Après les dérives financières et les retards accumulés sur les différents chantiers de réacteurs EPR, il est nécessaire de prendre en compte le coût global de cette technologie et pas seulement celui de la production, analyse Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
LE MONDE DU 19 Décembre
On finissait par ne plus y croire. Seize ans après le début des travaux, le réacteur nucléaire finlandais d’Olkiluoto est enfin prêt à être raccordé au réseau. L’opérateur local, TVO, a demandé officiellement le 8 décembre à l’autorité de sûreté son approbation pour démarrer la réaction en chaîne, afin de produire de l’électricité dès le premier trimestre 2022. Construit par le Français Areva, il sera le premier EPR à fonctionner en Europe, s’ajoutant aux deux autres exemplaires de ce type qui tournent déjà à Taishan, dans le sud de la Chine.L
L’EPR des glaces sonnera-t-il le dégel de l’énergie nucléaire en Europe ? Pour l’instant, il a surtout symbolisé l’hiver dans lequel cette technologie est entrée à la suite de l’accident de la centrale de Fukushima en 2011 au Japon. Chantier interminable, conflits en pagaille et facture au plafond, le réacteur nordique n’a fait que préfigurer le cauchemar vécu par les Français avec leur premier EPR, construit sur le même modèle mais par EDF à Flamanville et qui a porté à la caricature le dérapage budgétaire des grands projets : dix ans de retard et un coût multiplié par six, à près de 20 milliards d’euros.
Revoir le chiffrage de cette technologie
On comprend que dans ces conditions, la Cour des comptes ne cesse d’alerter sur la nécessité de revoir le chiffrage de cette technologie. Surtout depuis que, crise énergétique aidant, le gouvernement s’apprête à annoncer la construction d’une poignée de nouveaux EPR. Dans un dernier rapport, publié ce lundi 13 décembre, elle insiste sur la nécessaire prise en compte de tous les coûts de production avant de décider de choix cruciaux en matière énergétique. Cela semble une évidence mais jusqu’à présent, la décision de ramener le nucléaire à 50 % de la production électrique pour faire de la place aux renouvelables a plus tenu du choix politique du moment qu’à une réflexion économique solide. Il fallait donner un gage aux écologistes.
D’ailleurs ces derniers ne s’y sont pas trompés. Invité du Club de l’économie du Monde le 16 novembre, Yannick Jadot, le candidat des Verts à la présidentielle, a justifié son refus de nouveau nucléaire non plus uniquement par l’argument classique de la sécurité et des déchets, mais surtout par la dérive financière de cette technologie.
D’où l’importance d’écouter la Cour des comptes, qui insiste sur la nécessité de tenir compte de l’ensemble du système : pas seulement la production mais aussi le stockage, la flexibilité de la demande, le transport, la distribution et même les échanges avec les pays voisins. Selon elle, la construction de six EPR supplémentaires représenterait un investissement de 46 milliards d’euros et un coût de production estimé entre 85 et 100 euros par MWh (mégawattheure). On est loin des 42 euros, prix réglementé actuel auquel EDF vend son nucléaire en gros à ses concurrents. Cela ne discrédite par cette technologie mais la rappelle à une certaine discipline, condition d’un débat plus serein. Que l’on construise des trains, des tunnels ou des centrales, on est toujours rattrapé un jour par la réalité des chiffres.
Philippe Escande