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Anne-Christine Poujoulat / AFP

En 2022 se tiendra à Kunming (Chine) la quinzième Conférence des parties sur la diversité biologique (COP15) – à ne pas confondre avec la COP26 sur le climat, prévue à Glasgow en novembre 2021.

Dans ce cadre, la Convention des Nations unies sur la diversité biologique travaille sur un projet à adopter, en s’appuyant sur de grands objectifs qui mêlent efficacité (améliorer l’intégrité des écosystèmes, des espèces et de la diversité génétique) et répartition sociale de l’effort à fournir (partage des ressources génétiques et financement des actions).

Sont ravivés ici les débats sur la compatibilité entre lutte pour la préservation des ressources naturelles et lutte contre les inégalités sociales. À l’heure où le langage de la transition socioécologique s’impose, certaines questions restent en suspens : qui a le plus d’impacts sur l’environnement, qui supporte le coût de sa protection et qui en bénéficie le plus ?

Politiques environnementales et justice sociale

Certains auteurs défendent l’hypothèse selon laquelle les populations les plus riches ont certes le plus d’impacts négatifs sur l’environnement mais sont aussi les plus capables d’y remédier.

D’autres études, menées à l’échelle des rapports nord-sud ou à celle d’États, démontrent au contraire que non seulement les populations les plus pauvres sont celles qui polluent le moins, mais qu’elles contribuent le plus aux politiques de protection de l’environnement et, paradoxalement, bénéficient le moins de leurs effets.

Ces questions et les controverses qu’elles ont soulevées ont été au cœur du programme « Effort environnemental comme inégalité : justice et iniquité au nom de l’environnement » (2014-2020), que nous avons initié en rassemblant une trentaine de chercheurs en sciences humaines et sociales.

Nous nous sommes penchés sur ces sujets à travers la notion d’« effort environnemental », avec cette interrogation : en quoi les politiques environnementales qui requièrent cet effort contribuent-elles à créer, renforcer ou diminuer les inégalités sociales et environnementales ?

Des inégalités aggravées

Nous avons formulé l’hypothèse d’un effort environnemental plus élevé des populations socialement vulnérables.

Cette hypothèse a été mise à l’épreuve de l’application, sur plusieurs terrains (La Réunion, Marseille et ses environs, Les Deux-Sèvres, Pyrénées-Atlantiques), de politiques environnementales sectorielles : celle des parcs nationaux pour la biodiversité et celles des mesures agroenvironnementales (MAE) et captages Grenelle pour l’eau.

Nos travaux révèlent que les politiques environnementales de la biodiversité et de l’eau tendent, dans ces zones, à institutionnaliser si ce n’est à aggraver les inégalités. La contribution qu’elles demandent a plus d’effets sur les populations les moins à même de défendre leurs usages et leurs droits d’accès à la nature.

Des mesures moins favorables aux plus pauvres

Lors de la mise en place du Parc national des Calanques et celui de La Réunion, les usages les plus populaires de la nature (comme espace public, de pique-nique ou de prélèvements) font à la fois partie des pratiques jugées les plus problématiques et les moins représentées dans les instances de ces derniers.

Autre exemple, pour améliorer la qualité de l’eau en France, les efforts les plus importants sont demandés à l’ensemble des consommateurs, via la hausse du prix de l’eau. Ce prix étant le même pour tous, il est plus difficile à supporter pour les ménages les plus pauvres.

Par ailleurs, les bénéfices de ces politiques sont le plus souvent captés par les publics relativement les plus puissants, tant en termes d’effets environnementaux produits que de compensations (monétaires ou non) octroyées. Les parcs nationaux favorisent l’accès à la nature et les usages prisés par les classes moyennes supérieures ainsi que les acteurs économiques qui développent ces usages (plaisance, plongée, etc.).

De la même manière, les mesures agroécologiques sont adaptées aux exploitations agricoles d’une certaine dimension et non aux plus petites, ne serait-ce parce que l’indemnité financière est proportionnelle à la superficie.

Contribution et effort, deux notions distinctes

Lors de la conception de notre projet de recherche, nous assimilions l’effort environnemental à une contribution demandée par les politiques publiques. Or effort et contribution sont à distinguer pour au moins trois raisons.

La première est qu’une contribution peut ne pas être vécue comme un effort, y compris par ceux qui y souscrivent. C’est le cas des modes d’habitation sobres et précaires dans les espaces de nature protégés. C’est aussi le cas des agriculteurs qui, au titre d’une mesure agroenvironnementale souscrite volontairement, perçoivent une indemnité financière pour utiliser moins d’engrais azotés ou de pesticides de façon à diminuer les risques de transferts de résidus contaminants dans les ressources en eau (nappes ou rivières).

La deuxième raison tient au fait que la contribution n’est pas toujours visible. Prenons l’exemple de l’eau : combien de personnes savent que la qualité de l’eau potable repose sur des solutions curatives (interconnexion des réseaux d’eau, fermeture des captages les plus contaminés, usines de dépollution) plus que sur la restauration de la qualité de l’eau à la source qui nécessite des solutions préventives (diminution des pollutions en amont) ? Pas grand monde, alors que le coût de ces usines et des interconnexions est reporté sur la facture d’eau de chacun d’entre nous.

Enfin, une même contribution peut générer un effort différent selon les ressources économiques des personnes. C’est le cas des dispositifs de protection des ressources naturelles, comme l’interdiction de cueillir les espèces endémiques : la même participation est demandée à tous les usagers, indépendamment de leur degré de dépendance à la ressource et au périmètre de protection défini. À contribution égale, l’effort à fournir ne revêt pas les mêmes proportions.

Les conditions d’un effort mieux réparti

Ainsi, à la différence d’une contribution définie pour un résultat escompté par un dispositif d’action publique, l’effort doit être contextualisé : il est relatif, certaines de ses dimensions étant plus importantes que d’autres pour l’activité ou le choix de vie des personnes.

Indissociables de valeurs éthiques (liberté, autonomie), d’attachement à un lieu ou d’inscription dans une filiation, ces dimensions, incommensurables, ne peuvent pas être compensées par une indemnité monétaire.

L’effort environnemental « juste » serait donc proportionnel à l’impact écologique (difficile à évaluer) et tiendrait compte des inégalités existantes, afin de les réduire ou a minima de ne pas les aggraver. Ceci implique d’évaluer les conséquences économiques et sociales de la contribution demandée.

En ce sens, si cette contribution est répartie selon le principe d’une égalité arithmétique, observée dans nombre de politiques environnementales (égalité d’objectifs ou de moyens attribués), la répartition de l’effort environnemental ne pourra ni être équitable ni faciliter la transformation socioécologique attendue.

Pourquoi l’effort environnemental pèse sur les plus vulnérables