Dans certains centres-villes qui se paupérisent et se vident de leurs commerces, les municipalités expérimentent des solutions afin de redevenir attractives. Les villes veulent d’abord redonner le goût de la ville à leurs habitants, mais s’adressent aussi aux entrepreneurs, aux investisseurs et aux touristes.
Chiffres-clés
Sur 500 centres-villes étudiés par Procos, la fédération du commerce spécialisé, c’est le secteur de l’habillement qui a perdu le plus de boutiques, passant d’une occupation de 22,7 %, en 2012, à 17,2 %, en 2022, au profit de la restauration, notamment rapide, qui est passée de 2,4 % à 4,9 % durant cette période. Chausseurs et bijoutiers reculent aussi, mais dans une moindre mesure.
Dans la ville de Romans-sur-Isère (32 900 hab., Drôme), le 28e appel à projets « Shop’in Romans » a démarré. La mairie y propose un nouveau local commercial à un accessoiriste, un plumassier ou, pourquoi pas, à un chapelier, qui rejoindra les autres métiers d’arts récemment implantés dans le centre.
La stratégie municipale, lancée en 2015, doit poursuivre la résorption de la vacance, qui vidait les rues étroites de cette commune au riche passé manufacturier. Les mesures entreprises ont contribué à accompagner la transformation des usages et à redonner une vocation au centre. Soutenue par l’Anru et le programme Action cœur de ville, Romans a réduit sa vacance commerciale de 18 % à 10 % entre 2017 et 2022.
Recensement des locaux commerciaux
Ce taux de vacance sert de thermomètre au dynamisme d’une ville. Trop de locaux vides donnent de la fièvre aux élus. Dans une tribune, rendue publique le 8 mars, l’association Villes de France ne s’y trompe pas : « Le maintien des commerces de qualité en centre-ville est devenu, année après année, une politique publique pleine et entière, dont les maires se sont saisis en mobilisant, avec leurs équipes, des moyens importants. […] L’accompagnement des commerçants, comme celui des propriétaires, est maintenant incontournable. »
Les maires demandent une politique fiscale mieux adaptée, le retour du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, supprimé en 2019, et l’ouverture d’une réflexion sur la territorialisation du commerce pour « envisager une meilleure équité fiscale entre tous [s]es acteurs ».
Face à l’évolution des modes de consommation, peut-on vraiment ériger la réouverture de commerces en stratégie de développement ? Romans-sur-Isère a choisi une autre voie. « Nous avons adopté un positionnement singulier, qui nous distingue, en accordant une place particulière aux métiers d’art, indique Emmanuel Dubreucq, le directeur “attractivité, développement et innovation”. Cette approche nous a conduits à développer plusieurs outils de travail visant à rendre le parcours marchand plus agréable, en travaillant sur les rez-de-chaussée du centre. » Le PLU, révisé l’an dernier, a écarté les « vitrines froides » des banques et des assurances des places importantes pour leur préférer des commerces de bouche.
Un observatoire des locaux commerciaux a été créé, un « réacteur de l’action de la ville » grâce auquel les commerces, leur surface, leur configuration, leur état et, surtout, leur propriétaire ont été recensés. « Cela nous permet de solliciter directement les propriétaires qui se désintéressent de leurs biens déjà rentabilisés afin de valoriser ces locaux en friche, à moindres frais », poursuit Emmanuel Dubreucq. Romans loue les locaux contre travaux, en vue de l’installation d’un artisan, qui paiera un loyer minoré. Le budget de mise en œuvre de cette action est modeste – 25 000 euros par an –, mais le résultat convaincant.
Espace rendu aux piétons
A Arras (42 600 hab., Pas-de-Calais), le taux de vacance a chuté de 22 % en 2016 à 7 % l’an dernier, période durant laquelle la ville devenait piétonne. Le travail sur « la qualité de la déambulation », entamé en 2010, porte vraiment ses fruits depuis cinq ans, selon la mairie. « Si les gens apprécient tant les galeries commerciales, c’est aussi parce que l’on peut s’y promener en toute sécurité », note Maximilien Dumoulin, responsable de la cohérence et de la qualité du projet urbain.
Dans cette commune reconstruite « pour la voiture » après-guerre, la municipalité rend petit à petit du terrain aux piétons. « On a commencé par fermer l’accès aux voitures à l’une des grandes places le week-end, le soir, puis durant les vacances afin de permettre aux habitants et, surtout, aux commerçants, très inquiets du projet, de s’y habituer et de constater les effets positifs », relate-t-il. Plus qu’une tendance, la mise à l’écart des véhicules dans le but de favoriser d’autres modes de déplacement s’impose. Rues des écoles, « magistrales piétonnes » (axes structurants qui lient de façon directe les centralités de quartier), itinéraires pédestres, parcours sportifs, ludiques… Partout, des initiatives sont déployées.
