Après plusieurs années de lutte, le mouvement climat revient avec une nouvelle stratégie, plus offensive : sabotages, dénonciation des ultrariches, conquête de l’Assemblée nationale…
Face à la destruction du monde, elles et ils se remontent les manches. Où en est le mouvement pour la justice climatique? Reporterre a posé la question à une quinzaine d’activistes qui y sont engagés. Dans une enquête en deux volets, nous revenons sur quatre ans d’une lutte intense et évoquons leur stratégie pour qu’une société juste et écolo advienne.
Après une année marquée par l’élection présidentielle et l’omniprésence médiatique de l’extrême droite, la guerre en Ukraine et une crise énergétique galopante, le mouvement climat compte revenir en force. Par quels moyens? Pour le savoir, Reporterre s’est entretenu avec quinze personnalités qui le composent. Voici leur stratégie pour lutter contre la destruction du monde :
1- Renforcer les luttes locales
Des nouveaux entrepôts Amazon, des fermes usines, des autoroutes, des extensions d’aéroports, des mégabassines… Héritières du combat contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les luttes locales contre des projets imposés se sont multipliées ces dernières années. En atteste la carte des luttes de Reporterre, qui ne cesse de se garnir depuis sa création en 2019, pour atteindre maintenant 531 projets contestés.
Souvent initiées par des riverains, elles attirent de nombreux militants entrés dans le mouvement climat en 2018. Pourquoi? «Comparé à la lutte globale contre le changement climatique, qui peut paraître parfois trop grande et décourageante, arriver à empêcher la construction d’une route ou d’un aéroport est très motivant, dit Jean-François Julliard, président de Greenpeace. Il a un effet “retour sur investissement” immédiat, la sensation d’avoir une prise face à un système dévastateur.»Manifestation contre Amazon à Rouen, en février 2022. © NnoMan Cadoret/Reporterre
À partir de mars 2021, une constellation de personnes en lutte pour un monde habitable et désirable, réunies derrière l’étiquette des Soulèvements de la terre, a préparé un programme d’actions contre «le ravage climaticide» et pour s’attaquer simultanément à tous ces projets. Pour Léna Lazare, membre de Youth For Climate et des Soulèvements de la terre, ces terrains de bataille «ancrés» sont «un horizon important pour le mouvement climat» : «Ils permettent d’attaquer nos ennemis à des endroits où il y a plus de brèches, de tisser une culture de la résistance entre les habitants d’un territoire et de bâtir des projets d’autonomie politique.»
Depuis quelque temps, épaulées par des organisations comme Les Amis de la Terre, ces luttes se relient et tendent à former des coalitions à envergure nationale : contre les projets routiers, contre l’industrialisation des forêts, contre les mégabassines, ou encore pour stopper Amazon. «Il faut faire en sorte que ces luttes ne restent pas isolées à un niveau local, car elles se heurtent toutes à des politiques publiques et à des enjeux nationaux», dit Chloé Gerbier, cofondatrice de Terres de luttes, une association créée à l’été 2021, qui propose des partages d’expérience, d’outils et de compétences à destination des luttes locales.
Sous leur impulsion, il est par exemple de plus en plus difficile, pour l’entreprise Amazon, d’implanter ses entrepôts en France. Des zad sont par ailleurs nées au Carnet (Loire-Atlantique), à Pertuis (Vaucluse) ou plus récemment à La Clusaz (Haute-Savoie). Le rapport de force reste compliqué, mais cette tendance réjouit un membre de l’appel pour des forêts vivantes, qui a souhaité rester anonyme : «Ces luttes sont une invitation à reterritorialiser le mouvement climat, pour qu’il retrouve la terre qui le porte, qu’il ne soit plus déraciné ou seulement urbain. L’écologie s’ancre dans des milieux de vie, qu’il faut apprendre à connaître et à chérir pour mieux les défendre.»
