LEMONDE du ‘ Novembre 2022 : On dit que les mots n’ont pas de sens, mais seulement des usages. Celui que vient d’en faire le ministre de l’intérieur à propos des opposants aux projets de mégabassines frise l’obscénité politique et apparaît comme une véritable déclaration de guerre aux écologistes.
Hier comme aujourd’hui, l’histoire montre que les premiers coups de canon d’une guerre ou d’une révolution sont toujours sémantiques. Selon M. Darmanin, la France serait menacée par des armées d’écoterroristes prêts à mettre le pays à feu et à sang au nom de leur dangereuse idéologie et de leur sectarisme. Rien de moins !
Cette qualification infamante adressée à des militantes et militants qui, dans leur immense majorité, ne font que s’inscrire dans une longue tradition de désobéissance à de grands projets inutiles, a été mûrement réfléchie au sommet de l’Etat. Avec un double objectif : nous imposer son vocabulaire, relayé par de nombreux médias et réseaux sociaux, pour dicter ses valeurs ; nous pousser à parler avec ses mots plutôt que de débattre des limites de notre modèle agricole dominant. Nous savons que parler et penser avec les mots de l’adversaire, c’est déjà rendre les armes. Il faut donc restituer aux mots leur véritable signification pour rendre à nos actes leur sens politique.
Stigmatisant et révoltant
Pour celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire des mouvements écologistes, ce qui ne semble pas être le cas de M. Darmanin, « l’écoterrorisme » est une invention des milieux conservateurs. Cette expression, aussi stigmatisante que révoltante pour les amalgames auxquels elle procède, vient de lobbys victimes d’activistes écologistes qui se qualifient d’« ecowarriors » ou d’« écoguerriers », principalement des Anglo-Saxons ayant recours à des actions qui n’excluent pas le sabotage écologique par l’atteinte à des biens matériels.
Ce fut le cas du groupe radical Earth First !, créé par le néoluddite Dave Foreman au début des années 1980, aux Etats-Unis, dont les tactiques militantes alliaient le refus de tout compromis et le recours à des actions illégales pour s’attaquer à des projets jugés nocifs pour le vivant. Son modèle était le Monkey Wrench Gang (Gang de la clef à molette), gang du roman publié par l’activiste américain Edward Abbey en 1975, qui contait les aventures d’un groupe d’activistes écolos n’hésitant pas à saboter les engins qui détruisaient le désert de l’Utah. Abbey est très vite devenu un auteur culte aux Etats-Unis en même temps qu’une référence pour la plupart des écologistes qui n’ont rien de « terroristes » !
Etaient-elles « terroristes » ces villageoises du mouvement Chipko Andolan qui, dans les années 1970, enlaçaient les arbres pour empêcher leur destruction à la tronçonneuse ? Elles ne faisaient que défendre leur culture et leur économie locale, inséparables de leur forêt.
Sont-ils « terroristes » les paysans d’Amérique latine et d’Afrique qui se battent contre les projets extractivistes et l’accaparement de leurs terres par des firmes multinationales ?
Pays ensanglanté par des attentats
Les paysans du Larzac et les activistes qui accompagnaient leur longue lutte [de 1971 à 1981] contre un projet de camp militaire étaient-ils des terroristes ? L’étions-nous quand, en juillet 2004, à l’initiative de José Bové, de la Confédération paysanne et des « Faucheurs volontaires », nous arrachions chacun un pied de maïs OGM devant les gendarmes pour expliquer que Monsanto, Syngenta, Pioneer et autres n’avaient pas à décider du contenu de notre assiette ?
Que le ministre de l’intérieur d’un pays qui a été ensanglanté par des séries d’attentats terroristes islamistes se permette d’établir un parallélisme de langage avec les actions des écologistes relève de l’indécence, du cynisme et d’une irresponsabilité confondante. Dans une situation de grande fragilité politique pour le pouvoir et à l’heure où les Français sont plus inquiets que jamais, c’est une faute que de jeter en pâture des militants et militantes qui n’ont d’autre souci que de préserver l’avenir de l’humanité. En aucun cas, ils ne peuvent être confondus avec les quelques extrémistes infiltrés dans leurs rangs.
En ajoutant les écologistes à sa liste des boucs émissaires, le ministre de l’intérieur atteste d’un comportement de pyromane.
Il se trouve malheureusement des alliés de circonstance venus de là où on ne les attendait pas. Disons le tout net, en « enfonçant » dans les médias Yannick Jadot, qui venait d’être pris à partie par une frange d’activistes, plutôt que de prendre sa défense au nom de leurs valeurs communes, Sandrine Rousseau fait le jeu à la fois de Gérald Darmanin et de ceux qui cherchent à nous affaiblir. Les adversaires de l’écologie et des écologistes n’en espéraient pas tant. La recherche de la lumière et la perspective d’un congrès [le 10 décembre] ne peuvent tout justifier.
Noël Mamère a été maire de Bègles (Gironde), de 1989 à 2017, et député écologiste de 1997 à 2017.
Noël Mamère : « Ecoterrorisme, un parallélisme de langage qui relève de l’indécence, du cynisme et de l’irresponsabilité »