Instauré pour 2025 puis 2035, cet objectif risque de disparaître, alors qu’un projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs fait l’objet d’un vote solennel au Sénat, mardi.

Par Adrien Pécout

Sur le site du projet de réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, en Normandie, le 14 juin 2022.
Sur le site du projet de réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, en Normandie, le 14 juin 2022. SAMEER AL-DOUMY / AFP

L’inconstance de l’Etat sur le nucléaire pourrait tenir en un pourcentage. Réduire à 50 % la part de l’atome dans la production d’électricité en France (contre encore 69 % en 2021 et 75 % il y a une décennie) :tel fut l’un des soixante engagements électoraux du candidat François Hollande à la présidentielle de 2012. Engagement pris dès la primaire socialiste d’octobre 2011, puis scellé, un mois plus tard, dans un accord avec les écologistes, en vue des législatives. Une promesse gravée, ensuite, dans le marbre de la loi, d’abord « à l’horizon 2025 », durant le quinquennat de M. Hollande – en 2015. Puis, finalement, « à l’horizon 2035 », au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron – depuis 2019. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Nucléaire : la course contre la montre pour construire de nouveaux réacteurs en France

Plutôt vague, par définition. « Comme dans d’autres lois, cette mesure a surtout une valeur déclarative. L’horizon, quand nous nous en approchons, il s’éloigne », ironise un proche de l’ancien gouvernement socialiste. Après « expertise pragmatique », ce pourcentage, « brandi comme un totem politique », s’avère « inatteignable » dès 2025, a reconnu l’actuel chef de l’Etat, en novembre 2018, à l’occasion d’un discours sur la transition écologique.

D’abord repoussé d’une décennie, le « totem » se voit, aujourd’hui encore, malmené, jusqu’à risquer l’effacement. Un signe du retour en grâce de l’atome, interprètent déjà ses détracteurs. Sans, pour autant, que cela rende forcément hors de portée l’objectif d’amoindrir la place du nucléaire dans le bouquet électrique ; tout cela dépendra aussi de la capacité de l’Etat à combler ou non son retard dans l’éolien et le solaire.

De plafond à plancher

La question revient ces jours-ci plus tôt que prévu, au détour du projet de loi sur la simplification des procédures administratives pour construire de nouveaux réacteurs nucléaires, qui fera l’objet d’un vote solennel au Sénat, mardi 24 janvier. Modifié par un amendement de la droite sénatoriale, le texte projette maintenant de changer le code de l’énergie. Fini le dessein de restreindre la place de l’atome d’ici à 2035, il s’agirait désormais de « maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50 % à l’horizon 2050 ». Une façon de transformer le plafond… en plancher.

Selon la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, toute décision de cet ordre serait prématurée. Cependant, le gouvernement a lui-même proposé de gommer la mention des 50 %. Rejeté par le Sénat, le 17 janvier, l’amendement de l’exécutif entendait insérer un objectif plus flou, celui de « diversifier le mix électrique, en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables ». Pour certains observateurs, cette proposition relevait surtout du jeu politique avant le passage à l’Assemblée nationale, une manière de se concilier les bonnes grâces des députés favorables à l’atome – en particulier à droite.

Contacté, l’entourage de la ministre justifie cet « objectif de diversification du mix énergétique sans fixer un chiffre de référence » par une volonté de temporiser, avant les conclusions des débats publics sur la consommation énergétique et sur la relance du nucléaire. L’examen de la future loi de programmation sur l’énergie et le climat devrait plutôt occuper la seconde partie de l’année, et non le premier semestre, malgré la date butoir (avant le 1er juillet) fixée par la loi Energie-climat de 2019 – le projet de réforme des retraites occupant le calendrier.

Les promesses de fermetures

« Mécaniquement, la part des énergies renouvelables va augmenter » dans la décennie, considère la même source gouvernementale, dans la mesure où la mise en service d’un nouveau réacteur nucléaire serait envisagée au plus tôt en 2035 –hormis le sempiternel EPR de Flamanville (Manche), dont le premier béton date de 2007, et dont la mise en service est désormais repoussée à… 2024.

Il y a une décennie, l’heure était plutôt aux promesses de fermetures. En novembre 2011, huit mois après la catastrophe japonaise de Fukushima, le « pacte de mandature » entre le Parti socialiste (PS) de Martine Aubry et les Verts de Cécile Duflot ambitionnait la fermeture « progressive » de vingt-quatre des cinquante-huit réacteurs en exploitation. A commencer par l’arrêt « immédiat » des deux tranches de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Lesquelles ont finalement cessé de fonctionner en février et juin 2020, bien après le départ de François Hollande.

Son successeur, Emmanuel Macron, a d’abord suivi la même direction. En 2018, il annonçait l’arrêt définitif de quatorze réacteurs d’ici à 2035, dont ceux de Fessenheim.La perspective de ces quatorze fermetures figure d’ailleurs toujours dans la programmation pluriannuelle de l’énergie aujourd’hui en vigueur, adoptée en avril 2020.

