LE MONDE : L’écologie, souvent confondue avec un mouvement politique, est avant tout la science qui étudie les liens unissant les organismes vivants à leur milieu. La punition, c’est ce qui nous abîme quand nous agissons mal : l’écologie scientifique montre ce qui nous punit aujourd’hui.
Nos engrais phosphatés sont trop riches en cadmium, trois fois supérieurs aux recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et cemétal lourd toxique contamine nos aliments. La moitié des Français sont surcontaminés, avec des conséquences rénales, hépatiques, osseuses (un tiers des problèmes d’ostéoporose en France viendraient de là) et des cancers (dont celui du pancréas, qui progresse de 3 % par an). Les pesticides polluent les aliments et les eaux : meilleure est la détection des résidus, moins il reste de régions « épargnées ». On les retrouve aussi dans l’air qu’on commence à tester, même en ville : après les Pays de la Loire et l’Hérault, La Rochelle sonne l’alarme.
Car les pesticides nuisent : la santé des agriculteurs en est l’indicateur évident. Ils présentent 54 % de lymphomes plasmocytaires et 20 % de myélomes multiples de plus que la moyenne française, selon la cohorte Agrican ; à 55 ans, c’est 13 % de maladie de Parkinson en plus.
Mais ne blâmons pas seulement l’agriculture. Les polluants éternels (ou PFAS, des composés fluorés) s’échappent de nos ustensiles de cuisine, de nos textiles et des usines productrices. Cancérigènes, perturbateurs hormonaux, toxiques pour divers organes, leur coût annuel en santé publique atteindrait de 52 milliards à 83 milliards d’euros en Europe. Nos plastiques libèrent des perturbateurs endocriniens non moins nocifs.
Selon une étude de la Commission européenne, dévoilée par Le Monde en juillet 2023, interdire les substances chimiques les plus dangereuses économiserait entre 11 milliards et 31 milliards d’euros de santé publique par an en Europe – pour un manque à gagner, côté industriel, dix fois moindre.
Vies mutilées, coûts sanitaires : notre gestion de l’environnement nous punit. Notre santé a des fondements écologiques : comment croire que les atteintes répétées à notre environnement ne génèrent pas de désordres dans notre santé et notre bonheur ? Médecins et vétérinaires commencent à penser le concept de « santé unique »,qui relie la santé humaine à celles des animaux, des plantes, des sols, de l’air… bref aux écosystèmes dont nous dépendons totalement. Un collectif de médecins a dénoncé, en mars, la suspension du plan national Ecophyto limitant l’usage des pesticides.
Démagogie coupable
Il y a une démagogie coupable et cruelle à ignorer ou à marginaliser les alertes écologiques au nom duconfort et du pouvoir d’achat des Français. Soigner un cancer demain n’améliore ni le pouvoir d’achat ni le confort. Certes, notre longévité n’a jamais été aussi grande : mais c’est celle d’individus qui ont grandi avant les pollutions actuelles. En France, l’espérance de vie en bonne santé a reculé en 2022.
Renversons les choses : l’écologie suggère des solutions pourproduire sans être puni. Revisitons les mauvaises nouvelles à cette aune.
Côté engrais, les urines et les fèces des Français contiennent environ 25 % des besoins en azote et en phosphate de l’agriculture du pays, mais… on les dilue (dans l’eau en tirant la chasse !) et les collecteurs les mêlent à des eaux de ruissellement contaminées. Nos impôts locaux traitent en station d’épuration ce qui devrait retourner aux champs. Le quintal d’ordures biologiques de cuisine que chacun produit annuellement pourrait aussi fertiliser ceux-ci. Oui, notre lien avec l’environnement est bidirectionnel, nous pouvons assister les écosystèmes agricoles.
Solutions agricoles
Quant aux pesticides, nous devons utiliser des plantes plus résistantes aux pathogènes pour réduire leur usage. Ainsi, de nouveaux cépages (les Resdur) sélectionnés par l’Inrae réduisent de sept à dix fois les applications de fongicides – et, donc, les coûts humains et énergétiques d’épandage. Semer des mélanges de variétés avec des résistances différentes aux maladies freine la propagation de celles-ci : mais cette méthode reste peu utilisée. Les haies, dont on arrache 25 000 kilomètres par an en France (malgré des subventions pour replanter 3 000 kilomètres dans le même temps), réduisent de 84 % l’arrivée des bioagresseurs. Elles sont, en effet, un obstacle à leur propagation et abritent des prédateurs des insectes nuisibles. De plus, elles limitent l’érosion et l’assèchement estival par le vent, tout en stockant 100 tonnes de carbone par kilomètre. Les solutions agricoles existent : l’agroécologie ne demande que des aides financières.
Dans le domaine industriel, le remplacement des produits toxiques (polluants éternels, plastiques, etc.) sera plus difficile. Mais ne nous leurrons pas : c’est préparer la demande et le marché de demain. Ne reproduisons pas cette procrastination qui, pour la voiture électrique, a miné la compétitivité de notre industrie automobile. Une réglementation et des aides appropriées feront la grandeur industrielle de demain. Il ne serait ni moral ni stratégique de sauver l’existant en sacrifiant l’avenir.
Finissons-en avec l’écologie punitive, celle qui tue et coûte. Développons, avec les données scientifiques disponibles, une écologie préventive : nous le devons à la santé et à l’avenir des Français.
Gilles Boeuf, professeur à Sorbonne-Université et professeur invité au Collège de France, a présidé le Muséum d’histoire naturelle (2009-2015), a publié « La Biodiversité, de l’océan à la cité » (Fayard, 2014) ; Marc-André Selosse, professeur au Muséum d’histoire naturelle et à l’Institut Universitaire de France, est l’auteur de « Nature et préjugés. Convier l’humanité dans l’histoire naturelle » (Actes Sud, 2024).
Gilles Boeuf (Biologiste) et Marc-André Selosse (Biologiste)