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La certification « Haute valeur environnementale » rencontre un vif succès parmi les grosses exploitations agricoles. Logique : elle permet de percevoir de l’argent public sans quasiment rien changer à ses pratiques peu vertueuses.

Les agriculteurs peuvent-ils utiliser des pesticides classés cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction tout en bénéficiant d’une certification « Haute valeur environnementale » (HVE) ? La réponse est oui. Le nouveau cahier des charges de cette certification – publié le 22 novembre – le permet, comme le permettait le précédent. La certification HVE inclut bien d’autres contradictions, dénoncées par les associations environnementales et certains syndicats agricoles, mais aussi par la Cour des comptes ou la Commission européenne. Elle est pourtant de plus en plus mise en avant dans les rayons des supermarchés, en particulier le vin, avec son logo rouge sur fond blanc, et sa ferme ensoleillée ornée d’un papillon.

Aucune interdiction des pesticides

Lancée en 2011, dans la foulée du Grenelle de l’environnement, la certification HVE récolte un succès grandissant. En 2021, le nombre d’exploitations agricoles certifiées HVE progresse même de 73 % ! Au 1er janvier 2022, on compte près de 25 000 fermes ou domaines viticoles labellisés HVE en France, contre moins d’un millier cinq ans plus tôt. Or, la consommation des pesticides, elle, ne diminue pas. Loin s’en faut. En 2021, on a même utilisé plus de pesticides en France qu’en 2009, au sortir du Grenelle, alors même que la « haute valeur environnementale » n’était pas encore mise en place [1].

« Les exploitations HVE sont majoritairement viticoles, car ce sont de grosses consommatrices de pesticides »

Rien d’étonnant à cette apparente contradiction : le cahier des charges de la certification HVE ne prévoit aucune interdiction des pesticides. Il se contente d’accorder des points si les exploitants diminuent leur consommation. Volontairement incitatif, ce cahier des charges est basé sur un système de notations réparti en quatre grandes thématiques : « biodiversité », « stratégie phytosanitaire » (le terme marketing pour pesticides), « gestion de la fertilisation » et « gestion de l’irrigation ». Ce qui compte, c’est la note finale. Une étude de Greenpeace publiée en juin 2021 cite l’exemple de la filière blé dans l’est de la France : « Une part non négligeable d’agriculteurs ont des notes égales à zéro sur les objectifs concernant l’usage d’herbicides, mais qui ont une note finale leur permettant d’obtenir la certification HVE », observe-t-elle. De plus, « même si elle édicte des objectifs chiffrés », la démarche HVE « ne spécifie jamais de note éliminatoire s’ils ne sont pas atteints » [2].

Le cahier des charge en cours jusqu’au 1er janvier 2023 propose d’accorder des point à ceux dont la consommation de pesticides ne représente qu’un faible ratio du chiffre d’affaires. « Ceux qui ont les plus gros chiffres d’affaire peuvent utiliser plus d’intrants et ne rien changer à leurs pratiques, dénonce Jean-Bernard Lozier, de la Confédération paysanne, siégeant à la Commission nationale de la certification environnementale (CNCE), où est défini le cahier des charges. Pas étonnant que les exploitations HVE soient majoritairement viticoles, car ce sont de grosses consommatrices de pesticides. » La vigne consomme 20 % des pesticides utilisés en France pour 3,7 % de la surface cultivée [3]. Et les vignerons sont friands du label HVE. Ils constituent les trois quarts des certifications accordées.

Les associations environnementales opposées à HVE

Le label rouge et blanc ne prévoit rien non plus sur le respect de la saisonnalité, le bien-être animal – par exemple le nombre d’animaux élevés par m² – ou encore l’usage d’antibiotiques. « Cette certification environnementale s’avère être avant tout un redoutable outil de communication pour « verdir » l’agriculture, sans répondre aux vrais défis sociaux, économiques, écologiques et alimentaires de l’agriculture »dénonce la Confédération paysanne. En décembre 2020, ce syndicat agricole décide, avec plusieurs organisations environnementales – Agir pour l’environnement, le Synabio (le syndicat des entreprises du secteur bio), mais aussi la fédération France nature environnement qui a pourtant participé à la mise en place de HVE – de dévoiler publiquement cette mascarade. Ils organisent une conférence de presse pour dénoncer « l’illusion de transition agroécologique » que constitue cette certification.

« Un redoutable outil de communication pour verdir l’agriculture, sans répondre aux vrais défis sociaux, économiques, écologiques et alimentaires »

Dans une note confidentielle remise aux ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique quelques mois plus tôt, et révélée par Le Monde en mai 2021, l’Office français de la biodiversité assure que dans la plupart des cas, HVE n’apporte aucun bénéfice environnemental. En février 2022, un rapport de la commission économique de l’Assemblée nationale s’inquiète du fait que la certification HVE se résumerait à conseiller les agriculteurs concernés sur l’utilisation de pesticides : « Les services du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ont, à plusieurs reprises, assimilé le suivi des agriculteurs engagés dans la certification HVE à du conseil stratégique à l’utilisation des PPP (produits phytosanitaires= pesticides, ndlr) », constate le rapport. La Cour des comptes s’étonne de son côté que l’agriculture HVE, « bien moins exigeante que l’agriculture biologique », soit pourtant « fortement » soutenue par le ministère de l’Agriculture.

