Face à l’urgence climatique, collectivités, professionnels et associations du patrimoine s’engagent dans des chantiers de rénovation énergétique, tout en mettant en garde contre ses conséquences sur la qualité architecturale et patrimoniale.
Chiffres-clés
- 33 % des logements en France ont été construits avant 1948, selon l’Insee. Loin d’être tous concernés par une protection patrimoniale, ils ont été conçus avec des techniques et des matériaux traditionnels.
- 2050, c’est l’horizon de la Stratégie nationale bas carbone, impulsée en 2015 pour diviser au moins par six les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Générant 20 % de ces émissions, le bâtiment est un secteur clé. Mais le rythme de 500 000 chantiers par an, conforme à la stratégie, n’est pas atteint.
Les maisons alsaciennes à colombages connaissent une seconde vie à l’identique en Suisse, dans la banlieue de Bâle ! L’anecdote nous est rapportée par la sénatrice (LR) du Haut-Rhin, Sabine Drexler, rapporteure pour avis des crédits du patrimoine dans la loi de finances pour 2023. Coûteuses à rénover, briguées par les promoteurs pour leur valeur foncière, pas toujours protégées dans les plans locaux d’urbanisme, ces bâtisses font l’objet, ces dernières années, de démolitions au profit de lotissements.
« Chez nous, 20 % du bâti est antérieur à 1945 et il représente 60 % des logements vacants depuis deux ans », complète la sénatrice. Et il est arrivé que les bois démontés puis récupérés servent à édifier des maisons typiques de l’autre côté de la frontière.
Dans ce paysage, l’amélioration de la performance énergétique des bâtis, sous menace de voir le logement retiré du marché locatif s’il ne répond pas aux nouvelles normes, représente une autre contrainte qui pèse sur les propriétaires. Sauf que l’écosystème enjoignant à des rénovations thermiques au pas de charge se frotte, non sans quelques frayeurs, à un autre champ, celui du patrimoine protégé et non-protégé, avec son propre lot d’acteurs, de dispositifs et de réglementations encadrant les monuments inscrits et classés, les sites patrimoniaux remarquables, ainsi que leurs abords.
Lieux de service et d’usage public
Dans un rapport sur la politique publique en faveur du patrimoine monumental, publié en juin, la Cour des comptes relevait une « absence de doctrine claire de l’Etat articulant protection du patrimoine et transition écologique ». Cette année, une commission d’enquête sénatoriale se penchera également sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique.
Sur ces enjeux, les collectivités rappellent sans cesse leur position d’équilibristes sur le maintien du confort et de la fonctionnalité des bâtis à intérêt patrimonial dont elles sont propriétaires. Elles interrogent tant le niveau des financements qui leur sont attribués que l’ingénierie pour les aider à atteindre les obligations de réduction de la consommation énergétique. Sans compter l’explosion des prix des matières premières et des factures d’énergie qui accentuent l’effet ciseau observé et consomment leur capacité d’investissement.
« On vit dans un environnement législatif qui peut être contradictoire. Nous ne cherchons pas à remettre en cause quoi que ce soit, mais il faut se rendre compte que ces bâtiments sont aussi des lieux de service et d’usage public, comme des mairies et des écoles, pas uniquement des musées et des bibliothèques », lâche Jean-Philippe Lefèvre, vice-président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture.
Adjoint au maire (DVD) de Dole (1), il déplore, par exemple, l’impasse dans laquelle se trouvent sa mairie et son théâtre, difficiles à chauffer. Afin de faciliter le passage à l’acte de la rénovation, en finançant des postes dédiés et des audits stratégiques, le programme Action des collectivités pour l’efficacité énergétique (Actee), porté par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, dont le budget a été doublé pour les quatre prochaines années, comportera un sous-programme de 50 millions d’euros sur le patrimoine inscrit et classé.
Installation de panneaux photovoltaïques
Des habitants des centres-villes et centres-bourgs historiques, que les collectivités s’activent à redynamiser, les alertent aussi sur les difficultés qu’ils rencontrent en amont des rénovations à engager. Parce qu’elles ne doivent pas porter atteinte à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine, les demandes d’autorisation de travaux, soumises à l’accord des architectes des Bâtiments de France (ABF), cristallisent une partie des remontées. Sur ces espaces protégés représentant 6 % du territoire français, leur rôle est devenu matière à débat, notamment dans le cas d’installations de panneaux photovoltaïques sur les toitures.
Le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, validé en commission mixte paritaire le 26 janvier, comprend un amendement, déposé par des députés Renaissance, maintenant finalement l’avis conforme des ABF, alors qu’il avait envisagé de limiter à un avis simple. Cependant, la rédaction de celui-ci doit davantage « intégrer les objectifs de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique des bâtiments ».
