LE MONDE : A la suite des affrontements de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), l’ancien maire de Bègles (Gironde) et ex-député EELV dénonce, dans une tribune au « Monde », la stigmatisation et la criminalisation grandissantes des militants écologistes, signe à ses yeux de l’affrontement à venir entre deux visions politiques de plus en plus irréconciliables.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/24/noel-mamere-ce-gouvernement-a-decide-d-une-guerre-totale-contre-les-ecologistes_6170735_3232.html

Avant Sainte-Soline, nous savions que ce gouvernement avait choisi la stratégie de la tension, en renouant avec des pratiques brutales du maintien de l’ordre pour dissuader les Français d’exercer leur droit constitutionnel de manifester et entraver leur liberté d’expression.

Après Sainte-Soline, aucun doute n’est possible : ce gouvernement a décidé d’une guerre totale contre les écologistes et toutes celles et ceux qui se revendiquent comme tels.

C’est à Sainte-Soline, en effet, que l’on a vu réapparaître – après Sivens (Tarn) et Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) – des armes classées matériel de guerre à « létalité réduite », telles que les grenades de désencerclement et les LBD. Hier, elles ont tué Rémi Fraisse ; aujourd’hui, un jeune homme se trouve entre la vie et la mort. Selon des témoins sur place, parmi lesquels les observateurs de la Ligue des droits de l’homme, ce sont les forces de l’ordre qui ont empêché l’intervention d’urgence du SAMU.

Quadrillage militaire

Pourquoi un tel dispositif de guerre ? Pour défendre un trou de plusieurs hectares, symbole du productivisme agricole, contre des milliers de militants écologistes venus dénoncer cette aberration à l’heure où tous les signaux indicateurs de la ressource en eau sont au rouge. Réponse « largement disproportionnée », selon l’avis du rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, qui juge « préoccupante » la situation de la France.

Le gouvernement a fait le choix du quadrillage militaire de Sainte-Soline. C’était la meilleure façon d’attirer là les groupes minoritaires ultraviolents, toujours prêts à en découdre avec les forces de l’ordre. C’est aussi la confirmation d’une volonté politique de stigmatiser et de criminaliser des milliers d’écologistes, dont le seul « crime » est de remettre en cause pacifiquement un modèle de développement qui nous mène tous dans le mur.

Le ministre de l’intérieur, coutumier des amalgames langagiers empruntés au vocabulaire de l’extrême droite, en a rajoutépar ses choix de mots. Hier, nous étions des « écoterroristes », aujourd’hui, nous sommes des complices de l’« ultragauche » (expression inventée au moment de l’affaire Tarnac), des « casseurs » et, finalement, des « ennemis de la République ». Au point que ledit ministre demande la dissolution des Soulèvements de la Terre, réseau de luttes locales contre des projets inutiles et « écocidaires », désormais considéré comme un dangereux groupuscule prêt à renverser la République. Honte politique. Oùce pouvoir décidé à étouffer par tous les moyens le mouvement écologiste s’arrêtera-t-il ?

Comment répondre aux incessantes intimidations, aux agressions et sabotages de lâches hommes de main des lobbys de l’agrobusiness quand ils s’attaquent aux militants écologistes et aux journalistes indépendants ? Alors que le pouvoir et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) se rendent complices de certains agriculteurs qui ne respectent pas les décisions de justice (bassines illégales, barrages agricoles, pesticides interdits), la chasse est faite au mouvement écologiste, dont la motivation n’est autre que la défense de l’intérêt général et la protection des biens communs.

« Résistance »

Le « deux poids deux mesures » de la justice et l’arrogance des tenants du système productiviste sont flagrants. Ils ne peuvent que susciter la révolte de la génération de jeunes militants qui constatent les limites des marches pour le climat et des happenings bon enfant. Parce qu’elle se sent trahie, elle se contentera de moins en moins de la désobéissance civile non violente, pourtant inscrite dans notre culture politique depuis le XIXe siècle. Pour cette génération, la désobéissance est devenue « résistance », avec tout l’imaginaire qui l’accompagne. Il ne faudra pas s’étonner si certains basculent dans des formes d’activisme incontrôlables.

Comme en 1968, « les oreilles ont des murs ». Entre les défenseurs, quoi qu’il en coûte, du statu quo libéral et les écologistes, pour lesquels le changement de modèle conditionne notre survie, l’incompréhension est telle que les ingrédients de l’affrontement sont réunis. Il n’y aurait pourtant rien de pire pour notre démocratie déjà bien affaiblie.

Malheureusement, nous ne voyons rien venir qui pourrait nous donner des raisons d’espérer un changement de logiciel du pouvoir. Tandis que le président de la République annonçait son plan « eau », son ministre de l’agriculture s’engageait, devant la FNSEA, à ne pas demander d’« efforts supplémentaires » au monde agricole, pourtant premier consommateur de ce bien commun ; et s’opposait à l’interdiction d’un herbicide qui pollue les nappes phréatiques… La même FNSEA qui vient d’élire à sa présidence le patron d’Avril, puissant groupe agro-industriel international, et dont la devise « Servir la terre » sonne comme une provocation.

Noël Mamère a été maire de Bègles (Gironde) de 1989 à 2017, et député écologiste de 1997 à 2017.

Noël Mamère : « Ce gouvernement a décidé d’une guerre totale contre les écologistes »