Le gouvernement doit présenter, d’ici la fin du mois, son plan pour réduire la consommation d’énergie. Seuls quelques écogestes ont pour le moment été mis en avant. Pourtant, des solutions existent.
Baisser «un peu» la climatisation quand il fait chaud, «débrancher son wifi» et ses prises électriques lors de départs en vacances, éteindre les lumières en quittant une pièce… Depuis le début de l’été, les membres du gouvernement distillent dans la presse quelques-uns des axes de leur futur «grand plan de sobriété énergétique». Attendu pour fin septembre, ce plan a pour objectif d’éviter le risque de pénurie dans le contexte de la guerre en Ukraine, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du pays.
Outre deux décrets — la fin des panneaux publicitaires lumineux entre 1 et 6 heures du matin (sauf dans les gares et les aéroports), et l’interdiction de laisser les portes des magasins ouvertes lorsque la climatisation ou le chauffage fonctionnent —, les membres du gouvernement se sont pour le moment concentrés sur la défense des «écogestes» individuels. En mai, la ministre de la Transition énergétique recommandait de cesser d’envoyer des courriels «un peu rigolo à ses amis avec une pièce jointe». Le 5 septembre, Emmanuel Macron invitait chacun à baisser le chauffage de son domicile : «Si on fait ces petits efforts collectifs, alors le pays pourra assez spontanément atteindre ses objectifs de sobriété», estimait-il.
Vraiment? Plusieurs groupes de réflexion, associations et experts proposent de nombreuses autres mesures, plus ambitieuses, pour construire une société véritablement sobre. Petit tour d’horizon.
• Transports : aller moins loin, moins vite
La très sérieuse Agence internationale de l’énergie (AIE) a mis en garde les gouvernements dès le mois de mars : pour éviter tout risque de pénurie, avions et voitures doivent être remisés au garage. Dans un rapport, elle recommande dix mesures clés pour s’affranchir du pétrole russe, et cesser, par la même occasion, d’alimenter le dérèglement du climat. L’Agence recommande notamment de réduire le prix des transports en commun, de restreindre le nombre de voitures grâce à la circulation alternée, ou encore de créer des «journées sans voitures» dans les villes, une fois par semaine. Cette dernière mesure avait été mise en place par les Pays-Bas lors du choc pétrolier de 1973. Elle avait permis de réduire «sans délai» les consommations de pétrole, selon la chercheuse Mathilde Szuba.
L’Agence internationale de l’énergie conseille également de favoriser le train, et de limiter, autant que possible, le transport aérien. Selon ses calculs, ces seules mesures permettraient d’économiser jusqu’à 1 220 000 barils de pétrole par jour au sein des économies avancées.Pour le Giec, il faut, entre autres, transformer les places de parking en pistes cyclables. Flickr/CC BY 2.0/Frédéric Bisson
L’association Négawatt, qui planche sur le sujet depuis plus de vingt ans, a elle aussi publié une liste de mesures d’urgence pouvant être mises en place par le gouvernement. En limitant la vitesse sur les autoroutes à 110 km/h, en revenant aux 80 km/h sur les routes nationales et en incitant la population à marcher ou faire du vélo pour les trajets de moins de 2 km, il serait selon elle possible d’économiser, «à très court terme», 90 térawattheures (TWh) au niveau national.
D’autres pistes ont été présentées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans l’un des chapitres du troisième volet de son sixième rapport d’évaluation, consacré à la sobriété. Avec, au choix : développer le télétravail pour les salariés résidant loin de leurs bureaux, transformer les places de parking en pistes cyclables ou en trottoirs afin de favoriser les mobilités douces, réduire les trajets en avion, encourager les «vacances locales»… Pour le moment, aucune de ces mesures n’a eu les faveurs du gouvernement.
• Bâtiments : faire la chasse au superflu
Le secteur résidentiel est le plus gros consommateur d’énergie en France. Autant dire qu’il représente un énorme gisement d’économies d’énergie. Dans ce domaine, le gouvernement se contente pour le moment de recommander d’abaisser le chauffage et la climatisation. Une mesure bénéfique : selon Négawatt, réduire le chauffage des logements suffisamment bien isolés de 1 °C à 2 °C permettrait de réduire la consommation énergétique du pays de 23,5 TWh.
