À la Teste-de-Buch (Gironde), les bois endoloris par les feux vivent un second printemps. Mésanges, baies, bruyère… «Cette reviviscence dépasse toutes nos espérances», s’émeut une défenseuse de cette forêt multimillénaire.
La Teste-de-Buch (Gironde), reportage
C’est une force qui croît sous les cendres, insoupçonnable et miraculeuse. Une touche de vert au milieu du désastre, dans un désert calciné. Deux mois après les terribles incendies de cet été, tout renaît et repart dans les Landes. Le vivant se redéploie. La nature s’éveille dans une explosion de jeunes pousses. Comme une floraison tardive. À la Teste-de-Buch, en Gironde, la forêt vit un second printemps.
Il y a, au fond des bois, malgré les stigmates de la catastrophe, quelque chose qui travaille secrètement, qui persiste à vivre et à respirer. Un souffle encore léger, un pouls fragile qui continue de battre. Depuis l’incendie, des fougères aigles ont repeuplé les sous-bois et recouvert le sol brûlé d’un vert tendre. Entre les carcasses d’arbres, des filaires à feuilles étroites, des arbousiers et des bruyères repoussent. Le maquis se propage. Des genets refont des fleurs, des robiniers et des églantiers sortent de terre.
Tout un monde souterrain émerge. Des graines en dormance qui ont échappé aux flammes éclosent. On retrouve même des géraniums sauvages, des rejets de millepertuis ou de la molinie bleue. Les houppiers de pins maritimes ont quitté leur couleur roussie et se verdissent. Des chênes, malgré leur tronc noir, refont des bourgeons depuis leurs branches ou leur souche.Une bruyère refait des pousses après l’incendie. © Alain Pitton / Reporterre
«Une leçon de guérison écologique»
«C’est exceptionnel, s’enthousiasme Françoise Branger, la présidente de l’association Bassin d’Arcachon Écologie. Cette reviviscence de la forêt dépasse toutes nos espérances. La forêt n’est pas morte, elle se bat, elle résiste». En ce mois d’octobre, la militante sillonne le massif avec des amis écologues pour tenter de dresser un premier inventaire des dégâts.
Le désarroi se lit sur les visages où se mêlent des sentiments mitigés : le deuil, la perte, mais aussi la surprise et le soulagement. La petite troupe ne reconnaît plus sa forêt mais admire les capacités de rebonds de la nature, sa manière d’absorber les chocs, sa résilience.
«C’est une leçon de guérison écologique, assure Françoise Branger. Même s’il faudra encore du temps et du soin pour que les blessures cicatrisent, le paysage meurtri, déjà, se métamorphose.» Un nouvel humus est en train de se constituer, des champignons apparaissent, des jeunes houx donnent des baies. Le fragon qui aime le carbone prolifère. Au loin, on entend même, à nouveau, le chant des mésanges bleues et les trilles d’un pouillot véloce.
Qui l’aurait cru au cœur de l’été quand le feu léchait les cimes? Quand les pompiers affrontaient le monstre et les habitants fuyaient à la hâte leur maison? «Il pleuvait des cendres, se souvient Isabelle, une riveraine. On étouffait. Des hordes de chevreuils se jetaient dans l’océan et se noyaient. Des oiseaux tombaient du ciel.» Tout un monde s’écroulait. Avec ses souvenirs, son écosystème et sa richesse.«La forêt est un joyau de biodiversité, avec des arbres remarquables et tout un cortège d’espèces menacées», dit Jean-Marc, ici à l’intérieur d’un chêne calciné. © Alain Pitton / Reporterre
Aujourd’hui, la vie revient. Elle s’accroche. Comme sur un fil. Ce n’est pas un jaillissement fougueux mais les semences défient la terre brûlée. Elles écrivent l’histoire, fabriquent des mondes. En silence, ça creuse, ça fouille, ça se dissémine. Les écorces se gonflent de sèves. Des vers de terre remontent à la surface. «En se réparant, la nature nous soigne aussi, elle nous aide à dépasser nos traumatismes. Elle résonne en nous, confie Isabelle. Nous sommes une part de cette nature abîmée.»
