Ce sont jusqu’à 20 000 ha de vignes qui pourraient disparaître dès cette année en Gironde, dans le cadre mais aussi en dehors des plans de soutien à l’arrachage. Avec nombre de viticulteurs en plein désarroi, il faut pourtant envisager l’avenir.
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AQUI ! PUBLIÉ LE 11/07/2024 PAR Solène MÉRIC
Face à une crise viticole portée par la « « déconsommation » du vin et notamment du vin rouge », l’arrachage vise à « rajouter de la valorisation aux productions en rééquilibrant une offre devenue bien trop importante », rappelle Stéphane Gabard, président de l’ODG Bordeaux et Bordeaux supérieur. Une situation terrible pour nombre de viticulteurs du Bordelais mais face à laquelle, il faut parvenir « à rester conquérant et voir le coup d’après », insiste-t-il.
Envisager le « coup d’après » justement, et l’avenir des territoires ruraux de Gironde, telle était l’ambition d’une table ronde organisée par la Safer Gironde à l’occasion de sa conférence départementale du foncier rural début juillet. Mais quel coup d’après? Cultures, forêt, production énergétique ? Friches, oenotourisme, renaturation ? Vignes à nouveau… ?
Pour l’heure en tout cas, alors que les pelleteuses ont largement démarré leur travail d’arrachage dans les vignobles girondins, ce qui interpelle Jean-Luc Lamaison, maire de Nérigean, ce sont les paysages. « Vont-ils se refermer sur eux-même ou va-t-on voir de nouvelles cultures apparaître ? » Question d’autant plus cruciale pour l’élu, également vice-président de La Cali, la communauté d’agglomération de Libourne, que cette dernière est justement en cours de rédaction du futur Plan Local d’Urbanisme intercommunal, qui va devoir anticiper ces dynamiques d’adaptation à l’échelle de son territoire. Mais les élus, qui commencent à imaginer des programmes et politiques de soutien pour accompagner les viticulteurs dans leurs projets à venir, ne sont pas les seuls à s’interroger sur le retournement partiel du territoire.
Trois modes de diversification possibles
La Chambre d’agriculture de Gironde s’est elle aussi sérieusement penchée sur la question. Elle a créé un pole « diversification » à destination de ces viticulteurs touchés par la crise. « Nous avons analysé et proposé trois modes de diversification possibles, présente François Rauscher en charge de cette opération. D’abord, rester à petite échelle, c’est-à-dire développer une production en circuit court avec par exemple 50 poules, quelques moutons et un champ de patates ».
Autre possibilité proposée : « profiter des filières qui préexistent sur le territoire, ou sur des départements voisins, pour développer d’autres productions grâce à des acteurs ou des coopératives fortes. On pense au kiwi avec KSO, à la noisette avec KOKI ou encore à des productions animales à haute valeur ajoutée à travers Palmagri ou le GEG (Groupement des éleveurs girondins, ndlr) ». Et de citer par exemple, l’Agneau de Pauillac, « c’est une pépite historique du département, complètement sous-exploitée », regrette-t-il.
Enfin, troisième voie de diversification envisageable et déjà constatée sur le terrain : celle choisie par ceux qu’il appelle « les pionniers ». Les viticulteurs qui se lancent dans des productions nouvelles qui n’existent pas encore dans le département comme l’olive, le chanvre…« avec le défi de réussir à créer un débouché qui n’existe pas encore lui non plus », nuance-t-il.
A côté de la vigne, l’olivier peu à peu fait son nid
Si la théorie est bien sûr séduisante, le passage à la pratique n’est pas si simple. Outre des investissements que les viticulteurs ne sont pas toujours en mesure d’assumer au regard de la situation actuelle, il faudra aussi bien souvent en passer par une nécessaire formation à un nouveau métier… venant s’ajouter à celui de viticulteur. On ne fait pas du vin comme on élève des agneaux.
Malgré leurs difficultés actuelles, et alors qu’un certain nombre de jolis projets pourraient être imaginés, il y a un aspect psychologique très fort que l’on avait initialement sous-estimé
Mais penser diversification, c’est bien souvent aussi un cap psychologique à passer. « Sur les 350 viticulteurs que nous avons rencontrés, une centaine avance plus ou moins bien dans leur projet », estime le responsable. Au-delà de ceux qui « ont déjà vraiment un projet en tête et de ceux qui sont restés polyculteurs éleveurs, pour qui il est plus facile d’imaginer faire autre chose, ou rééquilibrer leurs activités, un grand nombre de ces vignerons, ne sont pas encore prêts à passer le pas. Malgré leurs difficultés actuelles, et alors qu’un certain nombre de jolis projets pourraient être imaginés, il y a un aspect psychologique très fort que l’on avait initialement sous-estimé », reconnaît François Rauscher. « Enfin, il y a aussi ceux qui sont malheureusement déjà au bout, dans de très grandes difficultés financières notamment. Ceux-là nous inquiète beaucoup ».
