Des associations de défense de l’environnement ont saisi le Conseil d’Etat pour obtenir la suspension de l’arrêté qui a permis la réintroduction d’insecticides fatals pour les abeilles.
Compter les abeilles est un exercice périlleux, et nul n’est à l’abri de quelques erreurs. Mais celles-ci finissent parfois inscrites dans la loi, comme par exemple dans l’arrêté du 5 février, qui encadre la réintroduction des néonicotinoïdes sur la betterave. C’est ce que confient plusieurs membres du conseil de surveillance constitué par le gouvernement pour donner l’avis des parties prenantes (agriculteurs, associations, instituts techniques, etc.) sur les conditions du retour de ces insecticides. L’une des concessions accordée aux planteurs de betterave, disent-ils, est le fruit d’une erreur d’écolier : la confusion entre quantité et densité d’abeilles à l’hectare. Une petite erreur qui, transcrite dans la loi, pourrait avoir d’importantes répercussions sur les butineuses. Lire aussi Les néonicotinoïdes officiellement autorisés pour 120 jours dans les champs de betteraves sucrières
L’un des enjeux du retour des néonicotinoïdes sur la betterave est celui des cultures ultérieures. En effet, lorsque des semences enrobées d’insecticides sont plantées, seule une petite fraction du produit est absorbée par la plante. La plus grande part demeure dans le sol et peut contaminer les cultures ultérieures. D’où la nécessité d’attendre un à trois ans avant de resemer des cultures attractives pour les abeilles (colza, maïs, etc.). Mais les agriculteurs réclamaient de pouvoir replanter sans délais du maïs sur les parcelles de betterave traitées.
Le 22 janvier, le conseil de surveillance débattait de cette question. « A la fin de la réunion, les représentants de la filière betteravière ont affirmé qu’une étude montrait que 80 % des abeilles présentes sur les parcelles de maïs se trouvaient en périphérie des champs, dans les huit premiers mètres des parcelles, explique au Monde un participant. Et qu’en conséquence, un agriculteur s’abstenant de traiter les betteraves sur une bande de huit mètres en périphérie de parcelle devrait pouvoir replanter du maïs dès l’année suivante. »
Maïs « périphérique »
Ce maïs « périphérique », supposé accueillir 80 % des abeilles fréquentant le champ, pousserait alors sur un sol non contaminé par les néonicotinoïdes. Au cours de la réunion, certains s’indignent car nul n’a vu l’étude en question, mais la majorité adopte la mesure d’atténuation, finalement intégrée à l’arrêté du 5 février. Lire aussi Néonicotinoïdes : le Conseil constitutionnel valide la loi levant partiellement leur interdiction
Peu après la réunion, l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) obtient l’étude en question et l’analyse dans une note datée du 12 février, que Le Monde a pu consulter. « Cette étude ne dit absolument pas que 80 % des abeilles qui fréquentent les parcelles de maïs se cantonnent à la bande des huit premiers mètres, dit-on à l’ITAB. Elle dit qu’au cours de l’expérience, 80 % des abeilles observées l’ont été dans cette bande, mais simplement parce que ce sont les premiers rangs qui ont été les plus échantillonnés ! »
L’étude n’en fait pas mystère et évalue explicitement les densités d’abeilles dans les différents secteurs des champs étudiés. Sur la foi de ces données, l’ITAB a calculé que pour protéger 80 % des abeilles sur 50 hectares de maïs (soit un carré de 707 mètres de côté), la bande périphérique non-traitée ne devrait pas être large de huit mètres, mais de… 189 mètres.
Interrogé sur ce hiatus, le président de l’Institut technique de la betterave (ITB), Alexandre Quillet, qui avait présenté la fameuse étude à la réunion du 22 janvier, dit ne pas avoir de réponse. « Nous n’avons pas suffisamment de données pour dire que tout est blanc ou noir », dit-il. De son côté l’association Agir pour l’environnement, membres du conseil de surveillance, annonce saisir en référé le Conseil d’Etat pour obtenir la suspension de l’arrêté.