Xavier de Jarcy

À Bordeaux, la miniforêt “Wangari Muta Maathai”, du nom d’une biologiste kényane surnommée “la femme qui plantait des arbres”.
À Bordeaux, la miniforêt “Wangari Muta Maathai”, du nom d’une biologiste kényane surnommée “la femme qui plantait des arbres”. Photo Léa Crespi pour Télérama

Introduction d’arbres mais aussi voirie, circulation, équipements sportifs, œuvres d’art… La grande métropole du Sud-Ouest vient de lancer un ambitieux plan pour apporter la nature partout en ville. En commençant par les écoles…

TELERAMA : Un million d’arbres. Comme à New York ou à Milan. C’est le programme de plantation des vingt-huit communes de Bordeaux Métropole pour les dix ans à venir. Une belle ambition. Que la municipalité bordelaise adapte à sa façon avec le plan « Bordeaux grandeur nature ». L’idée n’est pas de faire du chiffre, mais de végétaliser là où il faut, et de doter cette commune très minérale d’une « charpente verte », explique Didier Jeanjean, adjoint chargé de la nature en ville. En pratique, par où commencer ? « Par les écoles, là où les parents se rencontrent, là où les nouveaux arrivants nouent des relations de voisinage. » Et là où les besoins sont criants.

Nous nous transportons donc dans la petite école élémentaire Jacques-Prévert, rue de Talence, à vingt minutes de la mairie. Dans sa cour, l’une des premières transformées, une bonne partie du bitume a disparu et les platanes ont été entourés de carrés d’arbustes. « Nous avons planté trois cerisiers, précise Christophe Dangles, responsable du service arbres pour Bordeaux et Bordeaux Métropole. Et installé un potager, accroché des nichoirs, posé des bancs, des tables, deux cabanes. Les enfants ont beaucoup plus d’activités qu’auparavant. » Il y a même une « astérogrotte » en bois, imaginée avec eux par un collectif de créateurs, Bruit du frigo. Didier Jeanjean est fier : « Le premier jour, les gamins n’en revenaient pas. Pendant des décennies, on les a laissés jouer dans un espace de bitume nu comme un parking. »

Aux heures d’entrée et de sortie des classes, la rue de Talence est désormais interdite à la circulation. La municipalité veut créer ailleurs des « rues aux enfants » permanentes, plantées, réservées aux piétons et aux cyclistes. Rue Cazemajor, des arbres en pot sont d’abord posés « pour que les gens s’habituent ». Car certains automobilistes restent récalcitrants. « On nous casse la barrière tous les quatre matins », déplore Catherine Benevent, directrice de l’aménagement à Bordeaux Métropole. Mais elle a confiance : quand les habitants verront la nouvelle rue, sinueuse, avec des arbres enracinés, de l’herbe autour des pavés, des tables de pique-nique et un mini-parcours d’escalade, ils ne voudront plus revenir en arrière. D’ici à dix ans, promis, toutes les cours d’écoles seront végétalisées, et les rues qui y conduisent piétonnisées chaque fois que possible.

Palettes végétales et microforêts

« Renaturer » ne consiste pas seulement à planter des arbres. C’est aussi associer les équipes éducatives et les services de voirie, redéfinir la circulation, faire intervenir des artistes, penser aux équipements sportifs… La mise en œuvre est rarement simple, d’autant que Bordeaux entend aussi verdir boulevards et places. Comme plus au nord, au croisement des rues Tivoli et Rivière, sur un bête triangle de goudron. « Nous allons « décroûter », dit Catherine Benevent. Enlever le bitume et apporter de la terre pour travailler sur un sol perméable. Il faut déplacer les réseaux souterrains d’eau, d’électricité… Six mois d’intervention, sans compter les études ! » Ensuite poussera un verger pour « réhabituer les citadins au rythme des saisons ». Et parce que les poiriers, les framboisiers, les groseilliers, c’est bon pour les humains et les oiseaux.

À chaque emplacement, la Ville cherche à adapter ses « palettes végétales ». « Nous essayons de réintroduire des espèces locales : le chêne, le charme, l’orme, l’érable. Mais nous recherchons aussi des essences capables de supporter des conditions hydriques plus strictes », indique Christophe Dangles, qui teste place du Cardinal-Donnet des arbres « exotiques » : orme de Sibérie, virgilier à bois jaune. Il y aura même des « microforêts ». La première se cache non loin de la gare, quartier qui manque de verdure, au confluent des rues Francin et Fieffé, à la place d’un petit parking. Ici, les riverains ne pourront pas promener leur chien ou faire du vélo, et il a fallu le leur faire accepter.

Car ce petit bois sera un espace de biodiversité et d’« évapotranspiration » pour rafraîchir l’air, grâce à « vingt-cinq espèces d’arbres et soixante-cinq d’herbacées » plantées pour redonner vie à un sol « inerte » depuis un siècle, explique Christophe Dangles. Le terrain ne sera pas tondu, les feuilles pas ramassées. Quand les arbres, apportés très jeunes pour mieux s’épanouir, auront grandi, on ne les arrosera plus. Ici, pas d’essence exotique, mais des variétés adaptées à un milieu calcaire et plutôt sec : arbres de Judée, érables de Montpellier, noisetiers, pommiers et poiriers sauvages. Avec un chêne au centre. « C’est le maire qui l’a planté. » Christophe Dangles est plutôt satisfait : « L’an passé, pendant l’été caniculaire, nous n’avons arrosé que trois fois. »

Des projets voisins en béton

Bilan 2022 : plus de deux mille nouvelles tiges. Et le rythme sera le même chaque année. Bordeaux grandeur nature n’en est qu’à ses débuts, mais semble raisonnable et cohérent. Hélas, on aperçoit, non loin de la « microforêt », un gigantesque « îlot de chaleur » : Euratlantique. Sept cent trente-huit hectares de béton qui sortent de terre. Le plus vaste projet immobilier de France après le Grand Paris. Lancé en 2009 par l’ancien maire Alain Juppé ce programme de bureaux et de logements piloté par l’État date d’une époque où l’on se souciait peu de la crise climatique. Ses rares pelouses seront écrasées par des immeubles sans grâce, pas conçus pour les canicules, qui montent jusqu’à douze étages. « Non seulement ce quartier aura un bilan carbone déplorable, mais il sera invivable si on ne plante pas davantage. L’aménageur promet d’ajouter des espaces verts, mais ce seront des jardinières, pas de la pleine terre », dénonce le collectif Amédée Sacré-Cœur (du nom d’un secteur en chantier au sud de la gare).

Le maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, élu en 2020, n’a pas la main. Il a obtenu un moratoire sur une partie des travaux et l’ouverture d’un parc de 1,2 hectare. Le collectif en demande deux et demi, et un moratoire national pour tous les projets du même genre. Car cette lutte entre deux visions de l’avenir ne concerne pas que Bordeaux. « Nous avons écrit à Élisabeth Borne. Elle nous a renvoyés vers le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, qui nous a redirigés vers le préfet. On a l’impression d’un Titanic que personne ne peut arrêter. » Il va falloir en planter, des arbres, pour éviter le naufrage…

Bordeaux, labo de la végétalisation urbaine