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Longtemps correspondant à Jérusalem pour France 2, le journaliste raconte comment le gouvernement Netanyahou et ses prédecesseurs ont encouragé la montée du Hamas pour tordre le coup à la création d’un État palestinien. Entretien.

Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale et dirigeant du parti d’extrême droite Force juive. Photo Ronaldo Schemidt/AFP

Pendant près d’un demi-siècle, d’abord pour une radio israélienne, puis pour France 2, il a rendu compte à Jérusalem du conflit israélo-palestinien. Il en a aussi décortiqué chaque épisode dans de nombreux ouvrages. Charles Enderlin vient de publier Israël, l’agonie d’une démocratie, ultime petit livre d’intervention sur le péril que fait courir au pays le nouveau gouvernement messianique et raciste de Benyamin Netanyahou. Parallèlement, Enderlin n’a cessé d’alerter sur la complaisance de cette droite nationaliste israélienne envers le Hamas dont l’émergence réduisait à néant « la question palestinienne ». À Gaza, celle-ci a ressurgi dans un paroxysme de violence…

Comment qualifier ce qui s’est passé ce week-end autour de Gaza ?
Je ne comprends pas que certains commentateurs aient pu dans les premières heures comparer ce massacre à la guerre israélo-arabe de 1973, qui avait certes pris Israël par surprise et constitué une grande menace pour l’État. Mais en 1973, aucun civil israélien n’avait été touché, aucune localité israélienne n’avait été bombardée. L’armée se battait, le gouvernement était à la manœuvre. Là, pendant quarante-huit heures, le pouvoir a été absent. Personne n’est apparu à la télévision. Pour la première fois depuis la création d’Israël en 1948, de petites localités israéliennes, vingt-deux en tout, ont été occupées à partir de 7 heures du matin, leurs habitants massacrés, et les premiers militaires intervenus pour essayer de sauver des survivants sont arrivés autour de 17 heures. C’est un événement d’une portée sans aucune mesure avec toutes les guerres qu’Israël a connues. Le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah. Mille deux cents cadavres sont entreposés, des milliers de gens ne savent pas où sont leurs proches. Deux kibboutz ont été rayés de la carte. Incontestablement, l’événement le plus traumatique de l’histoire d’Israël.

Gaza semblait pourtant « calme » depuis deux ans ?
Il ne faut jamais oublier l’Histoire ! À la fin de la guerre israélo-arabe de 1948, la bande de Gaza, où se sont réfugiés 170 000 villageois palestiniens, est occupée par l’Égypte, qui administre le territoire jusqu’à la victoire, en 1967, des Israéliens, qui occupent Gaza. À cette époque, les communistes du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) sont majoritaires à Gaza. Dans les cafés, on peut boire de la bière, il y a même un cinéma. L’ennemi, pour les Israéliens, c’est cette gauche palestinienne qui peut commettre des attentats ; c’est ceux-là qu’il lui faut combattre. Le gouverneur israélien reçoit alors un cheik tétraplégique et malvoyant, Ahmed Yassine, qui veut faire du social. Pendant vingt ans, les Israéliens vont soutenir l’islam radical à Gaza, représenté par l’« union islamique », alors qu’il s’agit de la branche la plus extrémiste des Frères musulmans. Tout cela jusqu’en août 1988, où les Israéliens découvrent que la charte du mouvement que Yassine a créé, le Hamas, prévoit la destruction d’Israël…

Galvanisés par leurs ministres d’extrême droite, les colons échappent désormais à tout contrôle.

Pourtant, les Israéliens se retirent de Gaza en 2005. Pourquoi ?
C’est Ariel Sharon qui a voulu ce retrait, avec une nouvelle stratégie. L’idée était de laisser l’enclave au Hamas. Il était persuadé qu’ainsi il n’y aurait jamais d’accord sur un État palestinien. Le retrait se fait sans la moindre coordination avec l’Autorité autonome palestinienne qui n’est pas autorisée à déployer un bataillon de police supplémentaire. Pourtant, les renseignements militaires israéliens ont averti : sans renforts, le Fatah et la police de Mahmoud Abbas ne pourront pas faire face au Hamas. En juin 2007, l’organisation islamiste passe à l’action. Les fonctionnaires de l’Autorité autonome sont expulsés. Les casernes de police sont prises d’assaut. Il y a 110 morts, 550 blessés, des militants du Fatah pour la plupart. L’armée israélienne n’intervient pas aux côtés de son alliée, la police de Mahmoud Abbas.

