FRANCE INTER : Une « pause règlementaire européenne » : trois mots dans la bouche du président au sujet des normes environnementales dans l’UE, qui ont fait bondir les écologistes et les ONG de défense de l’environnement. Fausse polémique, ou message inquiétant ?

Jeudi 11 mai dernier, lors d’un discours à l’Elysée sur la stratégie pour accélérer la réindustrialisation de la France, une phrase du président en a fait bondir plus d’un :

“Nous, on a déjà fait passer beaucoup de réglementations [en Europe]. Plus que tous les voisins. On est devant, en termes réglementaires, des Américains, des Chinois, ou toute autre puissance au monde. On s’est donné des objectifs 2050, 2030 pour décarboner, réduire les phyto, etc…

Moi, j’appelle à la pause réglementaire européenne. Maintenant il faut qu’on exécute, il ne faut pas qu’on fasse de nouveaux changements de règles parce qu’on va perdre tous les acteurs.

On a besoin de stabilité, sinon le risque qu’on court, c’est d’être les mieux disants en termes de réglementation et les moins disants en termes de financements.”

Une « pause » sur les réglementations européennes en matière d’environnement, qui a fait s’étrangler Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG Bloom qui l’a fait savoir avec son énergie habituelle :

“Il y a URGENCE, une pause environnementale, c’est ça notre président de la République ?! Mais quel DÉLIRE !”

Mais ce n’est pas la seule. Anne Bringault aussi par exemple, du Réseau Action Climat, s’est gratté la tête :

“Je suis juste dans l’incompréhension, je ne comprends pas pourquoi il dit sa petite phrase dans le contexte actuel, en plus qu’il est en train de défendre la mise en oeuvre d’une industrie verte. Pourquoi opposer l’environnement à l’industrie, alors que l’industrie va créer des emplois pour la transition justement, sur la construction d’éoliennes, de panneaux solaires, de pompes à chaleur…”

David Cormand, lui, eurodéputé Vert, est formel : Emmanuel Macron dit, en sous-titre, que les normes et réglementations nécessaires pour maintenir l’habitabilité de la Terre, bref l’écologie, est incompatible avec l’économie. Et en ce sens, le chef de l’Etat est tout sauf moderne :

“On voit bien qu’il y a une forme de révélation sur ce qu’il est, c’est à dire partisan d’un modèle à l’ancienne avec un vernis écologiste. Il y a une prise de conscience qui est là, mais qui dans la réalité du modèle économique qu’il promeut, est un modèle qui n’a pas intégré les évolutions à entreprendre.

Un modèle économique à l’ancienne qui est précisément celui qui nous a conduit à la situation climatique actuelle : ce sont les activités humaines qui ont précipité le réchauffement et la perte de la biodiversité. Alors face au tollé, la présidence de la République n’a eu d’autre choix que de répliquer : il n’a demandé ni une suspension, ni un moratoire, encore moins une abrogation, a dit l’Elysée à l’AFP. Et Emmanuel Macron en a remis une couche vendredi à Dunkerque :

“J’ai parlé d’une pause. Certains ont voulu faire des polémiques partout, faire dire n’importe quoi, en disant qu’on voudrait revenir sur ce qu’on a fait. On a été les premiers à défendre le Green Deal, tout ce qui est bon pour l’écologie. Je dis maintenant appliquons et allons au bout de notre programme législatif avec la Commission, mais n’en rajoutons pas plus !”

Et la Première ministre, Elisabeth Borne, a tenté elle aussi de justifier les choses :

“Ce que le président de la République a dit, c’est qu*’il faut arrêter de vouloir renforcer les normes.** Vous savez que l’on a porté, ces dernières années, sous l’impulsion de la France et du Président de la République, des politiques très ambitieuses à l’échelle européenne, et ce que le président a dit c’est que cette législation est ambitieuse et nous permet de tenir nos objectifs, maintenant il faut qu’on s’emploie à la mettre en oeuvre, c’est déjà une tâche très importante.*
Il n’y a pas du tout de pause dans l’ambition climatique, mais il n’y a plus besoin de rajouter des normes aux normes, maintenant il faut les mettre en oeuvre.”

Appliquons donc déjà vraiment, et partout, ce qui existe, avant de modifier encore les choses. Mais l’argument ne tient pas pour Anne Bringault du Réseau Action Climat, car la situation n’est jamais figée, elle est en constante évolution :

Je prends l’exemple du ciment : actuellement il y a du ciment bas carbone produit par des industriels qui ont travaillé avec des universitaires. Pour le mettre sur le marché, il faut faire évoluer les normes de la construction. Il faut également faire évoluer la réglementation dans les appels d’offres publics pour pouvoir incorporer un taux minimum de ciment bas carbone.”

Selon elle, c’est un message politique qui se cache en fait derrière tout ça :

“Je pense que c’est plutôt un bras tendu vers la droite […] et les industriels. On sait que les partis de droite au niveau européen demandent un moratoire sur la réglementation environnementale.”

L’Eurodéputé David Cormand est sur la même ligne :

“Ça rappelle […]Sarkozy, qui avait fait à l’époque le Grenelle de l’environnement trois ans avant de dire « l’environnement ça commence à bien faire ». Avec Macron on a un peu le même modèle, c’est lui qui raisonne en parts de marché, il a essayé de faire le truc écolo, il voit que les gens ne sont pas convaincus de ça donc il lâche complètement l’affaire pour plaire, peut-être, à un autre segment électoral”.

Du pain béni en tout cas pour ceux qui contestent l’action d’Emmanuel Macron, mais ils nient s’être engouffrés d’une façon un peu opportuniste : la parole du président doit être affrontée selon eux quand il le faut. Et c’est d’autant plus dommage dans le fond qu’il y aurait au contraire tout intérêt à miser sur les normes environnementales, et leur renforcement, parce qu’en tant que premier marché au monde, l’Union Européenne a une puissance, une force d’influence et de contrainte :

“C’est aussi un enjeu de prescrire un modèle économique alternatif à ceux qui sont en train de se déployer, que ce soit aux États-Unis ou avec la Chine. Autrement dit, si on veut vraiment parler de compétitivité du territoire européen, ma conviction c’est que c’est précisément dans la performance écologiste que nous serons les meilleurs. Si on essaie de rivaliser dans le gigantisme avec des puissances comme les États-unis et la Chine, je pense qu’on se condamne en plus d’un échec écologique, à un échec économique. »

Clairement pas la ligne du président et du gouvernement français qui promettent pourtant de l’action et des mesures fortes dans la fameuse « planification écologique » qui sera présentée dans les prochaines semaines.

Environnement : ce qui se cache derrière la « pause » voulue par Emmanuel Macron