Le ministre de l’éducation nationale veut proscrire ce vêtement traditionnel couvrant venu du golfe Persique, considérant qu’il s’apparente à un signe ostensiblement religieux.
LE MONDE du 28 août :
« J’ai décidé qu’on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école, a annoncé Gabriel Attal lors du “20 heures” de TF1, dimanche 27 août. Lorsque vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d’identifier la religion des élèves en les regardant. » Le ministre de l’éducation nationale avait déjà affiché une consigne de fermeté auprès des recteurs, qu’il avait réunis le jeudi : « Là où la République est testée, nous devons faire bloc. »
Qu’est-ce que l’abaya ?
L’abaya (mot arabe qui signifie « toge », « manteau ») est un vêtement couvrant, souvent ample et léger, qui se porte des épaules jusqu’aux pieds, semblable à la djellaba en Afrique du Nord ou au qamis en Afrique de l’Ouest.
On peut lui adjoindre un foulard ou un voile, l’abaya ne couvrant pas le visage, contrairement à la burqa. Vêtement féminin, elle peut être portée par les hommes, même si la coupe diffère.
Souvent de teinte neutre, elle s’est également développée comme vêtement de mode aux couleurs plus éclatantes.
Comment la différencier d’autres vêtements voisins ?
Il est très difficile de distinguer une abaya d’autres habits assez proches.
La djellaba, d’origine berbère, se différencie par des couleurs habituellement plus vives et des motifs ornementaux plus riches. Le qamis, souvent considéré comme l’équivalent masculin de l’abaya, possède notamment des lignes plus droites et serrées.
Sur X (ex-Twitter), l’ancienne ministre de l’égalité des territoires et du logement Cécile Duflot s’est ainsi amusée à demander si une robe longue couvrante était une « atteinte à la laïcité », en partageant une photo d’une pièce de luxe griffée Gucci. Il peut être difficile de distinguer une robe longue couvrante d’une abaya.
Pourquoi ce vêtement est-il au centre d’une polémique ?
Selon une note des services de l’Etat dont Le Monde a eu copie, les signalements d’atteinte à la laïcité en milieu scolaire sont en augmentation depuis un an (4 710 en 2022-2023, contre 2 167 l’année précédente), et plus de 40 % des remontées mensuelles concernent désormais des tenues pouvant relever aussi bien du culturel que du cultuel – comme le qamis ou la djellaba pour les hommes ou l’abaya pour les femmes. Ces remontées concernent environ 150 établissements, sur plusieurs milliers de collèges et lycées.
Certains y perçoivent une entorse à la loi de 2004, qui proscrit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Le précédent ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, avait publié une circulaire en novembre 2022, tout en laissant la liberté aux chefs d’établissement de trancher sur le caractère religieux ou non de ces tenues. Une position jugée trop mesurée, voire laxiste, par l’opposition de droite et d’extrême droite.
S’agit-il d’un vêtement religieux ?
C’est l’une des principales interrogations du personnel de l’éducation nationale.
L’abaya est d’abord un vêtement traditionnel. Dans son Dictionnaire détaillé des noms des vêtements chez les Arabes (1845), l’orientaliste néerlandais Reinhart Dozy la définissait comme « l’habit caractéristique des Bédouins d’à peu près tous les temps ». Simple et rustique, il s’est diffusé dans le golfe Persique et ses environs.
Les abayas courtes ou encore colorées étaient acceptées dans la société saoudienne jusqu’à la fin des années 1970. Après une prise d’otage par des rebelles fondamentalistes à La Mecque en 1979, le roi Khal Aziz Al Saoud a donné des gages à ces défenseurs d’une des visions les plus littéralistes et rigoristes de l’islam. Parmi les lois marquantes, le port de l’abaya noire devient obligatoire pour les femmes, qui perdent par ailleurs de nombreuses libertés. Le vêtement s’impose dès lors en Arabie saoudite, devenant un marqueur de l’islam salafiste dans l’imaginaire occidental.
Vu de France, où le courant wahhabite a gagné en influence dans les années 2010, l’abaya peut apparaître comme un signe d’appartenance religieuse. Une interprétation que conteste le Conseil français du culte musulman, qui, par la voix de son vice-président Abdallah Zekri, l’a simplement qualifiée d’« espèce de mode ».
En l’état, l’appréciation du caractère religieux de l’abaya par les chefs d’établissement repose surtout sur le contexte et l’intention prêtée à celui qui la porte. Le vade-mecum sur la laïcité à l’école, publié en 2021 par le ministère de l’éducation nationale, précise qu’« un signe ou une tenue qui n’est pas, à proprement parler, religieux, peut ainsi être interdit s’il est porté pour manifester ostensiblement une appartenance religieuse ». Le caractère provocateur, répété ou encore le refus de l’enlever sont considérés comme des signes de valeur religieuse.
D’autres pays ont-ils déjà interdit l’abaya ?
La France est le premier pays occidental à annoncer vouloir interdire l’abaya à l’école. Mais le premier pays à l’avoir fait est… l’Arabie saoudite, qui, sous l’impulsion du prince héritier Mohammed Ben Salman, a entrepris ces dernières années un virage libéral. Depuis 2022, le royaume wahhabite a proscrit le port de l’abaya pour les femmes pendant les examens. Il s’agit d’une des nombreuses mesures visant à moderniser la société de la monarchie pétrolière, comme la levée de l’interdiction de conduire pour les Saoudiennes.