Jean-Marc Stébé, professeur en sociologie à l’université de Lorraine, retrace dans « Le Pavillon, une passion française », publié en février avec Hervé Marchal, les étapes de la constitution de l’habitat pavillonnaire.
Au printemps 2020, les habitants des villes enviaient ceux de la France pavillonnaire qui, bien à l’abri derrière leurs clôtures, jouissaient d’espace pour vivre, travailler, bricoler, se reposer, s’isoler, d’un jardin pour respirer, jardiner, se dépenser. La crise sanitaire n’a fait que mettre au jour ce que beaucoup n’osaient s’avouer : le pavillon avec jardin, loin du bruit de la ville, fait toujours rêver, même s’il est régulièrement accusé d’avoir défiguré le paysage, mangé les terres agricoles et de générer pollution et gaz à effet de serre du fait de la nécessité d’avoir une voiture pour le rallier…
Tous les sondages le prouvent depuis des décennies : la maison individuelle avec jardin constitue l’habitat idéal pour plus de 75 % de la population, et le Covid-19 n’a fait que renforcer cette tendance. La France compte ainsi plus de 20,6 millions de maisons individuelles sur un total de 37,2 millions de logements.
Dans « Le Pavillon, une passion française », publié aux Presses universitaires de France en février, Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal, qui se sont intéressés par le passé aux zones périurbaines où la maison individuelle est reine, retracent les étapes de la constitution de l’habitat pavillonnaire.
Ils détaillent les ressorts de ce choix par ses habitants et dressent une typologie des maisons individuelles. Tout en analysant la difficulté de faire évoluer ce modèle à l’heure de l’incontournable transition écologique et du zéro artificialisation nette (ZAN), alors que les constructeurs de logements collectifs tentent aujourd’hui d’y intégrer les atouts des pavillons (espaces extérieurs, modularité des intérieurs…).
Comment les politiques publiques ont-elles contribué au développement des zones pavillonnaires ?
Rêve de millions de ménages, la maison individuelle n’a été inscrite que timidement à l’agenda des politiques publiques. La première grande politique publique de construction de pavillons pour les classes moyennes et ouvrières supérieures est incarnée par le pavillon « Loucheur », du nom du ministre du Travail qui l’a défendu en 1928, et que l’on voit encore beaucoup en Ile-de-France sous la forme des maisons en meulière. La loi « Loucheur » procurait des avantages aux accédants à la propriété.
Dans les années 60, avec l’essor de l’automobile, et sur le modèle américain, la construction des maisons individuelles se développe dans ce que l’on n’appelle pas encore le périurbain. Puis, à la fin des années 60, le ministre Albin Chalandon va mettre en place des politiques en vue de construire des lotissements car, à l’époque, on voulait déjà lutter contre les pavillons individuels qui se construisaient un peu de façon anarchique.
Des villages expos de maisons témoins seront ainsi bâtis, au travers desquels les constructeurs montreront les différents types d’habitats de lotissements imaginables. Et ce sera un grand succès. Albin Chalandon voulait que tous les Français aient pu accéder à la propriété d’un pavillon d’ici aux années 2000…
On sentait aussi, à ce moment-là, que la crise du logement d’après-guerre allait prendre fin. Tout le monde était logé, beaucoup dans des habitats collectifs, certes, puis s’est ensuivie la bascule d’un modèle public d’aide à la pierre vers un modèle plus individualisé des aides à la personne et le développement d’un système bancaire spécifique.
Que recherchent aujourd’hui les habitants dans cet habitat individuel ?
Le potentiel d’habitabilité du pavillon s’est pleinement révélé durant les confinements liés à la pandémie de Covid-19. La maison individuelle avec jardin a permis de développer de multiples activités liées à des moments, des rythmes et des espaces distincts. La crise sanitaire n’a pas fait naître l’« habitant total » (qui exerce tous les moments de sa vie au sein de son logement, y compris son travail, ndlr), elle l’a révélé. Cet « habitant total » a en effet trouvé dans le pavillon, durant cette période, un type de logement à même d’accueillir l’étendue de ses besoins et aspirations.
Les résidents des pavillons sont cependant loin de tous connaître la même condition. Certains occupants des zones pavillonnaires les plus modestes et les plus excentrées connaissent un sentiment de désenchantement, d’isolement et d’échec, quand d’autres sont parfaitement intégrés dans les flux et l’intensité de la vie urbaine en ayant accédé à des pavillons prisés au sein de communes ou de niches communales ici huppées, là gentrifiées, ailleurs écologiques.
Le choix de la vie en pavillon a toujours été critiqué par les élites. Pourquoi ?
Dès le début des années 60, un regard critique et dédaigneux a été porté sur le pavillon de banlieue. Cela n’émane pas des figures politiques, mais d’une certaine catégorie supérieure de la population, des intellectuels qui le considèrent comme le pavillon du « petit-bourgeois ». C’est grâce à des intellectuels marxistes comme Henri Lefebvre que l’on va se dire « regardons ces habitants comme des gens ordinaires », et que cette vision va évoluer.
Puis la critique sera portée par les écologistes et par un certain nombre de décideurs politiques jugeant le rêve des Français comme un « mal ». Cela se traduira par la loi « SRU » de 2000 et son objectif de limitation de l’étalement urbain. Aujourd’hui les maires seront pris en étau avec des citoyens voulant garder leurs écoles. Quel levier actionner pour attirer des familles, à part construire des lotissements ? Les dents creuses, les maisons abandonnées à restaurer, ça ne fait rêver que les bobos parisiens !
Le rêve d’une majorité de Français reste aujourd’hui l’acquisition d’une maison individuelle, en contradiction avec les impératifs de transition écologique comme le ZAN. Comment éviter la frustration d’une partie de la population et le risque social qui lui est lié ?
Quand, en 2021, Emmanuelle Wargon, alors ministre du Logement, a déclaré que le modèle du pavillon avec jardin n’était plus soutenable, elle s’est mis à dos toute une filière de constructeurs, représentant plusieurs centaines de milliers d’emplois. Je pense qu’il faut faire un travail pédagogique auprès des familles pour montrer que l’on peut construire d’autres types d’habitat individuel, de l’habitat pavillonnaire en bande, deux pavillons l’un sur l’autre avec un terrain partagé, comme cela existe en Allemagne ou dans les pays nordiques…
On peut aussi parler du Bimby (« Build in my Backyard »), qui consiste à scinder son terrain pour y construire un nouveau logement et faire de la densification douce. Cela peut notamment être adapté pour des personnes âgées ayant construit sur un grand terrain dans les années 70 et qui n’ont plus la force de s’en occuper.
Mais il est sûr que cela ne répondra pas à la distance physique que chaque propriétaire tente d’instaurer avec ses voisins pour accéder à la tranquillité, aux aspirations de certains qui recherchent une forme d’isolement. Il est impossible, dans ce cas, de « faire le tour du propriétaire », c’est-à-dire de posséder un pavillon où l’on a un espace confortable entre les voisins de droite et de gauche…