2- Assumer plus de radicalité
Face à l’urgence climatique, les militants climat ont conscience qu’ils ne peuvent plus se contenter de protester poliment. Comme l’a montré une récente enquête de Reporterre sur le sabotage, ils sont de plus en plus désireux de neutraliser directement les responsables du désastre. «Le niveau de confrontation acceptable s’est élevé», observe Jean-François Julliard. «Après quatre années à lutter sans obtenir de changement de cap politique, la nécessité de “désarmer” les projets écocidaires, quitte à dégrader du matériel, est de plus en plus consensuelle au sein du mouvement», confirme Léna Lazare.Une bassine sabotée en Charente-Maritime, le 6 novembre 2021. © Corentin Fohlen/Reporterre
L’enquête sociologique sur la «génération climat» menée par le CNRS en 2021 met en lumière la tolérance de la nouvelle génération à «la violence physique sur des objets», en particulier chez celles et ceux engagés dans Alternatiba, ANV-COP21 ou Extinction Rebellion. Un constat qui se retrouve dans nos entretiens : toutes les personnalités interrogées par Reporterre, y compris dans des organisations qui ne pratiquent jamais le sabotage, ont bien accueilli le débâchage de plusieurs mégabassines — des réserves d’eau immenses — dans le sud de la Vendée fin 2021.
Attention, néanmoins, à «ne pas tomber dans le fétichisme des gestes», prévient Anton, d’Extinction Rebellion. «Le sabotage n’est pas toujours opportun, estime aussi Chloé Gerbier. Il doit être pensé dans un mouvement stratégique global de mobilisation plus large, parmi d’autres modes d’action possible. Les mouvements victorieux, comme à Notre-Dame-des-Landes, sont souvent ceux où l’on utilise le mieux la complémentarité des tactiques [zone à défendre, pétitions, marches, créations artistiques, actions directes…].»
3- Nommer les criminels climatiques
Au cœur d’un été caniculaire et à l’aube de la crise énergétique, Emmanuel Macron a annoncé «la fin de l’abondance». Le gouvernement a multiplié les injonctions de sobriété aux ménages : baisser la climatisation et le chauffage, couper le wifi. Dans le même temps, comme l’ont révélé les comptes Twitter I Fly Bernard et Yacht CO₂ tracker, Bernard Arnault (LVMH), Vincent Bolloré, Martin Bouygues, François Pinault (Kering) ou Patrick Pouyanné (TotalÉnergies) n’ont cessé de voyager à bord de leurs avions et de leurs yachts.
«Le séparatisme des riches est inacceptable, d’autant plus quand on demande aux citoyens de se serrer la ceinture», observe Annick Coupé, porte-parole d’Attac, qui rappelle que 63 milliardaires français émettraient au moins autant de CO₂ que la moitié de la population. C’est pourquoi Attac et Extinction Rebellion ont décidé de lancer une campagne commune visant à «désarmer les criminels climatiques».Des activistes bloquant l’aéroport du Bourget, le 23 septembre 2022. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Les activistes appellent à multiplier les actions consistant à investir et bloquer les sièges des entreprises appartenant aux «ultrariches», à neutraliser les halls d’embarquement de leurs avions, les quais d’amarrage de leurs yachts ou encore les greens de leurs terrains de golf. «Par leur patrimoine, leur influence médiatique et leur consommation directe d’énergie, ce sont eux les “criminels climatiques”, les représentants d’un système qui nous emmène dans le mur : il ne faut plus avoir peur de les nommer directement», affirme Anton, d’Extinction Rebellion.
4- (Re)construire un mouvement de masse
Le mouvement climat doit-il poursuivre ses marches nationales? Le débat a parfois été vif, celles-ci étant jugées trop peu confrontatives. «Après toutes les manifestations de 2018 et 2019, j’ai eu le sentiment de tourner en rond», confie Léna Lazare. «J’entends ce sentiment, les marches prennent souvent un caractère rituel, assure Vincent Gay, sociologue et membre d’Attac. Mais tant qu’on n’en attend pas des miracles, il faut continuer de faire apparaître une majorité culturelle sur la question climatique et ne pas délaisser ces moments-là. J’ai été très déçu qu’il n’y ait pas de manifestation, lors de la rentrée sociale, après trois mois de canicule.»
Pour Pablo Flye, militant de 18 ans au sein de Fridays For Future, les marches permettent de recruter : «On le voit bien dans notre mouvement, il est nécessaire de conserver des points d’entrée faciles, avec un coût d’engagement faible pour de nouveaux militants. C’est souvent, pour eux, la première étape avant des actions plus radicales». «Le mouvement climat est sur un chemin de crête : il doit trouver une synthèse astucieuse entre la montée en radicalité, une culture de la résistance, et la construction d’un mouvement de masse», analyse le militant Jon Palais, pour qui «un mouvement marginal ne changera pas radicalement le système».Manifestation avant le sabotage de la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 6 novembre 2021. © Corentin Fohlen/Reporterre
Les récentes mobilisations autour des mégabassines ont par ailleurs rappelé que les marches pouvaient aussi prendre une forme plus offensive. C’est le cas des «manifs actions» : au cours de certaines marches, des dizaines de personnes présentes dans le cortège se sont attaquées aux mégabassines et les ont mises «hors d’état de nuire», tout en étant protégées par la masse de manifestants.
