Une surprise ? Pas vraiment :
REPORTERRE :
Selon un rapport du Réseau Action Climat, les grandes enseignes ne sont pas des acteurs de la transition alimentaire. – © Thibaut Durand / Hans Lucas via AFP
Monoprix, Auchan, Lidl… Un rapport du Réseau Action Climat épingle les grands supermarchés. Ils poussent à l’achat de viande industrielle, se font de grosses marges sur les produits bio, rémunèrent mal les agriculteurs…
Les supermarchés favorisent-ils une alimentation bonne pour le climat et la santé ? C’est la question à laquelle tente de répondre le dernier rapport de l’ONG Réseau Action Climat, paru jeudi 2 février. Une quarantaine d’indicateurs (mise en avant de produits bons pour le climat, engagement à baisser les émissions de gaz à effet de serre, recommandations nutritionnelles, etc.) a permis de noter huit enseignes (Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché, E.Leclerc, Lidl, Monoprix, Système U). Résultat : aucune n’atteint la moyenne de 10 sur 20. Benoit Granier, responsable alimentation au Réseau Action Climat, nous explique les raisons de ces mauvais résultats.
Reporterre — Pourquoi avoir réalisé ce rapport sur les supermarchés ?
Benoit Granier — Aujourd’hui, 70 % de nos achats alimentaires sont faits en grande surface. En particulier la viande et les produits laitiers, qui représentent les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre de notre alimentation. Pour la viande, 80 % des achats viennent de grandes et moyennes surfaces.
Les enseignes de la grande distribution ont beaucoup d’influence : sur les consommateurs, parce qu’elles peuvent jouer sur les prix, sur les promotions, les publicités, le marketing en magasin, les produits mis en avant ; et sur les fournisseurs, en particulier les agriculteurs, via la rémunération, mais aussi avec leurs marques distributeurs. La grande distribution se présente comme un intermédiaire mettant en rayon les produits des autres. C’est faux, elles produisent la moitié de ce qu’elles mettent en rayon. Certaines gammes de marques distributeurs vont vers le mieux, mais d’autres vers le bas de gamme.Avec seulement quatre centrales d’achat, les grandes enseignes sont en position de force face à leurs fournisseurs et peuvent influencer leurs pratiques. Réseau Action Climat
Aucune enseigne n’a obtenu plus de 10/20 à votre évaluation. Comment l’expliquer ?
On est exigeants, parce que l’alimentation représente 24 % de nos émissions de gaz à effet de serre. D’après tous les scénarios, on doit diviser au moins par deux la consommation de viande. Les supermarchés n’ont pas intégré cette nécessité. Cela explique en partie les notes. Sur la question de la promotion de la viande industrielle, par exemple, on a observé que les enseignes continuent de proposer des viandes issues en immense majorité de l’élevage intensif à des prix très bas, pour en vendre un maximum.
Dans les catalogues de six enseignes sur huit, les recommandations nutritionnelles ne sont pas à jour. Avant, le Plan national nutrition santé recommandait de manger de la viande ou du poisson tous les jours et trois produits laitiers par jour. En 2019, il a été révisé : plus besoin de viande ou poisson tous les jours, et on est passé de trois à deux produits laitiers par jour. Aujourd’hui, six enseignes sur huit conservent les recommandations d’avant 2019. On se demande si c’est volontaire ou si c’est de la négligence. Seul Lidl est à jour. Et Auchan ne publie pas de recommandations.« On doit diviser au moins par deux la consommation de viande. Les supermarchés n’ont pas intégré cette nécessité. Cela explique en partie leurs [mauvaises] notes. » Réseau Action Climat
Les principales victimes de ces pratiques ne sont-elles pas les personnes modestes ?
Dans la population, les 40 % les plus modestes ne mangent pas moins de viande que les autres, mais presque exclusivement de la viande bas de gamme. On risque d’aller vers une alimentation à deux vitesses, avec ceux qui ont les moyens d’acheter bio, davantage de protéines végétales, de fruits et légumes, de poisson. Et, de l’autre, ceux qui ont moins les moyens d’acheter des bons aliments.
Une étude de l’UFC-Que choisir a montré que les supermarchés faisaient deux fois plus de marge sur les fruits et légumes bio que sur les conventionnels. D’après tous les experts que l’on a interrogés, la pratique est la même pour la viande et les produits laitiers bio et sous Label rouge. Cela rend les produits de qualité encore plus inaccessibles pour ceux qui n’ont pas les moyens.Les légumineuses, « qui ne coûtent pas très cher et sont très bonnes pour la santé et l’environnement, sont peu mises en avant dans les magasins ». Public domain pictures
Et dans le même temps, les produits comme les lentilles, les haricots secs, les pois chiches, qui ne coûtent pas très cher et sont très bons pour la santé et l’environnement, sont peu mis en avant dans les magasins.
Les pratiques de la grande distribution sont régulièrement dénoncées. Ces mauvaises notes ne sont pas une surprise.
Ce n’est pas un scoop, c’est vrai. Ce qui nous intéresse, c’est de mettre les enseignes face à leurs responsabilités. Certaines se présentent comme les acteurs de la transition alimentaire, d’autres comme les alliés des consommateurs, les gentils de la grande distribution face au méchant gouvernement. Si on regarde de plus près, certes ils font le maximum pour proposer des prix très bas sur certains produits, mais des prix bas, cela signifie mal rémunérer les agriculteurs, mettre en danger la santé des gens et de forts impacts environnementaux.
Pensez-vous que les supermarchés puissent jouer un rôle dans la transition alimentaire ?
On espère que oui. On leur a donné rendez vous dans 18 à 24 mois pour la deuxième phase de notre évaluation, qui va être reconduite. Dans les services RSE (responsabilité sociale et environnementale) des enseignes, les personnes veulent faire bouger les choses. Mais ce ne sont pas eux qui font les arbitrages. Ce rapport peut les aider à faire avancer les choses. Plus il y aura d’exigences des consommateurs, plus il y aura d’intérêt et de pression pour la grande distribution à faire mieux. Enfin, les pouvoirs publics n’encadrent pas assez bien ce secteur.
Le modèle du supermarché ne devrait-il pas être remis en cause ?
La transition doit s’accélérer. La grande distribution restera centrale dans le paysage dans dix ans et sans doute dans vingt ans. On ne pourra pas atteindre nos objectifs environnementaux et climatiques sans un changement de ce secteur. S’il y avait des modèles capables de répondre aux besoins de l’ensemble des Français en ayant moins d’impact nocifs, ce serait intéressant qu’ils se développent davantage. Mais ce n’est pas l’objet de notre rapport.
« Les supermarchés doivent cesser de promouvoir la viande industrielle »
Nous demandons que les supermarchés cessent de faire la promotion de la viande industrielle. En Allemagne, six enseignes de supermarchés ont annoncé qu’en 2030 ils ne vendraient plus de viande issue des élevages les plus intensifs. C’est un engagement qui n’est pris par aucune enseigne en France. Une autre demande importante est de proposer plus de produits bio et sous label de durabilité, et d’arrêter de faire plus de marge sur ces produits. Les enseignes doivent accompagner davantage les agriculteurs, notamment via des contrats s’engageant sur les prix et les volumes pour plusieurs années, afin de permettre aux agriculteurs et aux éleveurs d’aller vers des pratiques plus écologiques. Enfin, on demande un affichage environnemental ambitieux, avec notamment une indication du mode d’élevage.