THE CONVERSATION : Ce sont des produits qui génèrent, à chaque fois qu’ils sont évoqués, des débats passionnés : les pesticides. Objets de nombreuses querelles sanitaires, économiques, écologiques, leur première vocation est pourtant plutôt consensuelle : protéger les cultures contre les pertes de rendements dues aux ravageurs, qui peuvent être parfois considérables. On estime ainsi que
10 à 30 % de la production végétale à travers le monde est détruite par ces nuisibles de toutes sortes.
Mais l’utilisation des pesticides est aujourd’hui mise en cause pour plusieurs raisons, notamment leurs impacts sur la biodiversité, sur la santé des agriculteurs, ou sur la santé des consommateurs. Leur efficacité est également mise en cause, avec des substances qui deviennent de moins en moins efficaces avec le temps.
Les fléaux à l’origine de l’utilisation des pesticides semblent, eux, destinés à augmenter avec un accroissement des températures causé par le changement climatique qui pourrait accentuer la pression des ravageurs. Malgré les réserves existantes concernant l’utilisation des pesticides, se dirige-t-on vers une augmentation inexorable de leur usage ?
Coupler les données de ventes des pesticides avec les données météorologiques
C’est la question à laquelle nous avons voulu répondre, après être partis du constat suivant. Alors que le recours aux pesticides s’est imposé pour les agriculteurs comme la solution la plus pratique et efficace pour gérer les menaces liées aux ravageurs, des risques de pressions accrus par le changement climatique sont susceptibles d’encourager les agriculteurs à utiliser encore plus de pesticides. Il est donc crucial de caractériser comment ces incitations peuvent se traduire dans la réalité, dans un contexte où les décideurs publics français et européens cherchent justement à réduire les dommages sanitaires et environnementaux liés à l’usage des pesticides.
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Afin de trouver des réponses à cette interrogation, nous avons, à travers une récente étude, tâché d’étudier l’impact des conditions météorologiques sur les comportements d’achats de pesticides en France.
Pour cela, nous avons utilisé quatre types de données. D’abord les données d’achats de pesticides enregistrées dans la Banque Nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques (BNVD) pour chaque code postal en France depuis 2014. Introduit pour suivre l’efficacité du programme français visant la réduction d’usages des pesticides Ecophyto, la BNVD décrit les achats annuels de l’ensemble des pesticides pour l’ensemble des 6 300 codes postaux français.
Nous avons combiné ces données avec les températures et précipitations observées entre 2014 et 2019 fournies par Météo France, ainsi qu’avec les surfaces agricoles renseignées par les agriculteurs lors de leur déclaration à la Politique agricole commune. Nous avons enfin associé le tout à des projections climatiques pour 2050.
Une augmentation de près d’un tiers dans le sud de la France
Les résultats issus de nos modèles statistiques montrent que les agriculteurs français répondent à des hausses de températures et de précipitations en augmentant leur usage de pesticides. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, l’utilisation des pesticides pourrait croître de 5 à 15 % en moyenne en France d’ici à 2050 sous l’effet du changement climatique, principalement via l’effet de la hausse des températures. Ces augmentations concerneraient principalement les fongicides et les herbicides et toucheraient surtout les pesticides les plus nocifs pour la santé et l’environnement.
Les régions françaises ne seront pas toutes égales face à ces évolutions. Le pourtour méditerranéen pourrait voir l’usage de pesticides augmenter de près d’un tiers, alors que les régions au Nord souffriront moins de ces évolutions. Les Alpes pourraient même bénéficier d’une réduction de l’usage des pesticides.
Cette diversité des situations entre régions illustre la façon dont la météo affecte de nombreuses dimensions de l’agriculture, par exemple, la capacité à produire une culture plutôt qu’une autre. Ainsi, alors que le nord de la France produit majoritairement des céréales, le Centre repose plutôt sur la production de fourrage (à destination des animaux d’élevages) et le Sud-Est produit davantage de vins, fruits et légumes. Ces trois types de cultures ne nécessitent pas les mêmes quantités de pesticides à l’hectare. Notre approche tient donc explicitement compte de ces différences entre codes postaux en expliquant, chaque année, comment les écarts de température et de précipitations par rapport à la moyenne affectent ceux liés aux achats de pesticides (éliminant ainsi les effets associés à la spécialisation des cultures).
Des aléas climatiques qui augmentent le recours aux pesticides
Plusieurs facteurs agronomiques et écologiques peuvent expliquer l’augmentation des usages de pesticides. En effet, les écologues et agronomes ont documenté depuis longtemps que des températures et des précipitations plus élevées favorisent le développement des insectes, des champignons et des mauvaises herbes. Ils ont aussi montré que la météo modifie l’efficacité des pesticides. Par exemple, une augmentation des températures peut conduire à une volatilisation accrue des pesticides, tandis que des pluies abondantes peuvent entraîner les substances actives des pesticides dans les cours d’eau par lixiviation. Enfin, les températures et précipitations peuvent influencer indirectement les usages de pesticides via leurs effets directs sur la croissance des plantes : une année favorable pour la production agricole encourage les agriculteurs à protéger davantage leur production.
Nos résultats indiquent que le changement climatique entraînera une augmentation des usages de pesticides si rien ne change. Ils questionnent ainsi le rôle que pourraient jouer les décideurs publics pour endiguer ces évolutions. En effet, si changement il doit y avoir, celui-ci doit être porté par les décideurs, que ce soit en modifiant la réglementation (autorisation de mise sur le marché des substances actives), en modifiant les incitations (taxes sur les pesticides, ou subventions sur les pratiques économes en pesticides) ou en favorisant la recherche et le développement.
Des résultats aux antipodes des ambitions politiques
Toutefois, malgré les efforts déployés au cours des dernières décennies par les décideurs publics français et européens pour réduire les risques liés aux usages des pesticides, ils n’ont pas conduit à une baisse nette de l’utilisation des pesticides (voir par exemple le bilan des plans Ecophyto français). Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour une accentuation de ces efforts, nos résultats montrent que cette accentuation devra être d’autant plus appuyée que le changement climatique sera prononcé.
Centrée sur l’usage des pesticides, cette étude illustre plus globalement certaines conséquences sanitaires et environnementales possibles induites par le changement climatique. En effet, alors que la population française est de plus en plus consciente de la réalité du changement climatique, l’appréhension de l’ensemble de ses conséquences (directes et induites) sur nos systèmes socioécologiques reste un défi central pour faire face au changement climatique.