Deux ans plus tard, Benjamin Netanyahou reprend la stratégie de Sharon d’affaiblissement de l’Autorité autonome et de l’OLP. Aucun accord politique n’est conclu avec Mahmoud Abbas, impuissant face au développement de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Netanyahou maintient le blocus de Gaza, mais en autorisant le financement du Hamas par le Qatar. Régulièrement, un émissaire qatari arrive à l’aéroport Ben Gourion avec des valises de billets. La police israélienne l’escorte jusqu’au poste-frontière d’Erez où la somme est remise au Hamas. Avec les autorisations quotidiennes de sortie de 15 000 travailleurs gazaouis, la paix, ces deux dernières années, semble régner sur l’enclave…

Que change l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en décembre 2022 ?
Dans ce dernier gouvernement Netanyahou, qui intègre des ultra-orthodoxes et des sionistes religieux, on trouve de vrais racistes comme le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, adepte du rabbin Kahane. Leur seule obsession : la totale conquête territoriale de la Cisjordanie. Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux, est ministre des Finances, mais aussi ministre délégué à la Défense, en charge de l’administration civile de la Cisjordanie. Avec lui, depuis le début de l’année, la violence monte, les colons font régner la terreur. En février, après le meurtre de deux colons près de Naplouse, une centaine d’entre eux ont encerclé le village palestinien de Huwara, incendié et dévasté les maisons, tiré sur les habitants, réalisant selon un général israélien un véritable pogrom. Galvanisés par leurs ministres d’extrême droite, les colons échappent désormais à tout contrôle. L’armée a donc envoyé de nombreuses unités, dégarnissant les abords de Gaza. Mais voilà, Gaza était faussement calme et le Hamas n’était pas le gentil mouvement religieux avec lequel Israël a fait affaire pendant des décennies.

Itamar ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux, ministre des Finances, et ministre délégué à la Défense. Photo Abir Sultan/AFP

Concrètement, comment le gouvernement lui apportait-il son soutien ?
Israël laissait faire. Certes, lors de l’envoi de roquettes sur son territoire, il répliquait. Mais le blocus de Gaza ne visait pas du tout à renverser le Hamas. À plusieurs reprises, l’armée israélienne a su où se trouvait sa direction politique et militaire, mais à aucun moment elle n’a reçu l’ordre de les liquider. En 2009, j’ai publié mon livre Le Grand Aveuglement. Israël et l’irrésistible ascension de l’islam radical – j’ai fait de même en 2013 avec Au nom du Temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif. J’ai toujours voulu expliquer au public français ce qui se passait au Proche-Orient. Mais depuis presque un an, je constate une véritable omerta en France sur l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite israélienne religieuse, messianique, raciste et homophobe. Je n’ai pas vu non plus un seul journal télévisé sur les gigantesques manifestations hebdomadaires à Tel-Aviv contre la réforme judiciaire de Netanyahou, qui menace la démocratie israélienne. En France, on hurle quand est prononcé le mot apartheid à propos de ce qui se passe en Cisjordanie. Pourtant, en Israël, c’est l’ancien patron du Mossad, Tamir Pardo, qui prononce ce mot d’apartheid, et personne ne l’accuse d’être antisémite.

Aujourd’hui, c’est cette gauche qui avait envahi les rues contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou qui se mobilise et pallie les défaillances de ce gouvernement. Les ONG et les réservistes de l’armée, voyant que le gouvernement n’aide pas les réfugiés de la région de Gaza, collectent des vêtements. Et savez-vous ce que ce gouvernement devait faire voter cette semaine à la Knesset ? La dispense totale du service militaire pour les jeunes étudiants des écoles ultra-orthodoxes. Leur bourse d’études dépasse la solde des soldats du contingent qui portent l’uniforme et vont risquer leur vie. Contre un régime raciste, discriminatoire, injuste, qui entraîne le peuple israélien dans le désastre, la lutte doit être radicale. Enfin, il faut bien le dire, toute personne qui a soutenu la politique de colonisation de Netanyahou soutenait de fait le renforcement du Hamas.

Comment la droite nationaliste israélienne a fait le jeu du Hamas : l’éclairage de Charles Enderlin