La Stratégie nationale pour les aires protégées a pour objectif de mettre sous protection forte, d’ici à 2030, au moins 10 % de l’ensem­ble du territoire terrestre et maritime. C’est dans ce cadre qu’est paru le décret du 12 avril définissant la notion de protection forte et ses modalités de mise en œuvre. Paul Elfassi et Laetitia Domenech, du cabinet BCTG avocats, analysent les enjeux de ce texte.

Paul Elfassi et Laetitia Domenech

respectivement avocat associé et avocate collaboratrice, BCTG avocats

La Stratégie nationale pour les aires protégées retenue par le gouvernement consiste à mettre sous protection forte, d’ici à 2030, au moins 10 % de l’ensem­ble du territoire terrestre et maritime. L’objectif de 10 % découle de la Stratégie européenne « Biodiversité pour 2030 » qui vise la protection stricte de 10 % du territoire européen, terrestre et maritime, d’ici à cette date (1). En matière d’espaces maritimes, la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin » prévoit également l’adoption de mesures de protection spécifiques.

C’est dans ce cadre que la loi n° ­2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a créé l’­article ­L.­110-4-I du code de l’environnement et la notion de zone de protection forte (ZPF). La notion n’est pas nouvelle en droit français. La protection forte était déjà prévue en matière d’espaces terrestres par l’­ancienne ­Stratégie nationale de création des aires protégées pour la période 2009-2019. La Stratégie nationale pour le milieu marin (2) prévoyait également la mise en œuvre de protections fortes sur les secteurs de biodiversité marine remarquable (3).

Désormais, l’objectif concerne les espaces terrestres et maritimes que le décret n° ­2022-527 du 12 avril 2022 vient préciser. Selon son article 1er, la définition de la zone de protection forte répond à trois critères cumulatifs. Dans cette zone, les pressions engendrées par les activités humaines ­susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées. En d’autres termes, la zone doit être préservée des atteintes liées aux activités humaines. Ensuite, la zone doit bénéficier d’un régime de protection foncière ou réglementaire. Enfin, les activités humaines doivent être effectivement contrôlées.

Protections existantes

Le décret précise la liste des espaces suscep­tibles de se voir reconnaître la qualité de zones de ­protection forte (4). Cette qualification s’applique aux zones déjà protégées en vertu de régimes de protection existants. Le texte n’introduit donc pas de nouveau régime juridique mais désigne, parmi les zones déjà protégées, celles qui seront comptabilisées pour atteindre l’objectif de 10 % des zones protégées précité. Sans ajouter au mille-feuille juridique de nouvelles contraintes juridiques, le dispositif est comparable à une « certification » (5).

La détermination des zones de protection forte repose sur deux mécanismes. Tout d’abord sont automatiquement qualifiées de zone de protection forte : les cœurs de parcs nationaux, les espaces maritimes des cœurs de parcs nationaux, les réserves naturelles, les zones terrestres et maritimes désignées par un arrêté de protection de biotopes, les réserves biologiques et les espaces maritimes des zones de protection renforcée des réserves naturelles.

Ensuite, pour d’autres zones, la qualification de protection forte fait l’objet d’une analyse au cas par cas. Sont ainsi susceptibles d’être qualifiées de zone de protection forte les sites sous obligation réelle environnementale, les zones humides d’intérêt environnemental, les cours d’eau en très bon état écologique, les sites du conservatoire du littoral, les périmètres de protection des réserves naturelles, les sites classés, les sites d’un conservatoire d’espace naturel, les réserves nationales de chasse et de faune sauvage, les espaces naturels sensibles, la bande littorale, les espaces remarquables du littoral, les forêts de protection, les sites du domaine foncier de l’Etat et d’autres espaces maritimes présentant des enjeux écologiques d’importance.

Pour ces dernières zones, conformément à l’article 4 du décret, la qualification ne sera délivrée que sous réserve du respect de certaines garanties, à savoir disposer de mesures de gestion ou d’une réglementation lorsque la zone fait l’objet d’activités humaines pouvant ­engendrer des pressions, disposer d’­objectifs de protection et bénéficier d’un dispositif opérationnel de contrôle. La liste des zones bénéficiant d’office ou après analyse au cas par cas de la protection forte est ainsi particulièrement longue et hétérogène. Le Conseil national de protection de la nature, qui a rendu un avis favorable sur ce texte, s’est d’ailleurs étonné « de la longue liste des espaces pouvant potentiellement être reconnus en ZPF » et aurait souhaité plus de précisions sur les critères ayant permis de les déterminer (6).

Procédure de désignation après analyse au cas par cas

Les articles 5 à 7 du décret précisent la procédure de désignation au cas par cas des zones de protection forte.

L’article 5 dispose que, pour les espaces terrestres, la proposition de reconnaissance est formulée par le préfet de région. Etant précisé que la proposition fait suite à une demande émanant soit du propriétaire ou du gestionnaire du bien situé dans une zone concernée par la liste précitée, soit du service ou de l’établissement utilisateur, pour les immeubles appartenant à l’Etat.

Le préfet de région soumet ensuite ses propositions à l’avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel, de la région et des communes concernées. L’avis de la région ou de la commune est réputé favorable si aucune réponse n’est apportée dans un délai de trois mois suivant la réception de la demande.

Pour les espaces maritimes, l’article 6 précise que la proposition de reconnaissance est formulée par le préfet maritime, après recommandation des conseils ­maritimes de façades. Il est ajouté que, pour les outre-mer, la proposition émane du délégué du ­gouvernement pour l’action de l’Etat en mer, après recommandation du conseil maritime ultramarin. Pour les Terres australes et antarctiques, la proposition est formulée par l’administrateur supérieur desdites terres après recommandation du comité consultatif et du conseil scientifique de la réserve naturelle nationale, et après accord du délégué du gouvernement pour l’action de l’Etat en mer.

Le texte n’indique toutefois pas si, pour les espaces maritimes, les collectivités, et notamment les communes couvertes par la loi « littoral », doivent être consultées.

Enfin, l’article 7 précise que la liste des espaces terrestres et maritimes reconnus comme zone de protection forte après l’analyse au cas par cas est établie par décision du ministre chargé de la protection de la nature, conjointement avec celui chargé de la mer, pour les espaces maritimes.

On note que cette procédure prévoit seulement un avis simple des collectivités territoriales. Le Conseil national d’évaluation des normes avait d’ailleurs émis un avis défavorable, notamment motivé par l’absence de concertation préalable avec les collectivités et par la complexité de la ­procédure (7).

Par un communiqué de presse commun, les associations des maires, des régions et des départements de France ont manifesté la crainte que l’approche administrative retenue par le décret ne tienne pas compte de la vie réelle des territoires, l’insuffisante implication des collectivités territoriales ayant également été critiquée par le Conseil national d’évaluation des normes.

Il sera donc approprié de suivre la mise en œuvre du décret, aucune décision de désignation d’une zone de protection forte n’ayant été prise à ce jour. Egalement, il conviendra d’être attentif aux suites de la requête introduite par l’association Bloom à l’encontre du décret devant le Conseil d’Etat, le 7 octobre.

Biodiversité : tout savoir sur les zones de protection forte