Du côté des ABF, qui mettent en avant leur intention de dialogue et d’accompagnement en amont malgré des effectifs sursollicités, on préfère rappeler une statistique pour clore le procès à répétition qui leur est fait.
Sur les 515 400 dossiers instruits en 2021, seuls 2,5 % concernaient des installations photovoltaïques et moins d’un cinquième de cette pile a fait l’objet d’un premier avis défavorable. Ce sont surtout les préconisations de travaux standardisés qui ont conduit l’Association nationale des ABF à régulièrement s’inquiéter de la teneur des réflexions en cours, en particulier de « l’inadéquation des principaux dispositifs d’aides à disposition des citoyens avec les principes de rénovation du bâti ancien », comme en atteste sa récente lettre de vœux.
Matériaux biosourcés et locaux
Dans leur viseur figurent, pêle-mêle, l’isolation des murs par l’extérieur et la disparition d’anciennes fenêtres alors que l’isolation des combles serait à prioriser. Autre considération sur le moyen terme : « la massification de la réhabilitation thermique est en train de transformer nos paysages architecturaux ruraux et urbains », signale Véronique André-Elisabeth, de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine des Côtes-d’Armor.
Des établissements publics et des associations de défense du patrimoine s’attachent surtout à mieux valoriser les connaissances acquises sur le comportement thermique du bâti ancien. Sites et cités remarquables de France milite pour la reconnaissance de la simulation thermique dynamique, bien que plus onéreuse que le DPE, car elle prend « mieux en compte la complexité du système de production d’eau chaude et de chauffage », dixit Jacky Cruchon, consultant en urbanisme et patrimoine, auprès de l’association.
Le regain d’intérêt pour des matériaux biosourcés et plus locaux, et des techniques traditionnelles de rénovation passe aussi par une plus grande diffusion de ce savoir-faire auprès des artisans. Responsable technique du Centre de ressources sur la réhabilitation responsable du bâti ancien, Elodie Héberlé note une « réelle émulation » sur le partage d’expériences autour, par exemple, du béton de chanvre, des enduits isolants ou d’une analyse plus large sur le cycle de vie des matériaux au-delà même de leur qualité thermique.
En plus d’une documentation disponible en ligne, un prochain MOOC, visant 3 000 inscrits, doit élargir le vivier de maîtres d’ouvrage et d’agents des collectivités à sensibiliser à ces questions, encore à mi-chemin entre le sur-mesure et une massification plus importante des travaux.
Focus
Pertinence du calcul du DPE
La question d’un diagnostic de performance énergétique (DPE) dédié au bâti ancien incommode les ministères de la Culture et de la Transition énergétique, encore timides sur ce sujet. Les associations du patrimoine, les experts du bâti ancien pré-1948 et les collectivités, préoccupées par l’état de leurs centres-villes, ne manquent pas une occasion de rappeler que les modalités de calcul du DPE leur sont défavorables. Parfois différente, selon les diagnostiqueurs, la note finale, qui s’appuie notamment sur la qualité de l’isolation, le type de fenêtres ou le système de chauffage, surestimerait la consommation d’énergie du lieu, ce qui en déprécierait la valeur immobilière et déboucherait sur des préconisations inutiles ou inadaptées de travaux. Le ministère de la Culture avance qu’une « feuille de route », lancée cet été, prévoit une homogénéisation et une surveillance accrues des pratiques des diagnostiqueurs.
Focus
« Explorer une isolation “chaux et chanvre“ pour un meilleur confort thermique »
Anthony Koenig, directeur de projet Cœur de ville à Chaumont (2) et délégué de la Fondation du patrimoine pour la Haute-Marne.
« Au second semestre, des travaux débuteront dans notre hôtel de ville, datant de la fin du XVIIIe siècle et inscrit aux monuments historiques, où il faut refaire la toiture, notamment, et isoler les combles. La réhabilitation d’une ancienne école, qui comprend aussi un théâtre, fait l’objet d’échanges avec un architecte, un bureau d’études et une antenne du Cerema. Il faut analyser plus finement le comportement du bâti ancien et explorer, peut-être, une isolation “chaux et chanvre“ pour y améliorer le confort thermique. Au-delà du seul service chargé de l’urbanisme, nous réfléchissons à une plus grande acculturation des autres services à ces questions qui disposent aujourd’hui d’une assise scientifique importante grâce aux travaux menés par différents organismes. A l’échelle locale, il y a aussi la problématique des filières de matériaux qui doivent être réorganisées pour mieux travailler sur leur provenance.. »