5- Tisser des alliances
Un front commun est possible. La preuve : le 18 juillet 2020, après des mois de rencontre, des militants du mouvement climat, notamment d’Alternatiba, manifestaient aux côtés du comité La vérité pour Adama derrière le slogan «On veut respirer». Quelques mois plus tôt était né le collectif Plus jamais ça, regroupant une quinzaine d’organisations environnementales comme Greenpeace, France Nature Environnement (FNE), les syndicats CGT, Solidaires et la Fédération syndicale unitaire (FSU), mais aussi Oxfam, Attac ou la Confédération paysanne, afin «de donner à voir que l’écologie et le social sont une seule et même question», expliquait Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.
Le 13 juin 2021, la première maison de l’écologie populaire, Verdragon, a ouvert ses portes en Seine-Saint-Denis, portée en commun par Alternatiba et le Front des mères. Le samedi 9 avril dernier, à la veille du premier tour de la présidentielle, la «marche pour le futur» a rassemblé divers collectifs souhaitant mettre la justice, le climat, l’égalité et la paix au cœur des débats.Samedi 18 juillet, à Beaumont-sur-Oise, la génération Adama et la génération climat ont marché ensemble pour exiger vérité et justice pour Adama. © Amanda Jacquel/Reporterre
«Ces alliances sont primordiales et doivent être consolidées, dit Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba et ANV-COP21. Elles sont une manière de clarifier quelle société on veut : plus juste, plus digne, sur une planète vivable. Nous ne voulons pas du repli sur soi de l’extrême droite, ni du technosolutionnisme du capitalisme. Les combats contre le racisme, les violences de genre, la précarité et le chaos climatique s’entremêlent. À nous, mouvement climat, de faire de la place à la parole des principaux concernés. Ça fait deux élections que Marine Le Pen est au second tour, elle gagne du terrain. On ne peut pas juste à chaque élection se dire “Ouf”, jusqu’à la prochaine. Il faut travailler sur cet imaginaire, construire un projet de société désirable.»
Pour Gabriel Mazzolini, chargé de mobilisation aux Amis de la Terre, «l’hiver qui vient sera décisif» : «Avec la crise des prix de l’énergie, on va vivre des augmentations hallucinantes et toutes les conditions sont réunies pour que la colère explose. Nous devrons être au cœur d’un front commun pour forcer la transition énergétique et alimentaire, et porter des mesures profondément sociales comme l’isolation thermique des logements.»
6- Entrer dans les institutions?
Alma Dufour, Claire Lejeune, Marie Pochon, Noé Gauchard… Activistes au sein du mouvement, elles et ils ont décidé, avant les élections législatives, de se lancer à la conquête de l’Assemblée nationale. «Si on a autant de retard, c’est aussi parce qu’on n’a pas assez de représentants politiques qui ont les luttes écologiques et sociales chevillées au corps, dit Alma Dufour, devenue députée Nupes de la 4e circonscription de Seine-Maritime. Il ne faut pas avoir peur de le dire : il faut conquérir le pouvoir, infuser de partout, mettre en branle tous les moyens possibles, y compris ceux de l’État.»https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=reporterre&dnt=false&embedId=twitter-widget-
L’intérêt de ces trajectoires ne fait pas consensus au sein du mouvement climat. Certains estiment qu’elles l’affaiblissent en l’amputant de militants chevronnés. C’est pourquoi elles concernent, pour l’heure, «des réflexions individuelles, et pas une volonté concertée du mouvement pour envoyer des relais dans les institutions», dit Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba.
Il n’en reste pas moins qu’«à un moment donné, la question des débouchés politiques se pose quand même pour le mouvement, étant donné l’ampleur des changements dont on a besoin», estime Nicolas Haeringer, membre de 350.org. «On a besoin de lois pour taxer les superprofits ou interdire les véhicules lourds, et d’institutions qui réapprennent à dire non aux lobbies», précise-t-il. «Avoir des députés favorables à ce que l’on défend, je prends. À nous de faire pression pour qu’ils gardent le cap», juge quant à lui Gabriel Mazzolini.
