Sabine Martin, pilote du réseau « eau » de France Nature Environnement, analyse les errements et insuffisances de la politique de l’eau ainsi que les déséquilibres de la gouvernance, à l’origine des dissensions et solutions extrêmes que sont ces retenues d’eau communément appelées des mégabassines.

Quelles sont les régions les plus impactées par le développement des mégabassines ?

Les projets sont nombreux. Ils sont concentrés dans l’Ouest (Vendée, Charentes-Maritimes, Vienne, Deux-Sèvres….) et dans l’Est de la France, sur l’arc alpin – notamment pour créer de la neige artificielle… Le Sud est aussi concerné, il y a notamment le lac illégal de Caussade (Lot-et-Garonne), à Sivens (Tarn), car après l’abandon du barrage, le projet de territoire n’est toujours pas terminé. D’après la Confédération paysanne, on commence aussi à parler de mégabassines dans le Nord.

Comment se fait-il, avec toutes les instances de concertation sur l’eau que nous avons en France, que l’on arrive à des solutions de court terme comme les mégabassines et à un partage de l’eau vécu comme inéquitable ?

C’est étonnant en effet, car ces bassines ne servent qu’à quelques uns, qui font partie de l’agriculture conventionnelle, responsable du manque d’eau, par la destruction des sols. Si l’on veut de l’eau, il faut de la biodiversité et des sols vivants. Les Assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau ont accusé le changement climatique, or c’est avant tout l’appauvrissement des sols qui est en cause. Cela fait soixante-dix ans que l’on tire sur la corde ! C’est pour cela que le concept « One Health » (« une seule santé ») est une grande avancée, car il fait le lien entre le microbiote des sols de celui des humains… Mais les forces en présence dans les instances de décision sont très déséquilibrées. J’étais au comité de bassin Adour-Garonne, de 2014 à 2020, et je peux vous dire que la force des lobbys agricoles y est épouvantable. Dans l’enceinte de la commission de planification, nous étions deux ou trois représentants d’associations de protection de la nature sur 80 personnes. Même en s’alliant aux pêcheurs et associations de consommateurs, on pèse peu face à la chambre d’agriculture et aux élus, qui sont très souvent aussi des agriculteurs. Derrière la parole du syndicat majoritaire (seul présent), les lobbies du machinisme, des semenciers et des producteurs d’engrais sont très lourds. Et les agriculteurs ne sont pas accompagnés pour sortir de ce système agricole, dont la plupart sont victimes.

Que faudrait-il changer dans la gouvernance locale de l’eau ?

Dans les comités de bassins, on parle de l’eau et des milieux aquatiques, pas des sols. Pour rendre la directive « Eau » effective, il nous manque la directive « Sols », qui est régulièrement retoquée à Bruxelles mais qui est à nouveau sur la table de travail… Les organismes uniques de gestion collective (OUGC), qui gèrent l’eau agricole, sont tenus par les chambres d’agriculture. Ils demandent les « volumes prélevables » au préfet, en fonction des cultures, qui elles-mêmes, sont choisies par rapport à leur « valeur ajoutée » et non à leur adaptation au terrain et au climat. Elles seraient alors pourtant moins coûteuses en irrigation, intrants, etc. Je suis parvenue à faire intégrer dans le Sdage (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) du bassin Adour Garonne des recommandations sur le ralentissement dynamique de l’eau (par la végétation et les sols). Mais seuls les Sage (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau, qui se fait à un niveau plus local que le Sdage, NDLR) et leur déclinaison, sont opposables.

La décision de construction des bassines à Sainte-Soline et dans le bassin de la Sèvre niortaise (lire notre article) a été justifiée par une étude du BRGM qui ne traite que de l’eau souterraine. C’est très partiel pour étudier la disponibilité d’une ressource qui concerne près d’une cinquantaine de spécialités ! En réalité la décision a été prise pour contourner les arrêtés de restriction. En la stockant dans les bassines, l’eau est privatisée pour l’usage des producteurs de maïs, quel que soit le contexte. Comment exercer une transition alors qu’il n’y a aucun Projet de territoire de gestion de l’eau (PTGE) qui comporte des engagements agro-écologiques ?

A Sainte-Soline, la Coopérative de l’eau a des engagements mais sur le terrain, rien ne change… Les aides publiques ne devraient pas être distribuées pour des sols qui ne sont pas agradants (rendus plus fertiles, NDLR), c’est-à-dire avec un taux d’humus suffisant et qui permet de retenir « l’eau verte » dans les bassins versants. Cette eau, qui est retenue par les sols, pompée par la végétation, les arbres, est huit fois plus importante que l’eau des rivières (l’eau bleue). C’est la meilleure des pompes hydriques. Cet été, les sols réchauffaient le climat au lieu de le rafraîchir.

« Si on veut de l’eau, il faut de la biodiversité et des sols vivants »