Des associations étudiantes de l’université Bordeaux-Montaigne ont lancé une vaste étude. Les résultats sont inquiétants.
Pour mieux appréhender la détresse de leurs camarades au sein de l’université Bordeaux- Montaigne, une dizaine d’associations étudiantes, syndicats et collectifs sur les conditions de vie et d’études ont décidé de lancer une vaste enquête. Présentée mercredi 17 février, celle-ci a confirmé un climat inquiétant.
Sur les 18 000 étudiants que compte l’université, plus d’un quart (soit 4 730 d’entre eux) ont répondu, et c’est un succès selon les organisateurs. « D’habitude, il y a vraiment peu de résultats quand des enquêtes sont envoyées, affirme Julie Faivre, porte-parole de Etudiant.e.s Bordeaux-Montaigne, qui a contribué à l’élaboration de cette étude. Les étudiants se sentent très concernés par la situation et ont voulu exprimer les choses, on leur en a donné la possibilité. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’université d’Amiens dépassée par la détresse psychologique de ses étudiants
Ce questionnaire avait une double vocation : « Montrer à la fois par des chiffres et des témoignages qu’ils n’étaient pas des cas isolés », souligne Busra (elle a souhaité garder l’anonymat), étudiante en troisième année de licence d’histoire. De fait, l’enquête révèle que 66 % des étudiants interrogés déclarent avoir rencontré des difficultés ayant perturbé leur travail universitaire, pour motifs économiques (38 %), familiaux (44 %) ou encore médicaux (29 %). Un répondant sur deux affirme aussi avoir eu, au premier semestre, l’idée d’abandonner son cursus, et 75 % appréhendent déjà le second semestre.
Faire passer un message aux enseignants
« De nombreux enseignants essaient de se rapprocher des conditions qu’on avait l’année dernière en début d’année, comme faire des contrôles pendant les cours en nous demandant d’allumer les micros et les caméras, mais certains étudiants ont des problèmes de connexion », déplore Manon Delpierre, étudiante en troisième année de licence LLCE anglais-allemand. Elle-même a suivi ses cours en dehors de son emploi du temps. « Je n’avais qu’un seul professeur qui faisait cours sur Zoom au premier semestre, sur vingt-quatre heures de cours », s’étonne encore la jeune femme.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : « L’urgence est de tout faire pour éviter la fameuse “génération sacrifiée” »
Si cette enquête a confirmé les difficultés croissantes des étudiants en pleine crise sanitaire, un chiffre est beaucoup plus inquiétant. Sur les 4 730 répondants, 1 % dit ne pas avoir de logement fixe. « Ça ne m’étonne malheureusement pas. Beaucoup ont en effet lâché leur logement et vont devoir revenir pour deux mois. Ce nombre va augmenter par la force des choses avec les cours qui reprennent en présentiel », s’inquiète Julie Faivre.
Du côté de l’université, Lionel Larré, le président, indique qu’un dispositif a été mis en place pour permettre à ces étudiants de se signaler et de demander une aide. « Ceux-là sont bien identifiés, et on continue de les accompagner », explique-t-il. L’université a également déployé, depuis le deuxième confinement, une équipe, composée d’une dizaine d’étudiants et de quelques personnes de l’université, chargée de suivre, par téléphone, les étudiants en difficulté.
L’objectif de cette enquête était aussi de faire passer un message aux enseignants. « On n’arrête pas de leur dire que les étudiants sont en souffrance, qu’ils n’ont pas de matériel, sont en décrochage, certains ne nous croyaient pas. On avait espoir que l’enquête prouve cela par des chiffres », ajoute Julie Faivre.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les étudiants, une population particulièrement fragile psychiquement
« Faire preuve d’indulgence »
Début février, un mail a été adressé aux enseignants « avec une liste de recommandations pour que le second semestre se passe dans de meilleures conditions », dit Busra. Car les résultats de l’enquête « n’ont fait qu’exprimer de façon objective ce que nous ressentons depuis longtemps ». « Les enseignants sont informés, ils savent qu’ils doivent faire preuve de bienveillance, d’indulgence, adapter leurs modes d’évaluation », affirme M. Larré.
L’enquête a appuyé la demande des étudiants de « validation automatique du semestre ». Mais, pour le président de l’université, « c’est le genre de décisions qui ne peuvent pas se prendre à l’échelle d’un établissement. Ce sont des décisions de jury, composé des enseignants qui peuvent et veulent les proposer. Cette expérience a déjà été tentée à Paris et le tribunal a invalidé la décision ».
Petra Bernus, membre de l’association étudiante d’extrême gauche Onzième Thèse, qui a participé à l’enquête, se félicite de cette première étape. Mais « il va falloir aller plus loin », balayant les propositions gouvernementales du repas à 1 euro ou du chèque psy – « des effets d’annonce » selon elle. Le 9 mars, l’association organise une journée contre la précarité étudiante avec des repas solidaires.