Face au mépris de M. Macron, le mouvement climat a enflé et gagné en radicalité. Des marches aux blocages, retour sur quatre ans d’écocolère.
Où en est le mouvement pour la justice climatique? Reporterre a posé la question à une quinzaine d’activistes qui, face à la destruction du monde, se remontent les manches. Dans une enquête en deux volets, nous détaillons leur stratégie pour qu’une société juste et écolo advienne, et retraçons quatre ans — depuis la démission de Nicolas Hulot — de lutte intense.
1- La démission de Hulot : l’étincelle
C’était un tournant inattendu. Le mardi 28 août 2018, en direct sur France Inter, Nicolas Hulot démissionnait. «Je ne veux plus me mentir, déclara le ministre de la Transition écologique et solidaire. Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement.» Ajoutant : «Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité? […] La réponse, elle est “non”.»
Ce constat d’échec, survenu au terme d’un été caniculaire et marqué par la première grève scolaire pour le climat lancée par la jeune suédoise Greta Thunberg, a précipité un sursaut inédit, en France, autour de l’urgence climatique. Des appels à manifester, spontanés, ont fleuri sur les réseaux sociaux. Dès le 8 septembre, 130 000 personnes — dont une majorité de néomilitants — déferlaient dans les rues de France.
«Chez les militants, tout le monde a été surpris qu’on croit en la capacité de Nicolas Hulot à changer les choses et que l’étincelle vienne de lui, se souvient Gabriel Mazzolini, chargé de mobilisation aux Amis de la Terre. Mais sa démission s’est paradoxalement avérée décisive : elle a mis dans la rue tout ce peuple des “petits gestes” acquis à l’idée que le problème climatique pourrait se régler en changeant nos comportements individuels.» Pour la première fois, «la mobilisation sur le climat débordait de l’agenda institutionnel et n’était plus corrélée à une COP [1], observe Vincent Gay, sociologue et militant au sein d’Attac. Une sorte de moment zéro a été posé, avec plein de limites, puisqu’il était surtout composé de classes moyennes supérieures, avec très peu de pancartes et de slogans.»
2- La politisation
Les mois suivants, les marches ont foisonné et les messages se sont affûtés. «En tant qu’entité du mouvement climat, notre responsabilité était de contribuer à la politisation de cet élan naissant, dit le directeur général de Greenpeace, Jean-François Julliard. Au début, la principale revendication des manifestants, c’était “il faut sauver la planète”. L’enjeu était d’aller au delà, d’identifier et de faire pression sur les principaux responsables du changement climatique.»
La cible numéro 1 était toute trouvée : le gouvernement d’Emmanuel Macron, l’autoproclamé «champion du climat». Le 18 décembre 2018, quatre ONG — Notre affaire à tous, Greenpeace, Fondation pour la nature et l’homme et Oxfam — intentaient le premier recours juridique contre l’État français pour inaction climatique, rapidement soutenu par plus de deux millions de personnes.
Le 8 septembre 2018, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris et dans plusieurs ville de France pour le climat. © Fanny Dollberg/Reporterre
Cet enrichissement politique s’est accéléré au contact d’un autre mouvement : celui des Gilets jaunes, né lui aussi durant l’automne 2018. Au départ, rien n’était joué, tant les deux paraissaient opposés. L’un prônait l’urgence climatique, l’autre le retrait de la taxe carbone. Fin du mois contre fin du monde. Pourtant, la barrière est tombée et le pont a été posé le 8 décembre 2018, jour où les militants ont marché ensemble derrière la banderole «Fin du monde, fin du mois, changeons le système, pas le climat».