«On entretenait la forêt comme notre jardin»
La forêt de la Teste est multimillénaire. C’est l’une des dernières forêts naturelles du massif et l’une des plus anciennes. En 1917 et juste après la Seconde Guerre mondiale, la forêt avait déjà connu des feux. «Elle a toujours surmonté ces épreuves, en survivant aux intempéries, aux tempêtes et aux prédateurs y compris les hommes. C’est un monument écologique», affirme Jean-Marc, un usager de la forêt.
Son histoire expliquerait en grande partie sa résilience. Depuis 1 468 et la fin du Moyen-âge, ces 3 800 hectares bénéficient d’un statut unique. La forêt de la Teste a été arrachée à la propriété seigneuriale pour être régie par le droit d’usage des habitants des communes alentour [1]. La population y récoltait du bois mort pour le chauffage ainsi que du bois d’œuvre pour la construction des maisons, cabanes et chais. «On entretenait la forêt comme notre jardin, de manière respectueuse, raconte Françoise. L’exploitation était limitée. La mécanisation et les machines interdites. On était plutôt dans une forme de cueillette et de glanage.»«La plupart des arbres ont été attaqués de manière superficielle, ils vont survivre.» © Alain Pitton / Reporterre
Cette méthode aurait sauvegardé la naturalité de la forêt, en évitant d’altérer les sols et en maintenant une diversité d’essences, notamment de feuillus. Contrairement à ses voisines, la forêt de la Teste a échappé aux monocultures, aux plantations résineuses et aux coupes rases. «C’est un joyau de biodiversité, avec des arbres remarquables et tout un cortège d’espèces menacées», confirme Jean-Marc. La nuit, on pouvait surprendre le grand noctule. Le jour, des lézards ocellés.
«Il existe un lien entre la forte naturalité de cette forêt et ses capacités de résistance au feu, indique Éric, un gestionnaire forestier qui accompagne Françoise et ses acolytes. La présence de nombreux feuillus a limité l’impact de l’incendie, assure-t-il, quand ces derniers sentent arriver une vague de chaleur, ils libèrent de l’humidité et le feu est ralenti. Il est obligé de se tapir au sol».
L’expert forestier taille au couteau l’épaisse écorce d’un grand chêne. Après avoir enlevé une partie brûlée, la sève apparaît. L’aubier semble préservé. «La plupart des arbres ont été attaqués de manière superficielle, ils vont survivre, déclare-t-il. De façon similaire, le sol n’a été abîmé qu’en surface, il a gardé sa fertilité. Les échanges mycorhiziens, indispensables aux arbres, sont toujours à l’œuvre.»
«Les industriels créent le désert»
Cette abondance de vie contraste avec les alentours. La forêt de la Teste ressemble à une rescapée. Près de la dune du Pilat, les plantations industrielles de pins maritimes, elles, n’ont pas survécu. Le sol y est à nu, retourné. La terre a fondu. Quelques squelettes d’arbres calcinés gisent sur une étendue désolée. On y observe quasiment pas de regain. Aucune repousse.
«Ici, la forêt était déjà exsangue et malade, assure Françoise. Elle était fatiguée par l’exploitation humaine. Elle vivait sous perfusion d’engrais et de travaux forestiers. Le résultat que vous avez sous les yeux est la jonction de plusieurs catastrophes, le feu mais aussi la sylviculture industrielle».
