Plusieurs groupes de réflexion estiment que le bouclier tarifaire mis en place pour aider les Français à faire face à la hausse des prix de l’énergie est un frein à la transition écologique.
Identifier les dépenses favorables ou défavorables à l’environnement ou évaluer où en sont les sommes promises par le candidat Macron pour lutter contre le changement climatique dans le projet de loi de finances 2023 n’est pas chose aisée. Deux études publiées cette semaine en font le constat. L’une, rédigée par l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et présentée jeudi 8 décembre lors d’une conférence tenue avec l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), l’Institut Jacques Delors et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), s’intéresse aux 10 milliards d’euros supplémentaires par an consacrés à la transition écologique promis par le « président candidat » pour la durée du quinquennat. L’autre document, publié deux jours plus tôt par le Réseau Action Climat (RAC), est un « panorama des dépenses néfastes pour le climat et l’environnement », évaluées à 67 milliards d’euros en 2023.
Premier élément de constat, sur les dix milliards d’euros annuels supplémentaires d’investissement public annoncés par le président, devant s’ajouter aux crédits de France Relance et de France 2030, seuls 3,5 milliards en plus par rapport à 2022 apparaissent dans le budget 2023. Dans l’étude de I4CE, les auteurs, Charlotte Vailles, cheffe de projet « Industrie, énergie et climat », et Damien Demailly, directeur adjoint de l’institut, préviennent que si le débat parlementaire sur le PLF n’est pas encore terminé, ils ont pris en compte les modifications apportées jusqu’au 1er décembre. « Et force est de constater que le budget 2023 s’éloigne fortement de ce qui était prévu par le président pendant sa campagne. Il y a moins, beaucoup moins d’investissements et de cofinancements publics que prévu », écrivent-ils.
La hausse de 3,5 milliards d’euros des investissements publics est constituée essentiellement de dépenses en faveur de la rénovation des bâtiments et des aides à l’achat de véhicules propres. Mais, alerte Damien Demailly, « une partie de ces nouveaux crédits budgétaires prennent en fait le relais des crédits de France Relance [le plan de relance] qui commencent à s’amenuiser ». Ainsi les crédits pour la rénovation proposés par France Relance ont baissé de 520 millions, comparés à l’année dernière
« Contre-intuitif »
Pour l’ensemble des think tanks présents à la conférence de jeudi, au cœur du problème se trouve le bouclier tarifaire. Avec ses quelque 45 milliards d’euros dévolus au soutien des dépenses des foyers et des entreprises en énergies fossiles, en priorité, il répond bien sûr à une urgence économique et sociale. « Le bouclier tarifaire poursuit plusieurs objectifs, avance Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE. L’objectif principal, ce n’est pas la transition écologique mais bien la réponse à une situation exceptionnelle et la gestion de l’inflation. » Dans un rapport de juillet 2021, « Analyse des conditions de reprise d’une valeur équitable du carbone », l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, analyse que le bouclier « favorise les émissions de CO2 et entretient la dépendance énergétique ».
Xavier Timbeau rappelle aussi que les sommes investies pour aider les foyers à faire face à la hausse des prix de l’énergie sont d’un ordre de grandeur bien plus élevé que les investissements pour la transition. « Si on avait fait du “1 euro pour 1 euro”, on aurait investi 40 milliards dans la transition environnementale », constate-t-il.
Il faut, estiment les économistes de ces think tanks, conserver une politique volontariste pour freiner la consommation des énergies fossiles. « On a absolument besoin de maintenir un signal prix, que les énergies fossiles soient chères, car le prix est un élément déterminant du choix. Mais il faut que l’accompagnement social soit efficace », assure encore Xavier Timbeau.
Une analyse partagée par Phuc-Vinh Nguyen, de l’Institut Jacques Delors. « Le plafonnement des prix [de l’essence ou du gaz] n’agit pas sur le signal-prix et est contre-intuitif car il n’incite pas à la sobriété, à la réduction de la consommation », explique le chercheur sur les politiques française et européenne de l’énergie.
L’autre faiblesse dans la politique de transition écologique française, outre son manque de moyens, réside dans les mauvaises politiques d’accompagnement social prévues. « Si on avait mis l’argent de la ristourne à la pompe sur une subvention à l’achat de véhicules électriques pour les artisans, on aurait pu subventionner 1 million de véhicules à hauteur de 8 000 euros par voiture », renchérit Xavier Timbeau.
Revoir le bouclier tarifaire
La crise de l’énergie, à l’origine de ces nouvelles dépenses publiques, va durer plusieurs années, pronostiquent les experts de ces think tanks, et les risques sur la sécurité d’approvisionnement risquent de se répéter. Dans un tel contexte, s’il faut maintenir le bouclier tarifaire, il faut le revoir. « Sur les 45 milliards d’euros de moyens mobilisés par l’Etat en 2023, la moitié devrait servir à des aides ciblées au paiement des factures d’énergie, et l’autre moitié fléchée sur les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique, la mobilité bas carbone et les énergies renouvelables, pour accélérer massivement la transition », estime ainsi Andreas Rüdinger, le coordinateur transition énergétique France de l’IDDRI.
En présentant son rapport sur les dépenses néfastes au climat, mardi, le RAC a aussi expliqué que s’il n’était pas question de remettre en question les politiques de soutien mises en place par le gouvernement face à la crise énergétique, il convenait d’étudier leur pertinence. La transition écologique doit être socialement juste et ne doit pas être « portée par les ménages fragilisés », ceux-là mêmes qui devraient disposer en priorité des aides à la consommation. « Notre critique des dépenses “néfastes” à l’environnement et au climat ne veut pas dire qu’il faut arrêter de mettre en place le bouclier tarifaire ou qu’il faut supprimer le chèque énergie. Mais il faut se poser les bonnes questions pour demain, et trouver des réponses structurelles pour ne pas avoir à répondre par des à-coups », insiste Emeline Notari, responsable des politiques climat au RAC.
Outre le bouclier tarifaire, le réseau qui regroupe une quarantaine d’associations nationales, locales et régionales spécialisées sur les questions de climat, de transport, d’énergie… a aussi ciblé toutes les mesures néfastes au climat, atteignant un total de 67 milliards, contre 25 milliards en 2022. « Des dépenses qui sont directement le fruit de la dépendance française aux énergies fossiles et à la transition trop lente de notre pays », avance le RAC.
Parmi celles-ci, on trouve les dépenses de fonctionnement de l’Etat (1,5 milliard d’euros) – avec des achats de véhicules thermiques, de carburant… –, des « dépenses génératrices d’artificialisation des sols et néfastes à la biodiversité » (890 millions), des niches fiscales… Par exemple, la non-taxation du kérosène « représente approximativement 3,6 milliards d’euros, dont profite essentiellement le secteur aérien », rappelle Emeline Notari.
Rémi Barroux