Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, qui a présenté jeudi son rapport annuel, appelle le gouvernement à davantage anticiper la fin de vie des réacteurs.

C’est un rendez-vous qui permet de dresser le bilan de l’état des installations nucléaires, mais aussi d’adresser des messages forts, notamment aux responsables politiques, concernant l’avenir de la filière. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, a présenté jeudi 27 mai son rapport devant les parlementaires, au terme d’une année marquée par la décision d’ouvrir la voie à la prolongation de la durée de vie des réacteurs les plus anciens.

Le constat général est relativement positif : malgré la crise sanitaire, la sûreté du parc s’est « globalement améliorée » en 2020. Il y a un an, le gendarme du nucléaire s’inquiétait d’un « recul de la rigueur » dans l’exploitation des centrales. Mais depuis, des progrès ont été réalisés : l’ASN salue notamment une « meilleure surveillance en salle de commande » et un « pilotage plus rigoureux » des installations par EDF. Paradoxalement, le Covid-19 a pu favoriser ces progrès. « Le report de certaines activités, la présence renforcée des managers sur le terrain ou une pression moindre mise sur les arrêts de réacteurs ont pu contribuer à cette amélioration », a précisé Bernard Doroszczuk.

Si le tableau d’ensemble est satisfaisant, des points d’attention demeurent. L’ASN note la persistance d’écarts de conformité, c’est-à-dire des modifications ou des opérations qui ne sont pas réalisées conformément au cahier des charges et qui remettent en cause la capacité des installations à fonctionner. Le dossier du chantier du réacteur de troisième génération EPR à Flamanville (Manche) reste également particulièrement complexe. Marqué par de nombreux aléas, le projet n’a « plus de marge » par rapport à son objectif de mise en service en 2022 et pourrait, au contraire, connaître de nouveaux retards.

En mars, l’ASN a en effet été informée de nouvelles difficultés concernant les soudures de trois « piquages » du circuit principal – la partie d’une tuyauterie qui la raccorde à une autre –, plus grandes que ce qui était prévu. Aujourd’hui, EDF étudie trois options pour les consolider ou les réparer. « Ces options n’ont pas du tout le même impact, a expliqué M. Doroszczuk. Seule la première [qui consiste à consolider le piquage en mettant en place des colliers de maintien] permettrait de rester dans le calendrier d’une mise en service en 2022. » En parallèle, EDF est engagée dans la réparation d’une centaine d’autres soudures, un problème distinct qui avait conduit l’entreprise à annoncer en 2019 un nouveau retard d’au moins trois ans pour l’EPR.

Des travaux d’ampleur considérable

Plus largement, c’est la question du vieillissement du parc qui a été au cœur de l’intervention de Bernard Doroszczuk. En février, le gendarme du nucléaire a ouvert la voie à la poursuite d’exploitation, pour dix années supplémentaires, des 32 réacteurs mis en service à la fin des années 1970 et dans les années 1980. Cette décision générique doit encore être confirmée par un réexamen approfondi de chaque réacteur lors des visites décennales, qui se poursuivront jusqu’en 2031.

A cette occasion, des travaux d’ampleur considérable vont être menés. Or l’ASN a répété jeudi son inquiétude quant à la capacité d’EDF, qui exploite les centrales, à les mettre en œuvre. Alors qu’en 2019, la « visite des 40 ans » du réacteur numéro un du site de Tricastin a mobilisé près de 5 000 personnes pendant six mois, ce sont quatre examens décennaux qui doivent être réalisés en 2021. Au cours des prochaines années, la charge de travail dans le secteur de la mécanique doit aussi être multipliée par six. « C’est un point de vigilance mais c’est aussi une opportunité, pour la filière, pour entretenir ses compétences », a souligné le président de l’ASN.

L’horizon 2040 « préoccupant »

Au-delà de cet enjeu immédiat, Bernard Doroszczuk appelle à se projeter sans attendre vers l’horizon 2040, qu’il juge « préoccupant ». Les centrales nucléaires pourront-elles continuer à fonctionner au-delà de 50 ans ? Actuellement, « rien ne garantit qu’une prolongation supplémentaire soit possible », a souligné M. Doroszczuk. Les cuves des réacteurs notamment, dont le métal est exposé au rayonnement, ne sont pas remplaçables. Pour l’ASN, c’est donc aux responsables politiques de faire des choix en amont de cette échéance. « Si en 2040 les capacités de production des énergies décarbonées ou les gains en termes d’efficacité énergétique ne sont pas suffisants, la tentation risque d’être forte de chercher à prolonger la durée de vie des réacteurs », a-t-il résumé.

Des décisions doivent aussi être prises concernant les déchets. L’ASN l’a rappelé : de nombreuses études ont été menées concernant les différentes filières. Il est maintenant urgent que le gouvernement fasse des choix concrets pour disposer de solutions pérennes dans une quinzaine d’années.

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