Toutefois, Maximilien Dumoulin précise que l’on ne peut s’arrêter là : « Se contenter de piétonniser ne suffit pas, il faut travailler dans le même temps sur la qualité des logements, la valorisation du patrimoine ou l’animation de l’espace urbain. »
Un projet global auquel il convient de donner du sens, en déterminant une politique publique la rendant lisible. Ernée (5 600 hab., Mayenne), engagée dans le programme Petites villes de demain, s’est lancée dans un état des lieux de ses besoins en vue de définir une stratégie de revitalisation. Elle a choisi de recréer un centre-ville désirable et convivial. Ainsi, elle mise sur un projet culturel de moyen terme en transformant une friche centrale en une médiathèque et un cinéma. La mairie parie aussi sur la convivialité et la participation des habitants. Emma Lorée, la cheffe de projet « petites villes de demain », s’appuie sur une « équipe citoyenne » pour l’animation.
Avec son aide, la ville va renouveler les guinguettes sur la place de l’église, un rendez-vous estival qui a déjà réuni, l’an dernier, un public venu du bourg et de ses environs autour d’un repas, de jeux et de concerts. « La place était pleine tous les vendredis et les établissements des rues adjacentes aussi ! s’étonne-t-elle encore. Cet événement récurrent a fait retrouver aux habitants le chemin du centre-ville et, même si cela ne résout pas tout, c’est encourageant. »
Donner une raison de revenir
L’institut Paris Région a identifié, dans une parution de décembre 2022, 30 bonnes pratiques pour redynamiser les cœurs de ville. Plusieurs relèvent de choix politiques engagés : réindustrialiser le centre, comme l’a fait Châteauroux en implantant un maroquinier sur une friche commerciale de 1 500 mètres carrés en 2019, développer l’animation nocturne en travaillant aussi bien sur la fête que sur ses nuisances, à l’image de Nantes, ou encore développer l’agriculture urbaine. Colomiers (40 200 hab., Haute-Garonne) a installé, il y a deux mois, trois jeunes agriculteurs en ville, sur huit hectares. Sa démarche de « ville fertile » s’inscrit dans une « boucle vertueuse », qui réunit la valorisation de la nature, la lutte contre les îlots de chaleur, la préservation de la biodiversité et la promotion des circuits courts.
Redynamiser le cœur de ville revient à redonner une raison aux habitants de retourner dans le centre pour y vivre, faire des achats, se balader ou déjeuner. Dans leur livre « Rez-de-ville, la dimension cachée du projet urbain » (Ed. de La Villette, 2023), les architectes et urbanistes David Mangin et Soraya Boudjenane balayent les solutions qui consistent à recréer, d’une façon ou d’une autre, la ville du Moyen Age. Ils suggèrent de rompre avec les habitudes en regardant la ville par ses itinéraires et non par ses centralités.
Et, au concept de « la ville du quart d’heure », où tous les services seraient accessibles en quinze minutes à pied, ils préfèrent celle des « 3P » pour « passante, poreuse et profonde ». Une ville dans laquelle on réfléchit aux trajets effectués au moyen de mobilités douces, entre les logements et les écoles, les bureaux ou les gares, en proposant davantage de traverses et d’accès aux cours. Marcher trente minutes sur un parcours confortable, voire agréable ou ludique, pour aller travailler deviendrait alors plus naturel que de passer ce temps en voiture, avec ses inconvénients. Et, sur ce chemin, des commerces pourraient bien retrouver leur place.
Focus
La place autour de laquelle on se bouscule sera repensée en prenant le temps de la concertation
[Marseille, Bouches-du-Rhône, 873 100 hab.]
En 2018, après des semaines d’affrontements musclés entre police et manifestants, c’est derrière de hauts murs de béton armé que la ville de Marseille a lancé les deux ans de travaux de requalification de la vaste place Jean-Jaurès. Un souvenir qui a durablement marqué les habitants du secteur. Alors, quand la nouvelle municipalité a annoncé, en 2022, qu’elle s’attaquait à la place Sébastopol, un autre espace emblématique du quartier, elle a tout de suite indiqué vouloir prendre son temps.
Dans le manifeste « Pour des espaces publics méditerranéens accueillants, résistants et résilients », Perrine Prigent, l’adjointe au maire chargée de l’amélioration des espaces publics (en photo), évoque une « révolution dans la méthode » de conception de l’aménagement : « Parce qu’un projet “en chambre” est rarement réussi, il faut prendre le temps de recueillir la parole, de tester les usages et les programmes pour, ensuite, déployer une action pérenne éclairée et rapide. »
Sur cette place « rond-point » structurante, au fil de la journée, le parking cohabite avec le marché et, autour, les riverains se bousculent sur des trottoirs étroits afin de rejoindre les commerces et les restaurants. La requalification s’appuie sur cette vocation multiple. Elle vise à redonner de l’attractivité au quartier et à conforter le dynamisme économique. Mais elle pose aussi des principes nouveaux : promouvoir une circulation apaisée et inclusive, désimperméabiliser et végétaliser l’espace et créer un lieu de rencontres et de partage intergénérationnel.
Des préceptes qui laissent sceptiques l’opposition et la plupart des commerçants, inquiets de voir les voitures chassées. Des aménagements transitoires seront testés et le projet final ne sera présenté à la métropole, maître d’ouvrage du chantier, qu’en 2025.
Contact : Perrine Prigent, 04.91.55.11.11.