Le parquet de Marseille a retenu douze chefs dont ceux de « mise en danger d’autrui » et de « non-déclaration d’incident ou d’accident » avec « risque d’atteinte à la sûreté ».

Dans la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), en juin 2019.
Dans la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), en juin 2019. PHILIPPE DESMAZES / AFP

Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour EDF, déjà confronté à des arrêts en cascade de ses réacteurs. Selon les informations du Monde, confirmées de source judiciaire, la procureure de la République de Marseille a ouvert début mai une information judiciaire contre X. Elle fait suite à la plainte déposée en octobre 2021 par un ancien membre de la direction de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) dénonçant une « politique de dissimulation » d’incidents et d’écarts en matière de sûreté. La plainte visait EDF et la direction du Tricastin des chefs de « mise en danger de la vie d’autrui », « infractions au code pénal, au code de l’environnement, au code du travail et à la réglementation relative aux installations nucléaires » et « harcèlement ».

Si la plainte a été déposée devant le tribunal judiciaire de Paris, c’est celui de Marseille qui a finalement obtenu le dossier, notamment parce que la centrale duTricastin, l’une des plus vieilles de France, est située dans sa zone de compétence géographique. L’enquête a été confiée au pôle de santé publique. Ce dernier a déjà entendu longuement l’ex-cadre d’EDF, qui souhaite conserver l’anonymat – il se fait appeler Hugo – et demande le statut de lanceur d’alerte.

La procureure de Marseille a retenu douze chefs, dont la mise en danger d’autrui par personne morale « avec risque immédiat de mort ou d’infirmité par violation manifestement délibérée » d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence. Figurent également les chefs de « non-déclaration d’incident ou d’accident » par l’exploitant d’une installation nucléaire avec risque d’atteinte à la sûreté ou d’exposition significative aux rayonnements ionisants et de « non-déclaration à l’autorité de sûreté nucléaire d’événement significatif ». Toutes les infractions visées concernent des faits survenus entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2021 à la centrale du Tricastin, située sur la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux.

« Harcèlement moral »

Hugo, qui avait été nommé au sein de la direction de la centrale du Tricastin fin 2016, décrit dans sa plainte de nombreux incidents et écarts de sûreté qui auraient été passés sous silence par EDF ou déclarés avec retard à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le plus impressionnant est sans doute la fuite survenue dans l’un des bâtiments électriques de la centrale à l’été 2018 : les agents avaient dû parer au plus pressé en recourant à de simples raclettes et à un aspirateur emprunté à un prestataire de nettoyage pour essayer de résorber l’inondation. Le plaignant assure que cet incident a été minimisé lors de sa déclaration au gendarme du nucléaire.

L’enquête devra aussi vérifier s’il y a eu « obstacle au contrôle des inspecteurs de la sûreté nucléaire ». Hugo, qui est toujours salarié d’EDF, a notamment évoqué la pression mise sur un inspecteur lors d’une visite de l’inspection nucléaire, une unité spécifique chargée d’évaluer le niveau de sûreté des centrales, en juillet 2018. La consigne avait été donnée de le « pousser à bout et de le dégager »,a raconté le plaignant.

En retenant les motifs de« faux » et « usage de faux en écriture »,le parquet de Marseille va même au-delà des chefs listés dans la plainte. Il relève également l’infraction de « harcèlement moral » dont Hugo dit avoir été victime en raison de son refus de participer à la stratégie de dissimulation qu’il dénonce.

« L’ouverture d’une information judiciaire pour de telles qualifications, à l’encontre d’un opérateur économique de premier plan, constitue une décision exceptionnelle, réagissent Vincent Brengarth et William Bourdon, les avocats d’Hugo. Elle ouvre la voie à une reconnaissance par la justice des faits dénoncés et ayant valu à notre client, lanceur d’alerte, de traverser un véritable calvaire depuis plusieurs années. »

Hugo avait déposé sa plainte après avoir essayé, en vain, de parvenir à une solution en interne, en alertant la direction de la centrale, celle du groupe ainsi que l’ASN. Il avait également informé de la situation le gouvernement lors d’une réunion organisée au ministère de la transition écologique fin juillet 2021.

Contacté, EDF dit ne pas souhaiter faire de commentaire sur le sujet. Lors du dépôt de la plainte en octobre 2021, l’ASN avait contesté toute dissimulation de la direction de la centrale du Tricastin à son égard.

Nucléaire : une information judiciaire ouverte après la plainte visant EDF pour des « dissimulations » d’incidents à la centrale du Tricastin