Une étude de chercheurs de la plateforme Popsu Territoires relativise le fameux « exode urbain » massif vers les territoires ruraux pendant la crise sanitaire. Il est en réalité bien plus rare que le discours médiatique l’a laissé entendre durant le Covid. Les auteurs mettent en lumière plutôt l’accentuation de tendances déjà à l’œuvre.
L’exode urbain est donc bien un mythe. Après des mois d’emballement médiatique pendant le Covid, trois équipes de chercheurs du programme Popsu Territoires battent en brèche ce prétendu dépeuplement massif des grandes villes au profit des campagnes. Ils n’observent pas de grande « rupture » territoriale dans les intentions de mobilité des Français avant et après la crise.
Le résultat de leur travail est documenté dans leur étude « Exode urbain : un mythe, des réalités » réalisée à partir des données issues de La Poste et de plateformes en ligne comme Leboncoin, Meilleursagents, Seloger. Elle a été présentée le 17 février dernier devant Dominique Faure, la ministre des collectivités.
Des déménagements majoritairement dans des villes de même taille
« La crise sanitaire n’a pas provoqué un départ massif des villes vers les campagnes car la plupart des déménagements avant et après Covid se font entre des villes de même taille », pointe Julie Le Gallo, de l’Institut Agro Dijon.
« On observe plutôt un rôle réaffirmé des métropoles et des grands centres urbains dans les aspirations résidentielles des Français », complète Alexandre Coulondre de l’Université Gustave Eiffel. En effet, seulement 18% des déménagements ont pour destination le rural.
L’étude des données immobilières du site leboncoin tout comme les données des contrats de réexpédition de courriers souscrits auprès de La Poste confirme plutôt trois tendances déjà à l’œuvre avant la crise sanitaire : la métropolisation avec la poursuite de la périurbanisation qui s’étend toujours plus loin des centres urbains, l’attractivité des littoraux et le desserrement urbain.
Près de 57 % des déménagements continuent de se faire vers des villes de même taille après le début de la crise sanitaire et plus d’un quart des déménagements du pays ont lieu au sein de la même commune. Les grands pôles urbains – Paris, Marseille, Lyon- ainsi que les autres métropoles régionales – Lille, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Brest, Nice – continuent de capter l’écrasante majorité des flux de recherche immobilière sur leboncoin.
Une renaissance rurale et des petites villes
L’absence de départ massif des grandes villes ne signifie pas pour autant une absence d’attractivité des petites villes et territoires ruraux depuis la crise sanitaire. « On observe une accélération du processus de rééquilibrage de l’armature urbaine, c’est-à-dire le déplacement de ménages vers des villes de plus petite taille alors qu’à l’inverse les déménagements vers les plus grandes villes ont baissé », remarque Julie Le Gallo.
Le Covid a particulièrement accéléré le départ de populations des centres urbains au profit de leurs périphéries. En moyenne à l’échelle nationale, les espaces périurbains ont fortement gagné en population depuis le début de la crise sanitaire. Les variations les plus importantes concernent les départs des centres vers les couronnes, avec une hausse de 14,1 % pour les plus grandes aires et de 23,5 % pour les plus petites.
Les auteurs de l’étude l’expliquent majoritairement par « la tension sur les marchés immobiliers locaux ». C’est le cas par exemple pour l’unité urbaine de Paris. Son solde migratoire (1) très négatif en période pré-Covid (autour de -10,5 pour 1000 ménages), s’est fortement détérioré avec la crise sanitaire de la Covid-19 en tombant à -14,6 durant la seconde année de crise sanitaire.
Le regain d’intérêt pour les zones rurales déjà présent avant le Covid s’est aussi accentué. Le solde migratoire des communes rurales, déjà très excédentaire avant Covid (autour de 8 pour 1000 ménages), a atteint 10,39 avec la crise sanitaire. La tendance est la même dans les recherches de l’outil d’estimation immobilière du site meilleursagents. « Nos utilisateurs urbains cherchent plus loin qu’avant la crise », confirme Alexandra Verlhiac, économiste de la plateforme. Les recherches vers le rural des utilisateurs qui viennent de l’urbain sont en augmentation de 7,7%, tout comme leurs recherches en dehors de leur agglomération (+13%).
