Le cinquième baromètre d’Unicef France et de la Fédération des acteurs de la solidarité sur les enfants sans-abri sonne l’alerte : ils sont 20% de plus que l’année dernière. Avec les effets néfastes de la rue sur leur santé physique et mentale, sur leur scolarité.
Le 21 août 2023, 1 990 enfants étaient sans solution d’hébergement ou de logement, après un appel au 115. Parmi eux, 480 avaient moins de 3 ans. Des chiffres en augmentation de 20% par rapport à l’année dernière, selon le dernier baromètre(1) de l’Unicef France et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Pourtant, en octobre 2022, le ministre en charge du Logement, Olivier Klein, promettait « zéro enfant dans la rue. » « Force est de constater que, malgré l’engagement du gouvernement et la mobilisation des associations, la promesse n’a pas été tenue », regrette Béatrice Lefrançois, secrétaire générale d’Unicef France.
Toutes les régions sont touchées
Ces chiffres ne sont même pas exhaustifs, car ils reposent sur les demandes non pourvues du 115. Ils ne prennent pas en compte les familles en squat, en bidonville, les mineurs non accompagnés… Béatrice Lefrançois déplore « une évolution inquiétante du sans-abrisme en France, qui atteint de plus en plus d’enfants ». Toutes les régions sont touchées. Dans la métropole de Lyon, on estime à 400 les enfants en situation très précaire par rapport au logement – sans-abri, hébergés chez des tiers. Autant que dans l’agglomération grenobloise.
2022, année record des expulsions locatives
Et la situation risque de se dégrader encore, prévient Manuel Domergue, directeur d’études à la Fondation Abbé Pierre : « 2022 a battu les records des expulsions locatives, 17 500. Il y a une dégradation en 2023, et on n’a pas encore eu les effets néfastes de la loi Kasbarian. » Votée rapidement, celle-ci durcit le délit du squatteur et fragilise le locataire en difficulté de paiement. Nathalie Latour estime que les besoins vont augmenter dans le contexte économique actuel qui pousse les précaires vers plus de précarité, et a des effets délétères sur l’accès et le maintien dans le logement.
Fermetures de places d’hébergement d’urgence
Les consignes de l’Etat localement ne tendent pas à répondre à ces besoins croissants, bien au contraire, s’inquiètent les associations. « Nos équipes sur le terrain remontent des demandes des préfets de fermer des places. Elles font part d’une baisse de budgets de 6% à 10%, ce qui les fragilise encore plus dans le contexte inflationniste », témoigne Nathalie Latour, directrice générale de la FAS. Ainsi, selon Manuel Domergue, 500 places d’hôtel sont supprimées à Nice, environ deux tiers du parc, 1000 places sur le département des Bouches-du-Rhône.
Consignes pernicieuses
Nathalie Latour pointe un autre danger – la priorisation des publics. « Dans les consignes de l’Etat, on trouve des critères de tri des précarités : femmes enceintes de plus de six mois, enfants de plus de trois ans, de moins un an… », s’indigne-t-elle. Et de souligner l’apparition d’un autre phénomène, la rotation des publics, entre hébergement et rue, qui augmente la vulnérabilité des personnes et entrave la continuité de l’accompagnement. « La violence des situations met en difficulté l’action sociale, certaines associations n’ont pas de solution à proposer », ajoute la directrice générale de la FAS.
Scolarité menacée
« Eté ou hiver, la rue n’est pas un lieu pour enfants. A la veille de la rentrée, je ne peux pas imaginer comment ils vont vivre une scolarité sereine. Ils sont toujours dans l’incertitude, ils ont honte de dire où ils dorment. C’est un problème de santé publique et de santé mentale », clame Béatrice Lefrançois. Philipe Pautre, représentant de la Fédération de parents d’élèves (FCPE), témoigne : « Ces enfants sont fatigués à l’école, ont des troubles de l’apprentissage, de la croissance, développent des phobies. Parfois, on héberge les familles chez nous, les enseignants aussi le font, pour protéger les enfants. »
Propositions pour sortir de l’impasse
Pour relever ces défis, Nathalie Latour énumère plusieurs propositions. D’abord, maintenir 205 000 places d’hébergement d’urgence dans le PLF rectificatif de 2023, et anticiper une hausse des besoins dans le PLF 2024. Ensuite, lancer une mission d’information par l’Assemblée national sur le phénomène. Il faut également sortir de la vision court-termiste et réfléchir sur une politique pluriannuelle « de la rue au logement ». En parallèle, il convient de transformer le parc d’hébergement pour qu’il gagne en qualité, car encore 44 328 enfants dorment à l’hôtel avec leurs familles, parfois entassés à quatre dans leur chambre. Il faut renforcer les équipes qui accompagnent des enfants. Enfin, last but not least, il est impératif d’investir la question du logement social qui, seul, peut apporter une réponse pérenne aux besoins criants.