Depuis l’introduction de l’école laïque obligatoire, plusieurs lois et circulaires ont été émises pour faire face à la multiplication des symboles religieux, chrétiens hier, musulmans aujourd’hui.
Comme un air de déjà-vu. Après les élèves voilées, puis les mères voilées,c’est désormais l’abaya et le qamis, deux vêtements amples venus du golfe Persique, qui sont dans le viseur des pouvoirs publics.
Depuis que la loi de 1882 a instauré l’instruction obligatoire, et celle de 1905 la séparation des Eglises et de l’Etat, la laïcité à l’école a été à plusieurs reprises mise à l’épreuve, puis confortée par de nouvelles circulaires et lois.
Si celles-ci visaient initialement à endiguer le retour de signes catholiques à l’école, elles ont depuis trente ans pour arrière-plan quasi exclusif les débats sur les signes d’appartenance à l’islam dans l’espace public.
1936 : premières circulaires contre les propagandes à l’école
Dans l’entre-deux-guerres, la France est fracturée entre les défenseurs de l’école républicaine et l’opposition de mouvements catholiques royalistes, nationalistes et identitaires, comme l’Action française.
Les débats n’épargnent pas la jeunesse, que plusieurs organisations tentent d’enrôler. Les jeunes militants affichent leurs préférences partisanes dans l’espace public par des insignes en forme de papillon, objets de tensions et de bagarres, jusque dans les établissements scolaires. Le ministre de l’éducation nationale, Jean Zay, proclame que « les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Le 31 décembre 1936, le radical signe une circulaire interdisant la propagande politique à l’école. Testez votre culture générale avec la rédaction du « Monde » Découvrir
L’extrême droite catholique défend aussi l’identité chrétienne de la France ainsi que le retour d’insignes religieux à l’école. Le 15 mai 1937, Jean Zay ajoute dans une deuxième circulaireun court paragraphe interdisant « les propagandes confessionnelles ». Un « simple additif, sorte de remords destiné aux ouailles laïques », minore l’historien Olivier Loubes dans la revue Vingtième Siècle.
1941 : le retour contesté des crucifix sous Vichy
Le régime de Vichy met fin à la IIIe République et à ses principes. La laïcité est remise en question. Des crucifix sont réinstallés dans plusieurs lieux publics, y compris dans les écoles, suscitant la colère des instituteurs, qui lancent en 1941 la revue résistante L’Ecole laïque.
Les réactions au sein de l’éducation nationale et sur le terrain sont suffisamment fortes pour que l’amiral Darlan, vice-président du conseil des ministres collaborationniste, concède dans une circulaire du 15 avril 1941 que l’école « reçoit des enfants de toutes les confessions » et ne saurait être placée « sous un symbole religieux ».
Dans les faits, cette circulaire n’empêche pas le retour progressif des crucifix dans les écoles publiques. Ceux-ci seront décrochés à la Libération, et en 1946, la IVe République réaffirme le caractère laïque de l’école.
1989 : à Creil, la première polémique sur le foulard
Au fil des années, les problématiques liées à la laïcité se déplacent de la religion catholique à la religion musulmane. A la fin des années 1980, le foulard islamique est porté dans plus de cent cinquante établissements, selon un rapport cité par l’ancien ministre de l’intérieur Pierre Joxe dans l’émission « Complément d’enquête ». Il ne fait toutefois pas l’objet d’une attention particulière.
La situation change à l’automne 1989, quand trois adolescentes musulmanes de 13 et 14 ans sont exclues du collège Gabriel-Havez de Creil (Oise) parce qu’elles refusent d’ôter en classe leur foulard, qui couvre cheveux et épaules. Le principal de l’établissement, Ernest Chénière, estime qu’elles ne respectent pas la circulaire de 1937 et mettent en danger la « sérénité laïque ».
L’affaire devient politique. La majorité présidentielle socialiste, qui n’y voyait qu’un simple fait divers, est prise de court par l’intensité des débats. La figure d’Ernest Chénière, qui incarne devant les caméras une posture de fermeté, est récupérée par l’extrême droite, dont il se désolidarise.
Saisi par le ministre de l’éducation d’alors, Lionel Jospin, le Conseil d’Etat rend le 27 novembre 1989 une décision nuancée : tout en proscrivant les signes religieux au caractère « ostentatoire ou revendicatif », il estime que le port du voile n’est pas incompatible avec l’exercice de la laïcité, et laisse les chefs d’établissement juger au cas par cas.
