Toujours en vigueur en Alsace-Moselle, le Concordat autorise des dérogations aux principes de laïcité, notamment en ce qui concerne le financement des lieux de culte.
L’exception concordataire d’Alsace-Moselle serait-elle moins consensuelle, sur place, qu’on ne le dit habituellement ? C’est ce que laisse penser un sondage publié mardi 6 avril, commandé à l’IFOP par le Grand Orient de France, tenant historique de la laïcité, et dont Le Monde présente les résultats.
Le bien-fondé de la subvention de 2,5 millions d’euros à un projet de mosquée, voté par la municipalité de Strasbourg et contesté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, en mars, a relancé le débat autour du droit des cultes en vigueur dans les trois départements d’Alsace-Moselle, où la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas. Soulevé par des députés lors de la discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République, en février, il pourrait revenir cette semaine au Sénat.
L’IFOP a mesuré, du 30 mars au 1er avril, l’adhésion de la population métropolitaine (1 009 personnes, méthode des quotas) mais aussi celle des trois départements concernés (801 personnes) au régime particulier qui y prévaut.
Héritage lointain du Concordat de 1801, les ministres des quatre cultes statutaires (catholique, luthérien, réformé et israélite) sont salariés par l’Etat. Les collectivités locales participent au financement du culte paroissial et les collectivités publiques peuvent accorder des subventions aux cultes non statutaires (musulman, bouddhiste…), notamment pour une construction.
Orientation politique
Cette exception est-elle, comme on l’avance souvent, largement soutenue par les Alsaciens et les Mosellans ? L’enquête atteste qu’ils sont partagés. Une courte majorité (52 %) se disent favorables « à l’abrogation du Concordat en Alsace-Moselle afin d’y faire cesser le financement public des salaires des ministres des cultes catholique, luthérien, réformé et israélite ».
L’engagement dans une croyance religieuse est le discriminant principal des réponses : les « athées » sont 69 % à se dire favorables à l’abrogation du Concordat, les « croyants non religieux » 49 % et les « croyants religieux » 43 %.
L’orientation politique joue aussi : les sympathisants de La France insoumise (LFI, 64 %), du PS (57 %) et d’Europe Ecologie-Les Verts (51 %) y sont davantage favorables à l’abrogation que ceux de La République en marche (46 %), du Rassemblement national (RN, 44 %) et des Républicains (43 %). A noter que les partisans de l’abrogation, s’ils sont majoritaires en Moselle (56 %), sont minoritaires en Alsace (49 %).
Dans l’ensemble du territoire métropolitain, où ce régime local n’est pas toujours bien connu, le taux d’adhésion à l’abrogation du Concordat atteint 78 %. Il croît avec l’âge et avec la catégorie socioprofessionnelle. Mais il est inférieur à la moyenne chez les sympathisants du RN (66 %) et de LFI (73 %).
Disparité en fonction de l’âge
La réponse est un peu différente lorsqu’on demande aux sondés si, comme cela se fait en Alsace-Moselle, ils sont favorables « à ce que, dans certains territoires français, les ministres des cultes et les édifices religieux soient financés sur des fonds publics ». Dans ce cas, une majorité (56 %) d’Alsaciens-Mosellans se disent favorables, et dans l’ensemble de l’Hexagone, la majorité qui y est hostile (67 %) est un peu moins forte que sur la question plus limitée du Concordat. Là aussi l’engagement religieux est un marqueur important : seuls 16 % des « athées », au plan national, sont favorables à un financement public des cultes, contre 33 % des « croyants non religieux » et 43 % des « croyants religieux ».
On note une disparité très instructive en fonction de l’âge : plus on est jeune, plus on est ouvert à un financement public des cultes – à l’exception d’une petite hausse chez les plus de 65 ans, à 27 %. Ainsi, les 18-24 ans y sont favorables à 53 %, les 25-34 ans à 46 %, les 35-49 ans à 33 % et les 50-64 ans à 21 %.
On retrouve une telle disparité lorsque l’on demande, culte par culte, aux personnes interrogées si elles sont favorables à leur financement public en Alsace-Moselle. Le taux d’approbation s’étage de 39 % pour le culte catholique à 21 % pour le culte musulman, avec des chiffres intermédiaires pour les cultes bouddhiste, protestant et juif. Les plus jeunes approuvent un tel financement quasi sans faire de distinction entre ces deux cultes (59 % pour le culte catholique, 54 % pour le culte musulman), mais plus l’age avance, plus l’écart s’accroît entre les deux réponses, au détriment du culte musulman.
L’IFOP a aussi posé des questions liées à la subvention pour la construction de la mosquée Eyyub Sultan, votée par la ville de Strasbourg ; 61 % des Alsaciens-Mosellans se disent opposés au financement par cette ville de la construction de lieux de culte, quels qu’ils soient. Au plan national, l’opposition monte à 74 %.
Interrogés directement sur « la décision de la mairie de Strasbourg d’octroyer cette subvention à » l’association turque « Milli Görüs, qui a refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France demandée le gouvernement », 81 % des Alsaciens-Mosellans désapprouvent, comme 85 % des personnes interrogées dans l’Hexagone. Cette hostilité est aussi nettement majoritaire chez les sympathisants écologistes.
Cécile Chambraud journal Le Monde du 6 avril 2021
Et en supplément un article de 2007 qui en parle bien mieux : https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/07/05/en-alsace-et-en-moselle-les-avantages-du-concordat_931966_3224.html