Des va-et-vient qui ont désorienté la filière

Entre-temps, la donne a pourtant bien changé, sur fond de crise des prix de l’énergie et de guerre en Ukraine. Avec l’argument climatique d’une électricité bas carbone, le président de la République a attendu la fin de son premier quinquennat pour assumer la relance d’un programme nucléaire, en février 2022.

Non seulement il a annoncé le chantier de six à quatorze nouveaux réacteurs, mais il a aussi ouvert la voie à la prolongation de toutes les unités au-delà de cinquante ans, contredisant ses précédentes annonces de fermetures : « Je souhaite qu’aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l’avenir, compte tenu de la hausse très importante de nos besoins électriques, sauf, évidemment, si des raisons de sûreté s’imposaient. »

« Tel qu’il existe, ce pourcentage est vague et sans chiffrage, tout le monde peut l’interpréter comme il l’entend » – Boris Solier, maître de conférences à l’université de Montpellier

Au regard de la décennie écoulée, ces va-et-vient ont désorienté la filière et l’ont davantage préparée à fermer des réacteurs qu’à en construire, d’après Jean-Bernard Lévy. « On nous a dit : “votre parc nucléaire va décliner” », rappelait le dirigeant, alors patron de l’électricien EDF, en août 2022.

Les fluctuations autour d’un pourcentage à atteindre « traduisent les hésitations stratégiques du gouvernement vis-à-vis de l’énergie nucléaire », estime Bruno Villalba, professeur de science politique à l’école AgroParisTech. « Quand Hollande a donné quitus aux écologistes avec Fessenheim, il n’a pas programmé, pour autant, une série de fermetures. »

Pour sa première campagne présidentielle, en 2017, le candidat Macron a repris la promesse de réduire la part de l’atome pour 2025 – le volet « énergie » de son programme avait pour coordinateur l’ancien député socialiste Arnaud Leroy, nommé par la suite à la tête de l’Ademe, l’agence de la transition écologique (2018-2022).Un rythme vite « difficile » à tenir, a reconnu Nicolas Hulot, ex-animateur de télévision et éphémère ministre de la transition écologique, dès novembre 2017 : « Je préfère le réalisme et la sincérité à la mystification. »

Manque de précision

Cette mention des 50 % a toujours manqué de précision, pour la simple et bonne raison que le code de l’énergie ne spécifie pas la valeur absolue à laquelle se rapporte ce pourcentage. A l’origine, il s’agissait de ménager un compromis entre les écologistes, désireux de sortir du nucléaire, et leurs interlocuteurs, soucieux de préserver cette filière. Un cap politique avant tout. « Un objectif de baisse structurelle et massive pour la première fois depuis l’installation du parc nucléaire [dans les années 1970], sans nouvelle construction », rappelle l’eurodéputé écologiste David Cormand, impliqué dans l’accord avec le PS.

En jeu, aussi, d’emblée : atténuer la dépendance à l’atome en cas de problème (telle la corrosion observée, ces derniers mois, sur certains réacteurs) et encourager les investissements dans les énergies renouvelables.

« Tel qu’il existe, ce pourcentage est vague et sans chiffrage, tout le monde peut l’interpréter comme il l’entend », selon Boris Solier, maître de conférences à l’université de Montpellier, spécialisé dans l’économie de l’énergie. Et pour cause, plus la production électrique augmente, plus ledit pourcentage pèse lourd aussi.

En revanche, depuis 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte mentionne bien un plafond plus concret : elle limite la puissance maximale du parc nucléaire français à 63,2 gigawatts (GW). Une norme surtout prévue pour pousser EDF à arrêter la centrale de Fessenheim, en contrepartie de la mise en service, toujours attendue, de l’EPR de Flamanville. « Une loi de transition énergétique qui aurait vraiment correspondu à l’objectif de réduire la part du nucléaire aurait dû inclure une baisse progressive de ce plafond, cette solution n’a finalement pas été retenue », regrette l’ex-ministre écologiste Cécile Duflot.

Complément de l’éolien et du solaire

Ce plafond, un autre amendement de la droite sénatoriale au même projet de loi sur les simplifications administratives prévoit à présent de le liquider. Faux sujet, assurent certains connaisseurs du système électrique, car la jauge maximale possible semble déjà compatible avec les projections d’ici à 2050. Du moins, selon tous les scénarios du gestionnaire national Réseau de transport d’électricité (RTE), en complément d’un déploiement massif de l’éolien et du solaire.

A supposer qu’une partie du parc nucléaire – 37 ans d’âge en moyenne – fonctionne encore (il resterait 24 GW sur les 61 GW actuels, les plus vieux réacteurs étant amenés à fermer) d’ici là, et si quatorze nouveaux réacteurs voient le jour, ainsi que plusieurs petits réacteurs modulaires SMR (environ 27 GW au cumul), la puissance du parc se trouverait encore en deçà, par rapport à la limite aujourd’hui impartie des 63,2 GW.

« Même avec quatorze nouveaux réacteurs, la part du nucléaire ne dépassera pas 50 % à l’horizon 2050 », a ajouté Agnès Pannier-Runacher, au Sénat. Pour ce qui est de 2035, c’est encore autre chose.

Adrien Pécout

Ramener le nucléaire à 50 % de l’électricité : l’insaisissable totem