«Ça n’a pas été simple, des deux côtés, reconnaît Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba. Il y avait de la méfiance, et en même temps la volonté de se comprendre, parce qu’on luttait contre un même système.» Dans leurs cahiers de doléances, les Gilets jaunes appelaient à taxer les yachts et le kérosène des avions plutôt que les particuliers, dénonçaient la surconsommation ostentatoire des riches… «Qui doit payer la facture, sur qui doivent reposer les efforts? Certainement pas les plus précaires, qui ne sont pas les plus responsables, mais sont aussi les premières victimes du changement climatique. Grâce aux Gilets jaunes, ce lien entre climat et justice sociale est devenu limpide», poursuit Élodie Nace.Lors de cette manifestation le 1er décembre 2018, des Gilets jaunes avaient tagué l’Arc de Triomphe. © Nnoman Cadoret / Reporterre
Cette rencontre a aussi remis en question les modes d’action du mouvement climat. «En ciblant les lieux de pouvoir, la révolte des Gilets jaunes interrogeait le mode d’action du mouvement climat, l’efficacité des marches et la possibilité d’aller vers des mobilisations plus éruptives», dit Nicolas Haeringer, membre de l’ONG 350.org.
3- La désobéissance
Le pic de la massification du mouvement climat a été atteint les 15 et 16 mars 2019 : des centaines de milliers de personnes ont manifesté pacifiquement dans les rues de France. Malgré ce grand succès, l’exécutif n’a pas changé de cap. Les activistes ont donc décidé de hausser le ton. Le mouvement climat a alors découvert la désobéissance civile. Cette forme de résistance consiste à transgresser les lois délibérément et de manière publique, pour montrer leur illégitimité du point de vue de l’intérêt général.
En février 2019, ANV-COP21 a entamé sa campagne Décrochons Macron. Dans les mois qui ont suivi, 151 portraits d’Emmanuel Macron ont été enlevés dans plusieurs mairies de France, le mur laissé vide devant symboliser l’«inaction du gouvernement face à l’urgence climatique et sociale». Le vendredi 19 avril, plus de 2 000 activistes écologistes ont aussi bloqué les sièges d’EDF, de la Société Générale et de Total à la Défense, ainsi que le ministère de la Transition écologique. «La désobéissance civile était un choix stratégique autant qu’une demande des nouveaux adhérents — qui ne tenaient pas à commencer leur parcours militant par des manifs, mais en allant bloquer directement les pollueurs», explique Jean-François Julliard. Les formations proposées, elles, ont été prises d’assaut.En 2019, Jean-François Julliard lors de l’opération «Bloquons la république des pollueurs». © Nnoman Cadoret / Reporterre
Avec ces parcours de radicalisation express, les opérations de blocage ont essaimé, parfois portées par de nouveaux acteurs. Extinction Rebellion, mouvement venu d’Angleterre, a pris racine en France à partir de novembre 2018 et signé son arrivée en occupant le centre commercial Italie 2 à Paris en octobre 2019, en installant une zad en plein Paris, ou encore en s’attaquant au secteur du BTP. Les jeunes en grève pour le climat, mobilisés au sein de Youth for Climate, ont également contribué à la vague désobéissante. Le lundi 10 février 2020, ils ont saccagé le siège parisien du gestionnaire d’actifs BlackRock. «La dynamique de mobilisation fonctionnait alors comme une réaction en chaîne, analyse Jon Palais, militant climat depuis 2006 et l’un des fondateurs d’Alternatiba. Le mouvement climat était présent sans répit, avec tout son écosystème d’organisations pour se relayer.»
Face à l’écocolère des activistes, la réponse du gouvernement a été la répression : plusieurs activistes ont été aspergés de gaz lacrymogène, comme les militants d’XR sur le Pont de Sully. Certains ont subi des arrestations musclées, ont passé des dizaines d’heures de garde à vue, et ont même été poursuivis.
4- Le coup de frein du Covid
Personne ne l’avait vu venir. Après de longs mois de mobilisation, la pandémie de Covid-19 a confiné les luttes à partir de mars 2020. «Les groupes ne se voyaient plus, on ne savait pas ce qui nous tombait sur la tête, ni combien de temps ça allait durer… c’était sidérant, dit Anton, d’Extinction Rebellion. Et en même temps, les considérations écologiques étaient toujours là, avec la conscience qu’il ne fallait pas que les choses repartent comme avant.»
Après la première vague pandémique, les mobilisations ont repris tant bien que mal, l’État faisant pleuvoir les amendes à chaque rassemblement pour «non-respect des gestes barrière». Le 26 juin 2020, une trentaine de militants d’Extinction Rebellion (XR) ont quand même investi les pistes de l’aéroport d’Orly, qui rouvrait le même jour. Trois mois plus tard, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, ANV-COP21 a organisé la plus grande action jamais menée en France contre le trafic aérien. «Le Covid n’a pas tout balayé, affirme Jon Palais. Le mouvement climat ne s’est pas manifesté aussi massivement, ni avec la même intensité, mais il s’est structuré pour être toujours présent.»