Les modes de gestion productivistes ont fragilisé les plantations et empêché la nature de se régénérer. Sur ces parcelles, le fracas des machines a remplacé le patient travail des champignons et des végétaux. Les professionnels s’empressent, aujourd’hui, de prélever le bois valorisable qui pourrait être grignoté par les scolytes – ces coléoptères qui pullulent dans les monocultures. Ils coupent tout en urgence et labourent le sol. Des abatteuses arrachent les souches. Des grumes s’entassent sur les bord de routes. «Les industriels créent le désert. On a l’impression d’être sur la lune», peste Eric.«Ici, la forêt était déjà malade. Fatiguée par l’exploitation humaine. Elle vivait sous perfusion d’engrais et de travaux forestiers», assure Françoise. © Alain Pitton / Reporterre
Au seuil de la catastrophe, se dessine une forme d’opportunisme. «Les professionnels récoltent en une fois ce qu’ils auraient dû récolter en dix ans, estime Éric. Il y a de l’argent à se faire, des travaux à vendre.»
La coupe rase se généralise et touche même des espaces préservés des incendies, assure Françoise qui nous mène vers une de ces parcelles. La surface a été ratiboisée mais le sol n’a en effet aucune trace de feu. Les arbres coupés étaient vivants, la résine coule encore sur les troncs abattus.
«La forêt des landes de Gascogne n’a pas les moyens de ne pas être rentables», affirment les tenants de la sylviculture industrielle pour justifier ces coupes. Ils plaident pour «une reconstruction des massifs» via des subventions publiques, «des chantiers de replantation» et «une multiplication les travaux forestiers». Emmanuel Macron, en juillet dernier, appelait lui-même à «un grand chantier national pour replanter la forêt».
2 / 5Deux mois après les terribles incendies de cet été, tout renaît et repart dans les Landes.
«Ils parlent des écosystèmes avec le langage du BTP, s’insurge Françoise. Ils méconnaissent le fonctionnement du vivant, sa temporalité, son rythme. Pendant les incendies, les industriels nous ont fait la leçon, ils disaient que notre forêt était mal entretenue, mais le résultat aujourd’hui est limpide : leurs plantations ont brûlé comme des boites d’allumettes quand notre forêt diversifiée, elle, a su résister.»
La stratégie du choc
Les défenseurs de la forêt de la Teste craignent une forme de «stratégie du choc». [2] Les incendies pourraient servir de prétexte pour accélérer l’industrialisation de la filière et changer le statut de la forêt de la Teste de Buch. Le maire de la commune, Patrick Davet (Les Républicains), a déclaré récemment vouloir «remettre de l’ordre» en rachetant la forêt. Il a également demandé à Emmanuel Macron «le pouvoir de police sur la forêt» pour mieux «l’entretenir».Les professionnels s’empressent, aujourd’hui, de prélever le bois valorisable. © Alain Pitton / Reporterre
Dans une note interne que Reporterre a pu se procurer, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) recommande aussi d’en finir avec les droits d’usage des habitants. Une préconisation qui mettrait fin à l’une des dernières expérimentations de commun forestier en France.
Dans le village, les usagers de la forêt n’entendent pas se laisser faire. On ravive le souvenir des anciennes jacqueries. Les habitants appellent les pouvoirs publics à ne pas engager de travaux dans l’urgence, ils guettent l’arrivée des machines, lancent une pétition et se disent prêt à créer une zad. Dans une lettre ouverte, trente-six scientifiques, spécialistes des écosystèmes forestiers, leur ont apporté leur soutien. Ils exigent la mise en place d’un moratoire.Au premier plan, pins et souches ont déjà été enlevés. Au fond, tous les pins ont le même âge et tous sont morts à la suite de l’incendie. © Alain Pitton / Reporterre
«Alors que ce milieu porte en lui toutes les dynamiques qui conduiront à sa renaissance et que des repousses vertes apparaissent déjà sur les feuillus, les premières déclarations politiques jusqu’au plus haut niveau de l’État font craindre un emballement dans la tentative de reconstitution artificielle et de dénaturation de cette forêt plus que bimillénaire, alertaient-ils. Aujourd’hui, il est urgent d’éviter les coupes et débardages mécaniques injustifiés qui ajouteraient à l’incendie de nouvelles perturbations inutiles.»
Au milieu des bois, Françoise veut garder l’espoir. Elle lève la tête. Le vent frémit dans les feuilles de chêne. «C’est le vent de la renaissance», sourit-elle.