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Quant à basculer une partie de la production de vin rouge vers des vins blancs, rosés, moins concernés par la crise, ou vers des crémants qui ont ces temps-ci le vent en poupe, le président de l’ODG, tient à freiner les élans. « C’est une solution que l’on ne préconise pas. Si tout le monde y va, cela risque de déstabiliser le segment » et du même coup, amener la crise là où elle n’est pas…
Des restructurations foncières nécessaires
Décidément loin d’être une baguette magique, la diversification des activités des viticulteurs touchés par la crise, doit faire face à la réalité, parfois économique, parfois foncière. Sur le terrain, les parcelles arrachées, parfois mal arrachées, sont souvent petites, voire « minuscules » et réparties un peu partout dans le paysage. Quelles que soient les diversifications envisagées, des restructurations foncières seront nécessaires. Selon les cultures, l’accès à l’eau, « archi réglementé », ne sera pas des plus évidents, et encore moins les débouchés, comme ces nombreux viticulteurs tentés de faire du foin. « Il y a sans doute beaucoup de chevaux en Gironde, mais il va falloir qu’ils aient faim si tous ces projets devaient se réaliser », se permet François Rauscher dans un sourire compatissant. La promesse en tout cas, « c’est que le travail sera long et laborieux, mais on y croit ».
Une manne foncière pour la compensation environnementale ?
Pour ce qui est des surfaces arrachées avec le soutien de l’enveloppe Etat du plan d’arrachage convenu avec la profession, soit 6 000 ha cette année (sur les 8 000 envisagés sur 2 ans), cette question de la diversification vers une autre activité agricole, ne se pose même pas. Pour ces surfaces en effet, seuls deux avenirs sont autorisés par l’Etat : leur boisement, qui concerne d’ores et déjà 2 500 ha, ou leur renaturation pour les 3 500 ha restants. Ici « pas de pacage, donc pas d’élevage et pas de fauche possible pendant 20 ans », rappelle Michel Lachat, directeur de la Safer 33.
Ces surfaces rendues à la nature pourraient-elles donc servir le marché de la compensation environnementale ? La question se pose d’autant plus quand le projet de LGV GPSO est en recherche, via la Safer de Gironde, de 4000 ha minimum, pour compenser sa concrétisation future. Pas si simple, répond le directeur. Plusieurs contraintes encadrent la compensation environnementale. Parmi elles, « un impératif de proximité de 10 km de part et d’autre de l’emprise de la ligne. Il faut aussi une parcelle qui puisse rendre les mêmes services environnementaux que la parcelle artificialisée, tout en appartenant aussi au même réseau hydrographique et au même bassin versant. En outre, la durée de la mesure compensatoire est envisagée a minima envisagée sur 40 ou 50 ans…»
Pourquoi ne pas transférer les obligations environnementales pesant sur une parcelle vers une autre ?
Autre difficulté de taille déjà évoquée : l’impossibilité, sur les parcelles arrachées, d’installer des activités agricoles, quand bien même les pratiques seraient encadrées par une charte agro-environnementale, comme à l’habitude de le faire le service environnement de la Safer qui, tout en veillant à la protection de l’environnement ne perd pas de vue sa mission de maintenir une activité agricole dans les campagnes.
LGV GPSO : le casse-tête de la compensation environnementale
Tout cela « complique le jeu », même si la structure ne compte pas abandonner la partie. Elle se veut force de proposition et Michel Lachat son directeur, plaide par exemple, auprès des services de l’État, « pour une possibilité de transférer les obligations environnementales pesant sur une parcelle vers une autre », afin de faciliter le travail de compensation tout en permettant de le rendre plus efficace. « Cela nous permettrait de constituer des ensembles fonciers cohérents, plutôt que de tenter la compensation environnementale sur de multiples confettis de surface », indique-t-il.
Quid de l’agrivoltaïsme ?
Enfin dernière piste de diversification évoquée lors de cette table ronde : l’agrivoltaïsme. Du point de vue de la recherche, les choses avancent pour tenter de trouver sur divers types de territoire, le bon équilibre entre productions agricoles et panneaux photovoltaïques, mais le cadre réglementaire lui, malgré quelques avancées récentes, reste « dans le flou total », pointe Quentin Hans, délégué général de la Fédération nationale des producteurs agrivoltaïques. Et les bouleversements en cours à la tête du pays, vont plutôt avoir tendance à retarder, voire à remettre en cause, les perspectives qui avaient enfin été posées par le gouvernement avant les élections, estime un peu las, le spécialiste.
Agriculture et centrales solaires, un mariage électrique ?
Un sujet de l’agrivoltaïsme qui ne met pas tout le monde d’accord à la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, reconnaît Stéphane Gabard. «Certains considèrent que les panneaux sur les vignes ne seront sans doute pas un élément très porteur pour les paysages de nos appellations », surtout lorsque celles-ci tentent de jouer la carte de l’oenotourisme. Une autre piste de diversification à renforcer… si les viticulteurs en ont les moyens financiers et la motivation. Comme la table ronde a aussi permis d’en témoigner, nombre d’entre eux restent à cette heure, exsangues financièrement et moralement, face à ce qu’ils considèrent comme une perte de leur patrimoine, et bien souvent du travail d’une vie.