Malgré ses engagements, la Commission européenne peine à réduire l’usage des engrais de synthèse au sein de l’UE. Pourtant, ceux-ci sont une catastrophe pour le climat, selon les écologistes.
Alors pourquoi une telle addiction ? De fait, les agriculteurs, formés avec les engrais, intègrent leur prix dans leurs coûts et calculs de rendements. En cherchant à tout prix à maximiser leurs productions, ou craignant pour leurs revenus, ceux-ci usent souvent plus de billes azotées que de nécessaire.
« Les rendements sont associés depuis des décennies à la rentabilité des agriculteurs, mais c’est faux, tranche Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab). De hauts rendements qui coûtent très cher à cause du prix des engrais ne sont pas intéressants. Si en plus ils polluent et ne sont pas efficaces, c’est la triple peine. »
Un avis partagé par Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS qui travaille à Chizé (Deux-Sèvres) avec des agriculteurs, pour leur faire modifier leurs usages de fertilisants. « Ils ne cherchent pas à maximiser leur argent mais leurs rendements, ils épandent toujours plus d’azote pour multiplier leurs gains, dans une course sans fin, résume-t-il. Ils n’optimisent pas leur système : ils ne prennent en compte ni l’ensemble des coûts ni les effets néfastes sur leur santé et l’environnement. »
Celui-ci décrit même un « schéma psychologique », soit des habitudes très ancrées dans les méthodes agricoles, qui rend la question des engrais d’autant plus sensible. Ce sujet a d’ailleurs poussé leurs confrères néerlandais à manifester : en juin dernier, le gouvernement des Pays-Bas a annoncé son « plan azote » visant à réduire de moitié les émissions d’azote du pays d’ici 2030, obligeant les agriculteurs à réduire leur cheptel et leur utilisation d’engrais. Force a été de constater que cette idée ne passe pas auprès des concernés.
Une catastrophe pour la biodiversité
Cette situation est « une catastrophe pour le climat et la biodiversité », fustige Jacques Caplat, agronome et cofondateur du Réseau semences paysannes. D’autant que cette pollution est moins souvent pointée du doigt que les autres intrants — les pesticides. Les effets des fertilisants n’en sont pas moins massifs. « Si on ne regarde que les gaz, la principale contribution à l’effet de serre de l’agriculture française et européenne est le protoxyde d’azote », poursuit le spécialiste. Environ 70 % des émissions de protoxyde d’azote sont dues à la production agricole, et majoritairement à l’utilisation des engrais, selon les chercheurs du Global Carbon Project.
Pour l’eau, même « désastre » : les nappes phréatiques sont massivement polluées par les nitrates. Deux tiers de ceux retrouvés dans l’eau proviennent de l’agriculture et, à l’heure actuelle, la plupart des eaux françaises en contiennent des teneurs supérieures à la norme fixée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) — 50 mg/L — pour l’eau potable. La situation est encore plus critique aux Pays-Bas, classés pire pays européen en 2019 en la matière : moins de 1 % de sa population avait alors accès à une eau jugée « bonne », majoritairement à cause des résidus de fertilisants.