Inquiétude des députés, de la Cour des comptes et de la Commission européenne

Le gouvernement semble n’avoir que faire de ces diverses remarques, du moins jusqu’à ce que la Commission européenne s’en mêle. Le 22 mars dernier, elle exige de la France qu’elle revoit sa façon de décliner nationalement la future Politique agricole commune (PAC). Le syndicat de la FNSEA prévoyait en effet de rémunérer à hauteur égale l’agriculture bio et l’agriculture HVE, par un paiement à l’hectare unique. « La Commission note avec préoccupation que la rémunération de niveau supérieur pour service environnemental dans l’écorégime est la même pour l’agriculture biologique et la certification HVE alors que le cahier des charges de cette certification est beaucoup moins contraignant. »

« Il est nécessaire de clarifier, et si besoin de modifier, certains éléments du plan stratégique national français afin qu’il respecte pleinement le cadre réglementaire, particulièrement en ce qui concerne la certification HVE dans le cadre de l’écorégime », ajoute la Commission [4]. Cette fois, la France est obligée de revoir sa copie. Les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique commandent une étude, en vue de rénover leur bébé HVE. Pilotée par l’Office français de la biodiversité (OFB), cette évaluation est sans appel. « L’analyse de terrain montre que la majorité des exploitations enquêtées n’ont pas eu à changer leurs pratiques pour être certifiées ». Au final, il existe un écart important entre les exigences du cahier des charges HVE et « les pratiques nécessaires et suffisantes pour une transition agroécologique ». Quant à l’argument de la progressivité de la démarche, qui permettrait d’y aller petit à petit, il est tout simplement balayé.

Si un agriculteur épand des engrais pétrochimiques, mais qu’il a téléchargé une application qui lui dit à quel moment les utiliser, il cumule des points

Cette analyse sans concession est suivie de quelques recommandations dont le nouveau cahier des charges ne va pas tenir compte puisqu’il est adopté le 30 juin avant même la présentation de l’évaluation du label HVE le 5 juillet. L’esprit HVE reste donc inchangé : il s’agit d’inciter en attribuant des points tout en permettant de compenser des pratiques peu vertueuses. Pour tenir compte des demandes de Bruxelles, la France accorde une légère plus-value à l’hectare pour le bio, qui passe à 110 euros, contre 80 euros pour le HVE. Fâchés de ce traitement différencié, la FNSEA, les JA (Jeunes agriculteurs, la branche de la FNSEA pour les paysans de moins de 35 ans) et les chambres d’agriculture s’abstiennent de voter le nouveau cahier des charges. Il est finalement adopté grâce au vote des représentants de l’administration, ministères en tête, et reste globalement très favorable au système agricole dit « conventionnel ».

Produits cancérigènes autorisés, mégabassines favorisées ?

La possibilité d’utiliser des produits classés cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction demeure. On peut même en retirer des points, dans certaines conditions, notamment en obtenant « des dérogations exceptionnelles octroyées par arrêté des ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement » en cas d’« impasses avérées » ou de « situations de force majeure ». En ces temps de bouleversements climatiques, il est à craindre que ce type de situations se multiplient, et avec elles les dérogations pour épandre dans la nature des produits toxiques. Il est aussi possible, avec le label HVE, de répandre des pesticides au-delà des parcelles agricoles, du moment que c’est limité, et d’être récompensé pour cela. « Les conditions d’application des traitements visant à limiter les fuites dans le milieu et allant au-delà des obligations réglementaires » permettent en effet de collecter jusqu’à deux points. En clair, il est possible de continuer à polluer rivières et bosquets alentour tant qu’un minimum d’efforts est produit pour que cela reste localisé.

Pour épandre des engrais de synthèse, très énergivores en gaz, on peut gagner des points si on utilise des « outils d’aide à la décision ». Traduction : si un agriculteur épand des engrais issus de la pétrochimie, mais qu’il a téléchargé une application qui permet de lui dire à quel moment les utiliser au mieux, il cumule des points. Bien vu, pour les vendeurs d’applications. Un peu moins pour les sols et les rivières, déjà saturés d’azote. Une saturation à l’origine, entre autres, du phénomène des algues vertes.

« On a l’impression que s’ils trouvent un mur écroulé avec des lézards dedans, ça leur fait un point »

Pour les usages de l’eau, « l’adhésion à une démarche de gestion collective » peut aussi rapporter des points. Questions : les très controversées mégabassines représentent-elles une démarche de gestion collective ? Contactées par Basta! à plusieurs reprises, l’association pour le développement de la HVE n’a pas répondu. Pas plus que la FNSEA ou l’assemblée permanente des chambres d’agriculture.

Quels contrôles ?

« Ce n’est pas du tout à la hauteur de l’urgence environnementale, regrette Jean-Bernard Lozier à propos de ce nouveau cahier des charges. Il n’y a aucune approche systémique. On aurait pu mettre la barre beaucoup plus haut. » On aurait aussi pu faire plus simple. Car ce cahier des charges est une véritable usine à gaz, pleine de formulations alambiquées, de dérogation, et d’éléments dont on se demande bien comment ils pourront être contrôlés. SUR LE MÊME SUJET

« On n’a jamais compris comment ils s’y prennent pour noter, remarque Dominique Techer, lui-même viticulteur et porte-parole de la Confédération paysanne en Gironde. C’est vraiment olé olé. On a l’impression que s’ils trouvent un mur écroulé avec des lézards dedans, ça leur fait un point. » Peu importe, semble-t-il. En plus des 80 euros par hectare, les agriculteurs qui obtiennent la certification HVE peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt de 2500 euros par an. Pour une ferme de 100 hectares, cela fait un total de 10 500 euros d’aides publiques par an. Si les 100 000 exploitations de 100 ha ou plus que comptent la France étaient certifiées HVE et éligibles aux subventions publiques, plus d’un milliard d’euros seraient ainsi dépensés chaque année. Sans rien changer, ou si peu.

Nolwenn Weiler

Produits cancérigènes autorisés, contrôles opaques : les dessous de la mention « haute valeur environnementale »