Pour une Sécurité sociale de l’alimentation

Le principe : intégrer l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale grâce à une «carte vitale de l’alimentation».

(Maskot/Getty Images/Maskot)

par Jean-Luc Gleyze,, président du Département de la Gironde et Pierre Hurmic, maire de Bordeaux

publié le 31 janvier 2023 à 13h45

Comment harmoniser les politiques écologiques et sociales ? Comment remettre la société dans une dynamique de progrès et de justice ? Rendez-vous pour deux journées de débats à la cinquième édition de Solutions solidaires, les 1er et 2 février à Bordeaux, en partenariat avec le département de la Gironde.

En France, les femmes, hommes, étudiants et enfants ayant recours à l’aide alimentaire sont toujours plus nombreux. La pandémie a mis en lumière cette précarité alimentaire criante à ceux qui feignaient encore de l’ignorer. Dans ce contexte, comment ne pas penser à l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue la Sécurité sociale comme «garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes». Comment ne pas y voir aujourd’hui l’appel à instituer une véritable démocratie alimentaire grâce à une Sécurité sociale de l’alimentation ?

Son principe : intégrer l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, grâce à une carte vitale de l’alimentation qui donnera accès à des produits conventionnés pour un montant déterminé, par mois et par personne. Les critères de conventionnement des produits se décideront démocratiquement avec les citoyens au sein de caisses locales, où chacun cotisera selon ses moyens et recevra selon ses besoins. C’est une voie pour dépasser les biais d’une aide alimentaire nécessaire mais dont nous ne pouvons nous satisfaire, car elle contraint les plus pauvres à manger les rebuts alimentaires des plus aisés et les surplus des industries agroalimentaires. Or, la dignité humaine ne saurait être effective tant que des Françaises et des Français devront se rationner, sauter des repas ou négliger la qualité de leur alimentation faute de moyens. Par ailleurs, le système alimentaire agro-industriel est partie prenante du dérèglement global : mis en cause dans les bouleversements climatiques, il l’est tout autant dans la précarité de nos paysans en favorisant les grands producteurs et propriétaires agricoles, au détriment d’une pratique paysanne.

La dignité des revenus des paysans de nos territoires

Nous devons avoir l’audace de libérer des angoisses du lendemain en inventant collectivement un système alimentaire qui répond à un droit inconditionnel et égalitaire à l’alimentation et garantit la dignité des revenus des paysans de nos territoires. Nous devons avoir le courage de tenir l’exigence démocratique de la protection sociale, fondée sur l’universalité et aujourd’hui complété par le souci des générations futures.

Selon nous, la Sécurité sociale de l’alimentation conçue comme un outil pour réaliser pleinement le droit à une alimentation durable, respectueuse de notre biodiversité et de la santé, est une réponse directe aux enjeux sociaux, économiques, sanitaires et environnementaux.

Alors, on nous opposera les coûts et l’utopie d’une telle expérimentation. Nous répondrons d’une part que les coûts existent déjà. Sociaux, écologiques et de santé publique, ils sont engendrés par l’insécurité alimentaire, les maladies qu’elle cause, et les conséquences environnementales désastreuses générées par la production et la consommation alimentaire actuelles. D’autre part, si l’utopie peut prêter à sourire, elle est nécessaire : n’était-ce pas elle qui a animé le Conseil national de la Résistance et son programme des «jours heureux» pour aboutir à la création de notre protection sociale ?

Un droit pour tous

La Sécurité sociale de l’alimentation est donc aussi l’occasion de réfléchir à l’articulation de l’initiative locale avec des revendications plus générales : celles des conditions de travail, de production, de consommation, et même de la démocratie. Derrière l’enjeu de faire de l’alimentation durable un droit pour tous et non le privilège d’une minorité, il y a la volonté de sortir de la logique du profit pour s’orienter vers une vie bonne et digne.

C’est pourquoi en Gironde, le département, la ville de Bordeaux, les membres du Collectif Acclimat’action ainsi que des groupes de citoyens issus des différents territoires de Gironde (Bordeaux, Bègles, Captieux, Saint-Foy-la-Grande) s’unissent afin de définir des critères d’expérimentation d’une sécurité sociale de l’alimentation sur notre territoire. Dès maintenant, nous portons un engagement local pour une action globale : le droit à une alimentation sûre, saine, pour toutes et tous.

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