L’association va cependant plus loin : dans un récent rapport, elle présente une vingtaine d’autres mesures, peu coûteuses et rapides à mettre en place, qui permettraient de réduire de 30% la consommation d’énergie du secteur. Elle recommande notamment d’isoler les ballons d’eau chaude à l’aide de jaquettes isolantes. Une solution peu coûteuse et facile à mettre en place. Doublée d’une baisse de la température de chauffe, elle permettrait, selon Négawatt, d’économiser jusqu’à 10 TWh au niveau national. Ces jaquettes isolantes pourraient être financées par le chèque énergie, précise-t-elle, afin d’éviter de grever le budget des plus modestes.
D’autres dispositifs permettraient de réduire rapidement la consommation des logements les moins bien isolés. Avec le soutien de l’État, des films isolants pourraient être posés sur les simples vitrages, et des joints sur les fenêtres et les portes des bâtiments anciens. À elles deux, ces mesures pourraient sauver jusqu’à 18 TWh, selon les calculs de Négawatt.
Côté cuisine, l’association conseille à l’État d’encourager les pratiques sobres : consommer moins de surgelés, arrêter le four avant la fin de la cuisson, couvrir les poêles et les casseroles pour diminuer la température de chauffe… Cela permettrait de réduire de 10% la consommation d’énergie liée à la cuisson dans le résidentiel.
Afin d’inciter chacun à réduire sa consommation d’énergie domestique, le Labo de l’économie sociale et solidaire (ESS) recommandait, dans un rapport de 2018, de mettre en place une tarification progressive de l’énergie. Le principe est simple : une quantité «de base» d’énergie, permettant à chacun de satisfaire ses besoins essentiels, serait rendue accessible à tous les ménages à un prix inférieur à celui actuellement en vigueur. Au-delà de ce palier, le prix de l’énergie augmenterait progressivement, jusqu’à devenir très élevé en cas de consommation «superflue». Ce mécanisme, déjà testé avec succès au Japon et en Californie, pourrait contribuer à réduire la consommation énergétique globale, sans pour autant priver d’énergie les plus précaires.
Reste la question du secteur tertiaire, qui représente 16% de la consommation énergétique française. Négawatt recommande notamment de réduire l’éclairage nocturne des entreprises, des parkings, des bâtiments publics et des rues. L’association propose également d’éteindre les panneaux publicitaires. Gains d’énergie estimés : environ 4,5 TWh.Vue de Paris la nuit, en 2013. Flickr/CC BY-NC 2.0/Nasa
• Consommation : acheter moins et mieux
Dans une note consacrée à la sobriété, le réseau écologiste des professionnels de l’action publique, le Lierre, propose plusieurs pistes pour réduire notre consommation matérielle. Parmi elles : la régulation de la publicité, l’un des principaux moteurs de notre ébriété énergétique. Le collectif propose aux régies publiques de réserver les espaces publicitaires à des produits vertueux, locaux et responsables, et d’interdire la promotion de comportements écocides dans certains espaces. Des slogans en faveur de la sobriété pourraient également être apposés sur les images, suggèrent-ils.
Les spécialistes des politiques publiques proposent également d’interdire la vente d’équipements fossiles lorsque des équivalents électriques existent (pour les tondeuses à gazon ou les barbecues, par exemple). Nos usages numériques, très énergivores, devraient également être mis à la diète. Les codes pourraient être optimisés afin de limiter les flux et les espaces de stockage. Des accords pourraient également être passés avec les fournisseurs internet afin que les vidéos soient proposées par défaut en basse définition.
• Penser l’après
Tous les experts du sujet s’accordent sur un point : sans changement structurel, il est plus difficile de réduire notre consommation d’énergie. 75% de nos consommations énergétiques découlent en effet de modèles d’organisation et d’infrastructures sur lesquels l’individu a peu de prise, selon une étude du cabinet de conseil Carbone 4. D’où l’importance de penser la sobriété sur le long terme.
Dans une note publiée fin août, le consultant spécialiste de l’énergie Nicolas Goldberg présente plusieurs chantiers pouvant être lancés dès maintenant, en parallèle de mesures de sobriété d’urgence, pour construire une société moins gourmande en énergie. Parmi eux : soutenir les plans de développement du vélo en ville, renforcer l’offre ferroviaire, mettre progressivement fin aux vols intérieurs, durcir le malus sur le poids du véhicule, lutter contre l’obsolescence programmée, développer l’économie circulaire et les circuits courts… Tout un programme, défendu depuis de nombreuses années par les associations écologistes. À voir si l’exécutif tiendra compte de ces recommandations dans son plan de sobriété énergétique.