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Mardi 13 décembre, le Laboratoire national Lawrence Livermore (, en Californie, a annoncé avoir franchi une étape marquante dans le domaine de la fusion nucléaire. Ce phénomène physique est à l’œuvre aussi bien au cœur des étoiles qu’il fait briller que dans les bombes thermonucléaires. Sa maîtrise sur Terre est présentée comme une source d’énergie pouvant se substituer à toutes les autres, abondante, sûre et pratiquement non émettrice de CO2.
C’est sans doute la raison pour laquelle l’annonce a été faite en personne par la secrétaire nationale à l’énergie des Etats-Unis, Jennifer M. Granholm, qui s’est félicitée de ce que l’installation National Ignition Facility (NIF) a réussi à produire, lundi 5 décembre, davantage d’énergie que celle qui avait été apportée au système. Et aussi 2,2 fois plus d’énergie que lors d’une précédente étape importante franchie en août 2021.« Il s’agit d’une réalisation historique pour les chercheurs et le personnel du NIF qui ont consacré leur carrière à rendre réelle cette ignition par fusion », a précisé la secrétaire d’Etat. « Il y avait beaucoup de critiques aux Etats-Unis envers ce projet, mais ils y sont arrivés, au prix d’un travail acharné qui aboutit à ce résultat historique », complète Sébastien Le Pape, directeur adjoint du Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses, à l’Ecole polytechnique.
Le NIF est une installation qui poursuit des objectifs à la fois civils – étudier la matière en fusion – et militaires – valider les modèles destinés à entretenir l’armement nucléaire sans recourir à des essais souterrains.
Alors que les centrales électriques actuelles fonctionnent sur le principe de la fission nucléaire, c’est-à-dire la cassure de gros noyaux en de plus petits, en libérant de l’énergie, ce laboratoire cherche, lui, à forcer le mariage entre des noyaux légers, comme le deutérium et le tritium, des cousins de l’hydrogène. Pour cela, il faut, dans des temps très brefs et dans un espace minuscule, les chauffer à des températures plus élevées que celles du Soleil (plusieurs millions de degrés).
192 faisceaux laser
Si ces conditions sont remplies, deux éléments fusionnent, puis libèrent de l’énergie ainsi que d’autres particules qui vont entretenir la chaudière et engendrer d’autres fusions. « L’allumette » initiale est lancée par les impulsions de 192 faisceaux laser ne durant que quelques milliardièmes de seconde.
Ces faisceaux convergent à l’intérieur d’une cavité cylindrique en or d’un centimètre de haut, qui, ainsi bombardée, émet des rayons X en son sein, lesquels servent ensuite à chauffer directement une petite bille de 2 millimètres de diamètre contenant le mélange deutérium et tritium. La capsule implose et des réactions de fusion ont lieu.
En août 2021, après plusieurs tentatives infructueuses et des craintes pour l’avenir même du programme, un seuil était franchi avec un record d’énergie produite, 1,37 mégajoule, alors que les faisceaux laser avaient apporté 1,92 mégajoule. Cette fois, pour 2,05 mégajoules injectés, plus de 3,15 mégajoules ont été produits, toujours dans un laps de temps extrêmement court de moins de dix milliardièmes de seconde. Le système a donc produit plus d’énergie qui ne lui en a été donnée. Victoire pour une énergie propre à l’avenir ?
Pas tout à fait. Techniquement, l’expérience de 2021 avait déjà comme propriété que les réactions étaient autoentretenues et que les pertes, par rayonnement, étaient inférieures au gain. L’ignition, selon l’expression consacrée, était donc déjà réalisée, comme les chercheurs l’écrivaient dans un article de recherche publié un an après, en août 2022, par la revue Physical Review Letters.
En outre, le rendement n’est pas supérieur à un, comme pourraient le laisser penser les chiffres. En effet, l’énergie colossale, environ 300 mégajoules, nécessaire à produire les faisceaux laser fait chuter considérablement le rendement énergétique réel.
Limite de taille
Enfin, il y a loin de cette démonstration spectaculaire à un réacteur de production d’électricité. Outre qu’il faudrait que le gain soit cent fois plus important pour permettre une exploitation efficace du phénomène, il y a une autre limite de taille. Le NIF ne tire qu’une fois par jour et ne produit de l’énergie que dans un temps très bref. « Il faudrait dix tirs par seconde pour avoir un système de production électrique », estime Erik Lefèbvre, responsable, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des expériences plasma-laser sur l’installation Laser Mégajoule, assez proches du NIF, près de Bordeaux, en cours de construction.
Mais le Laser Mégajoule, sans tous ces faisceaux, ou le NIF, avec ce petit gain, sont déjà utiles pour les recherches militaires, car ils créent des plasmas dont le comportement ressemble à ceux générés par les bombes atomiques.
Les équipes du NIF peuvent néanmoins se réjouir. Depuis plusieurs mois, elles n’arrivaient pas à faire aussi bien qu’en août 2021. Puis elles y sont parvenues, « en augmentant légèrement l’énergie des faisceaux laser », selon Erik Lefèbvre.
Pour le spécialiste, « cette annonce va apporter du réconfort au NIF, mais aussi dynamiser le domaine de la fusion ». En effet, les projets autour de cette très vieille idée, qui ne sera de toute façon pas mûre pour aider à lutter contre le réchauffement climatique, ne manquent pas.
A Cadarache (Bouches-du-Rhône), un prototype de réacteur à fusion est en construction, ITER, prévu pour 2035, mais qui fait appel à une technique différente, utilisant de forts champs magnétiques pour piéger, concentrer et chauffer la matière. Des start-up se sont aussi lancées, dans ce domaine pourtant très futuriste. En novembre, une équipe du Laboratoire national Lawrence-Livermore publiait également une méthode pour améliorer l’échauffement de la cible par laser en utilisant des champs magnétiques. A défaut d’électricité par fusion nucléaire, il y a au moins déjà une fusion des approches.
David Larousserie