« Les petites réalités des villes deviennent grandes au niveau des villages », acquiesce Yvan Lubraneski, maire des Molières (Essonne) et vice-président des Maires ruraux de France. Cécile Gallien, maire de Vorey-sur-Arzon (Haute Loire) et vice-présidente de l’Association des maires de France, l’a bien ressenti dans sa commune même si elle confirme que les migrations d’urbains ont commencé avant le Covid. « Il n’y a plus de maison à acheter en Haute-Loire et le droit de préemption de la mairie a été multiplié par deux », témoigne-t-elle.
De nouvelles préoccupations écologiques
Pour l’expliquer, au delà de l’essor du télétravail pour les cadres et du désir de campagne et d’espace, les auteurs avance l’émergence de facteurs de mobilité nouveaux liés aux préoccupations écologiques. Ils soulignent en particulier l’émergence de recherche de biens et de territoires refuges face aux crises (sanitaire, écologique, économique), de formes de multi-résidentialité et la diffusion de l’habitat léger.
Mais ce ne sont pas les seules motivations. L’autre enseignement de cette étude concerne les profils de ceux qui sont arrivés dans les campagnes après le confinement. « Il faut se départir d’un certain prisme médiatique avec une portée de vue assez parisienne », insiste Aurélie Delage de l’Université de Perpignan. Les médias ont eu tendance à focaliser sur les télétravailleurs et ceux qui ont changé de vie pour avoir les pieds dans la terre alors que d’autres profils ont aussi déménagé dans les campagnes à cette période.
A partir d’une centaine d’entretiens, les auteurs de l’étude ont distingué trois autres profils types nettement moins médiatisés : les pré-retraités et retraités, les classes moyennes qui veulent une maison avec jardin et qui sont exclus des métropoles à cause de l’augmentation des prix du logement et les marginaux. « La crise sanitaire n’est pas moteur de leur départ mais elle a été un accélérateur des projets en gestation », analyse Aurélie Delage qui précise aussi que ces néoruraux ont dans la grande majorité des cas un lien préexistant avec le territoire rural choisi (famille sur place, lieu d’enfance…).
Risque de creusement des disparités entre les ruralités
Cette attractivité reste néanmoins très inégale. Tout d’abord parce qu’elle n’est pas toujours positive. « Il y a de belles histoires mais il y a aussi des effets pervers sur l’usage des ressources, l’accès au foncier ou encore l’adaptation du niveau de services publics pour satisfaire les nouveaux habitants », tempère Aurélie Delage. Mais surtout parce qu’elle ne touche pas l’ensemble des territoires ruraux. Elle concerne surtout les territoires proches des centres urbains et ceux qui bénéficient d’aménités spécifiques (l’accessibilité, un climat, une dynamique économique locale favorable…). « Loin d’annoncer une revitalisation de toutes les campagnes, les mouvements résidentiels actuels peuvent tendre à accentuer les différences territoriales, entre les territoires attractifs, parfois en « surchauffe », et des territoires qui le sont moins », avertissent les auteurs.
C’est un point d’attention de la ministre des collectivités, Dominique Faure. « Il ne faut pas qu’il y ait un déséquilibre entre une ruralité attractive et une autre », a-t-elle relevé lors de son discours en clôture de la présentation de l’étude. A quelques semaines de la présentation du plan qui prendra la suite des 181 mesures de l’Agenda rural et qui se nommera « France Ruralité », Dominique Faure estime qu’il y a une « absolue nécessité de se nourrir des travaux de la recherche ».
C’est avec cet objectif qu’elle a annoncé la création d’un conseil scientifique associé à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques en faveur des territoires ruraux sous la forme d’un « GIEC de la ruralité » ainsi que d’un palmarès des étudiants et chercheurs de la ruralité dans les territoires avec des premiers lauréats à l’automne 2023. « Il faut faire travailler la jeunesse dans les ruralités pour qu’elle y prenne goût et qu’elle y reste (…) Il faut que le regain d’attractivité ne soit pas seulement une mode mais qu’il s’inscrive durablement dans nos territoires », a-t-elle conclue.