Il faudra l’intervention du premier ministre et du consul du Maroc pour qu’un compromis permette aux trois collégiennes de réintégrer le collège coiffées de leur foulard, mais cheveux nus en classe.
2004 : le voile et les autres signes religieux interdits à l’école
La question ressurgit à la fin de 2002 avec le cas d’une lycéenne voilée à Lyon. Elle est exclue de la quasi-totalité des cours, mais pas de l’établissement, après intervention du rectorat. Les enseignants, qui s’estiment démunis, se mettent en grève. « La loi demande aux professeurs de juger eux-mêmes du caractère ostentatoire. Cette prérogative est insupportable », dénonce le Syndicat national des enseignements de second degré dans Libération.
En février 2002, le député RPR Jacques Myard dépose une proposition de loi contre le « foulard islamique » à l’école, qu’il qualifie de « symbole d’une discrimination sexuelle ». Fait rare, la question dépasse les clivages politiques traditionnels : une partie de la gauche y est favorable, comme Jack Lang, tandis qu’une part de la droite s’y oppose, comme Nicolas Sarkozy.
Le président Jacques Chirac installe une commission transpartisane composée de politiques, de penseurs et d’universitaires, et présidée par le médiateur de la République Bernard Stasi. En décembre, son rapport recommande à la fois de mieux reconnaître l’islam, par exemple en intégrant l’Aïd-el-Kébir parmi les jours fériés, et d’interdire « les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ».
Ce rapport inspire la loi du 15 mars 2004 qui stipule que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Si elle cible en premier lieu le voile, cette loi bannit aussi de l’école la kippa juive, les croix catholiques de grande taille ou encore les turbans sikhs.
2011 à 2021 : amendements contre les accompagnatrices voilées rejetés
Eteintes pendant quelques années, les polémiques ressurgissent dans les années 2010. En 2011, le ministre de l’éducation nationale Luc Chatel annonce ainsi vouloir interdire aux mères accompagnatrices de sorties scolaires de porter le voile. Une circulaire est publiée en 2012, mais le Conseil d’Etat objecte que n’étant ni « agents » ni « collaborateurs » du service public, les mères voilées ne sont légalement pas soumises aux « exigences de neutralité religieuse ».
Le sujet refait surface en février 2019 quand, au nom du « combat contre le communautarisme », le député (Les Républicains, Alpes-Maritimes) Eric Ciotti tente une nouvelle fois de légiférer contre les accompagnatrices voilées. Malgré le soutien du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, l’idée est finalement rejetée par les députés.
La polémique ressurgit quelques mois plus tard, après la prise à partie d’une accompagnatrice scolaire voilée par des élus du Rassemblement national, lors d’une réunion du conseil régional en Bourgogne-Franche-Comté. L’occasion pour la droite de revenir à la charge : « S’il y a interdiction du voile à l’école, il faut qu’il soit également interdit dans l’accompagnement des voyages scolaires »,plaide le président des Républicains, Christian Jacob.
La majorité sénatoriale de droite tente à nouveau de faire passer l’interdiction du voile lors des sorties scolaires à l’été 2021, par le biais d’un amendement au projet de loi contre le séparatisme, qui tente d’étendre l’application de la loi de 2004 « à toutes les personnes qui participent au service public de l’éducation ». Mais l’Assemblée nationale rejette une nouvelle fois la proposition.
2022 : l’abaya et le qamis à leur tour dans le viseur
Le débat se recentre ensuite sur l’apparence vestimentaire des élèves. En novembre 2022, une note de l’éducation nationale observe une hausse des signalements de port d’abayas, qamis et djellabas, trois vêtements répandus dans les pays musulmans.
Le ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye publie une circulaire qui recommande le dialogue, et, en cas d’échec, une sanction « systématique et graduée ». Un texte jugé trop timide par la droite, et difficile d’application, car elle fait reporte la responsabilité sur les chefs d’établissement.
A la fin d’août 2023, son successeur, Gabriel Attal, surenchérit et annonce sa volonté claire d’interdire l’abaya et le qamis dès la rentrée. Dans une note de service, le ministère considère que le port de ces tenues « manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse » et doit motiver un dialogue avec l’élève, puis, en cas de refus, une « procédure disciplinaire ».
L’opposition de gauche est divisée entre des lignes laïciste et inclusive. Cette dernière dénonce par la voix du député (La France insoumise, Seine-Saint-Denis) Eric Coquerel, une « forme de racisme », alors que la connotation religieuse de ces vêtements est contestée par le Conseil français du culte musulman. La mesure est également jugée disproportionnée et inapplicable, abayas et qamis étant difficiles à distinguer d’autres vêtements longs.
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