mais, début octobre 2018, un courrier signé des ministres de l’agriculture, Stéphane Travert, et de la transition écologique, François de Rugy, signale à la préfète que le projet n’est pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la directive-cadre européenne sur l’eau.Lire aussi Article réservé à nos abonnésDans le Lot-et-Garonne, le barrage de Caussade à nouveau jugé illégal, mais toujours en activité
Le 15 octobre, la préfecture retire donc son autorisation. C’est le début d’une longue bataille au tribunal administratif. « Nous en sommes à six condamnations et c’est ce qui a amené ces responsables qui se considèrent au-dessus des lois devant la justice pénale », a martelé Alice Terrasse, l’avocate de France nature environnement (FNE) et de la Sepanso, une fédération d’associations environnementales, qui se sont constituées parties civiles. Car malgré ces condamnations, dès décembre 2018, les travaux débutent, entièrement financés par la chambre d’agriculture pour un montant d’1,2 millions d’euros. Une digue de 300 mètres de longueur et 12 mètres de haut traverse aujourd’hui la vallée où serpente le petit cours d’eau du Tolzac et retient le lac artificiel de 920 000 m2 qui irrigue aujourd’hui une vingtaine d’exploitations où l’on cultive le maïs, les pruneaux, les oignons, la betterave ou encore les noisettes.
« Passage en force »
A la barre, Serge-Bousquet Cassagne a totalement assumé la construction de l’ouvrage : « A partir du moment où l’Etat nous a constamment baladés, nous nous sommes sentis humiliés, anéantis. Après de longues discussions, nous avons décidé de construire le barrage », s’est-il défendu. Patrick Franken, « présent sur le chantier chaque jour de 7 à 21 heures », a lui aussi assumé « l’entraide agricole et la nécessité de sauvegarder une activité dans la vallée pour des agriculteurs qui ont besoin d’eau ». Mais sans bureau d’étude ni écologues agréés et au mépris des règles de construction. Dans l’attente de la publication d’un rapport interministériel commandé par la ministre de la transition écologique, Christophe Dejean, avocat des prévenus, a préféré déplorer « un dossier complexe, sans véritable instruction, entre deux mondes qui s’affrontent et ne se parlent pas ».Lire aussi Article réservé à nos abonnésLes promoteurs du barrage de Caussade condamnés à de la prison ferme
Pour l’avocat général, « il ne s’agit pas seulement d’un bras de fer, mais d’un véritable passage en force ». Dans son réquisitoire, il a rejeté « une sorte d’idéal porté par des responsables agricoles », avant de conclure : « Cette retenue est totalement illégale, depuis le début. La société ne juge pas sur des postures mais bien sûr des infractions dûment constatées, et même revendiquées. » Tout au long du chantier, ces infractions se sont accumulées : destruction d’espèces protégées, mise en danger des habitations de la vallée, déplacement d’une ligne à haute tension – Enedis est également partie civile –, flou sur les contrats des locations de matériel ou d’embauches…
Prochaine étape de cette saga judiciaire le 17 décembre.
Philippe Gagnebet(Agen, envoyé spécial)