LE MONDE : L’association présente les grandes lignes de la 5e édition de ses travaux prospectifs, qui prévoient la fermeture du dernier réacteur nucléaire en 2045.
Pas de construction de nouveau réacteur nucléaire, une consommation d’énergie divisée par deux, une production électrique 100 % issue des énergies renouvelables… La cinquième édition du scénario de l’association négaWatt contribuera sans aucun doute à nourrir le débat, de plus en plus vif dans le contexte de la campagne présidentielle, sur les contours de la transition énergétique. Si l’association, pilotée par des experts indépendants, ne publiera son rapport détaillé que le 26 octobre, elle en dévoile les grandes lignes, mercredi 20 octobre.
« Nous sommes dans un contexte préoccupant, entre l’urgence écologique et sociétale d’un côté et le constat d’une action qui n’est toujours pas au rendez-vous de l’autre, explique Yves Marignac, porte-parole de négaWatt. L’idée est bien de dessiner un objectif commun et de tracer une trajectoire concrète pour l’atteindre. »
Depuis sa création, en 2001, l’association s’appuie sur les mêmes fondamentaux, à commencer par la sobriété, une notion souvent occultée du débat sur l’énergie, qui vise à prioriser les besoins essentiels dans les usages individuels et collectifs. Il s’agit, par exemple, d’éliminer les gaspillages, de contenir l’étalement urbain, de préférer le vélo à la voiture… Mais en aucune façon de « revenir à la bougie ».
« Réduire de 30 % la consommation d’électricité dans un bâtiment en éteignant les machines à café, la climatisation ou les écrans quand il n’y a personne dans les bureaux, ça ne diminue pas le confort de vie, assure Stéphane Chatelin, le directeur de négaWatt. Et nous insistons sur les aspects collectifs : pour inciter à prendre le vélo, il faut des pistes cyclables, des parkings… Il y a des politiques publiques de la sobriété à mettre en œuvre. »
Priorité à la rénovation énergétique performante
Afin de diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction d’un même besoin, négaWatt mise aussi sur l’efficacité. Ces leviers sont ensuite déclinés par secteurs d’activité. Pour le bâtiment, les experts proposent de privilégier la réhabilitation de bâtiments existants plutôt que les constructions neuves, ou de généraliser les systèmes de chauffage les plus performants. Surtout, ils appellent, une nouvelle fois, à faire de la rénovation énergétique performante une priorité, pour espérer atteindre l’objectif inscrit dans la loi de rénover l’ensemble du parc à un niveau basse consommation d’ici à 2050.
Augmentation du taux de remplissage des camions, généralisation des véhicules électriques et hybrides, baisse de la production d’acier, de ciment et de plastique, accroissement du nombre de produits durables et réparables, forte hausse des taux de recyclage, diminution de 50 % de la quantité de protéines animales consommées, développement de l’agriculture biologique… Grâce à l’ensemble de ces mesures, la consommation d’énergie pourrait avoir diminué de 53 % à l’horizon 2050. Si cette décrue peut sembler importante, elle correspond, en réalité, à l’objectif inscrit dans la stratégie nationale bas carbone décidée par le gouvernement,qui consiste à « réduire de moitié les consommations d’énergie dans tous les secteurs d’activité ».
Selon ce scénario élaboré par négaWatt, charbon, pétrole et gaz fossiles ne constitueraient plus que 4 % du mix d’ici trente ans. L’électricité représenterait 44 % de cette consommation d’énergie et serait produite uniquement à partir de renouvelables – la production d’électricité serait de 530 térawattheures, avec une électrification importante des usages. L’éolien deviendrait la première source d’énergie, avec 99 gigawatts (GW) de capacités installées, contre 17,6 GW fin 2020. Le pays compterait alors 18 500 éoliennes, soit près de deux fois le nombre actuel – par comparaison, il y en a déjà 30 000 en Allemagne, sur un territoire plus petit. Ce sont aussi 3 000 éoliennes en mer et 140 GW de capacités photovoltaïques (10,3 GW, fin 2020) qui auront été mises en service, dont 52 GW au sol, hors terrains agricoles.
Développement du biogaz d’origine agricole
Par rapport à ses précédents travaux, négaWatt a revu à la baisse ses prévisions en matière de recours à la biomasse, en réduisant notamment les prélèvements de bois en forêt, en raison des incertitudes liées à l’avenir de ces écosystèmes fragilisés par le réchauffement. L’association mise, en revanche, sur le développement du biogaz d’origine agricole et continue de s’appuyer sur le processus de méthanation, qui permet de stocker de l’électricité sous forme de méthane, pour répondre au défi de la variabilité des renouvelables (la production d’un parc éolien ou d’une centrale solaire fluctue en fonction des conditions météorologiques et de l’alternance jour-nuit).
Concernant le nucléaire, l’association prévoit désormais la fermeture du dernier réacteur en 2045. D’ici là, les experts plaident pour une fermeture progressive des centrales et réclament l’abandon du projet de l’EPR de Flamanville (Manche), dont la mise en service est prévue pour début 2023 après moult déboires, retards et surcoûts.
Outre le fait d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ce scénario aurait aussi un impact positif en matière de santé (réduction de la pollution de l’air), sur l’économie et sur l’emploi, assurent ses concepteurs. Ainsi, au moins 250 000 postes pourraient être créés dès 2030 dans le secteur de la rénovation et près de 90 000 dans les énergies renouvelables, de nouvelles filières industrielles pourraient voir le jour et les 50 milliards à 70 milliards d’euros dépensés chaque année pour importer des énergies fossiles pourraient être fléchés vers des investissements d’avenir.
La publication de ce travail prospectif faisant la part belle à la maîtrise des consommations d’énergie et aux renouvelables intervient dans un contexte très politique, quelques jours seulement avant la parution des scénarios de production électrique du gestionnaire du Réseau de transport d’électricité, réalisés à la demande du gouvernement, et alors que le président, Emmanuel Macron, pourrait annoncer prochainement sa volonté de lancer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Espérant peser dans le débat des prochains mois, négaWatt publiera, le 26 octobre, une série de propositions détaillées à l’intention des candidats à la présidentielle.
Perrine Mouterde