Pendant ce temps, l’exécutif n’a toujours pas engagé de politique écologique ambitieuse, sabordant notamment le travail de la Convention citoyenne pour le climat. Les mesures proposées par les citoyens, ont été vidées de leur substance par le gouvernement, puis les parlementaires, par la loi Climat adoptée en 2021. «C’était beaucoup d’énergie dépensée pour pas grand chose, regrette Chloé Gerbier qui, alors membre de l’association Notre affaire à tous, a rédigé plusieurs amendements espérant en vain améliorer cette loi. Pour de nombreux militants, cet épisode marque une rupture complète : c’est la dernière fois qu’on tentera de négocier avec les institutions.»Emmanuel Macron accueillant les membres de la Convention citoyenne pour le climat fin 2020 au palais d’Iéna. © Thibault Camus/POOL/AFP
De nombreux activistes ont alors rejoint des luttes locales, qui se sont amplifiées et se coordonnées pour faire plier des grands projets inutiles portés par l’État, dans la lignée de la victoire contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Les journées des Soulèvements de la terre ont, par exemple, empêché la bétonnisation de plusieurs lieux menacés.
Le mouvement climat a également tissé des alliances avec des collectifs antiracistes, féministes, ou des travailleurs particulièrement exposés à la transition écologique, partenaires dans la construction d’une société «plus juste, plus digne, sur une planète vivable» selon Élodie Nace. Le 19 juillet 2020, après des mois d’échanges entre Alternatiba et le Front des Mères, le mouvement climat a défilé aux côtés de la famille d’Adama Traoré — jeune homme mort asphyxié après une arrestation par des gendarmes — derrière le slogan commun «On veut respirer». «Si nous voulons que nos enfants puissent vivre dans un monde où ils ne craignent pas de mourir à cause d’un air pollué, ou écrasés sous le poids de trois gendarmes, nous devons lutter conjointement pour gratter du terrain face au système capitaliste qui nous étouffe», déclarait alors Fatima Ouassak, politologue et fondatrice du Front de mères.Juillet 2020. Derrière le mot d’ordre commun «On veut respirer», les militants du comité Adama et d’Alternatiba se sont engagés à lutter pour une écologie populaire et antiraciste. © Amanda Jacquel/Reporterre
5- Et maintenant : vers un retour en force?
Après une année marquée par l’élection présidentielle et l’omniprésence médiatique de l’extrême droite, la guerre en Ukraine et une crise énergétique galopante, où en est le mouvement climat? Plusieurs marches ont bien été organisées — pour une «vraie» loi Climat ou pour un sursaut écologique des candidats à l’élection présidentielle. Et des actions de désobéissance civile ont été menées en petits groupes, comme celles du nouveau collectif Dernière rénovation, qui lutte pour la rénovation énergétique des bâtiments. Mais le mouvement s’est fait plus discret à l’échelle nationale. «Nous sommes dans une phase de réflexion stratégique qui peut parfois être paralysante», concède Jean-François Julliard.
«Énormément de militants sont prêts monter en radicalité»
Mais les raisons d’espérer existent : les luttes locales «prennent de l’ampleur et permettent de gagner du terrain contre la destruction des terres», selon Chloé Gerbier, du collectif Terres de luttes. Le mouvement aurait, aussi, pris en maturité : «Durant ces quatre années, énormément de militants se sont formés et sont prêts à accepter une montée en radicalité pour aller se confronter à ce système», affirme Léna Lazare, membre de Youth For Climate et des Soulèvements de la terre. Les activistes sont de plus en plus prompts à s’attaquer directement aux «criminels climatiques», à savoir les riches ou les grandes entreprises fossiles comme TotalÉnergies. «Après le premier tour de l’élection présidentielle et après un été caniculaire, une vague de nouveaux militants sont arrivés dans nos organisations», se réjouit Élodie Nace. Des jeunes se préparent à occuper leurs écoles et leurs universités d’ici la fin de l’année 2022.
Pour celles et ceux qui composent le mouvement, il n’y a pas de doute : les conditions pour un retour en force sont réunies.