Les collectivités rivalisent d’ingéniosité afin d’éviter que les zones à faibles émissions (ZFE) ne virent à la fronde. Elles s’activent afin d’aider les automobilistes à acheter des voitures propres. Mais le soutien des collectivités cumulé à celui de l’Etat suffira-t-il pour les foyers les plus modestes ?

Le chiffre est le cheval de bataille des partisans des zones à faibles émissions (ZFE). La pollution de l’air tue 48 000 personnes par an, selon Santé publique France. D’où la nécessité d’agir.

La loi « climat et résilience » du 22 août 2021 a revu à la hausse le nombre des ZFE – passées de 11 à 43 –, avec des critères à géométrie variable et un calendrier extensible. Un arsenal qui s’accompagne d’une multitude d’aides de l’Etat. En tête de gondole pour les particuliers, la prime à la conversion de 5 000 euros maximum et le bonus ­écologique qui peut s’élever jusqu’à 7 000 euros.

Emmanuel Macron a également promis, durant sa campagne présidentielle, l’instauration d’un système de « leasing social ». Un dispositif destiné aux plus modestes. Pour ces populations, la location longue durée d’un véhicule électrique coûterait 100 euros par mois. Une mesure qui, pour l’heure, reste à l’état de slogan. Le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, ­Christophe Béchu, promet néanmoins des ­dispositions en ce sens d’ici la fin de l’année.

Décarbonation des villes

Sans attendre, les collectivités et intercommunalités ont mis en place d’autres mesures de soutien. Dans la région capitale, la chambre de ­commerce et d’industrie Paris Ile-de-France a recensé les aides locales. Ainsi, la région Ile-de-France propose un montant qui peut atteindre 6 000 euros pour les véhicules électriques de moins de 3,5 tonnes. La ville de Paris (2,17 millions d’hab.) n’est pas en reste. Elle met sur la table une somme équivalente, 6 000 euros, pour le même type de voiture.

Est-ce à dire que l’accompagnement social est à la hauteur de l’enjeu considérable des ZFE, la décarbonation de la France urbaine ? Pas sûr. L’articulation entre toutes ces aides, en partie allouées sous condition de revenus, reste à réaliser. Cerise sur le gâteau, le tarif des véhicules électriques flambe avec l’explosion du prix des matières premières. Le retrofit, c’est-à-dire l’incorporation d’un moteur propre dans une voiture existante, coûte également cher.

« On aurait dû prévoir des primes beaucoup plus importantes pour les ruraux », juge le député des ­Yvelines Bruno Millienne et vice-­président (Modem) de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, lors d’un atelier-débat organisé le 14 février par l’association Equilibre des énergies. Cinq ans après leur irruption, les « gilets jaunes » hantent toujours les grandes villes.

Ces villes qui veulent frapper les propriétaires de SUV au portefeuille

« Energivores » et « ultra-encombrants », les SUV sont dans le viseur des grandes villes. Paris, Bordeaux et Lyon envisagent d’augmenter les tarifs de stationnement pour ces véhicules. Une mesure qui ne fait pas l’unanimité. Enquête.

C’est la voiture préférée des Français. Le SUV, ce véhicule doté d’une carrosserie surélevée, fait un tabac chez les concessionnaires. Il représente désormais la moitié des ventes dans l’hexagone, contre 10 % voici dix ans.

Le SUV est aussi devenue la bête noire des écolos activistes. Il est la cible d’actions commandos. Ses pneus sont dégonflés. Une petite note est déposée sous ses essuie-glaces. « Nous avons dégonflé un pneu de ce véhicule qui représente une atteinte à l’environnement. Nous regrettons de devoir en arriver à des actions touchant les particuliers. Mais pour tenter de protéger notre avenir et celui de nos enfants, nous n’avons plus d’autres choix que la résistance civile », se justifient les commandos.

Un discours qu’on entend aussi dans la bouche des écolos politiques. Sans prôner une interdiction pure et simple des SUV en ville, l’adjoint EELV à la maire de Paris chargé de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie David Belliard ne mâche pas ses mots.

« Autobésité »

« Les SUV consomment autant de gaz à effet de serre que le sixième pays du monde le plus polluant, cingle-t-il. On n’en a pas besoin à Paris. Je refuse que notre avenir et celui de nos enfants soit confisqué parce que nous aurions garanti le droit à une partie de la population d’acheter des véhicules ultra-consommateurs d’énergie. »

Un SUV pèse, en moyenne, 200 kilos de plus qu’un véhicule classique. Or, selon l’Ademe (L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), plus une voiture est lourde, plus son impact carbone est élevé. Le SUV serait, toujours en moyenne, 20 % plus polluant qu’une voiture classique. Ses détracteurs dénoncent une épidémie d’« autobésité ».

Depuis soixante ans, la population a grandi et grossi. Et les voitures encore plus. Elles mesurent 25 cm de plus en hauteur, 10 centimètres de plus en largeur et pèsent 400 kilos de plus, soit 1,2 tonne en moyenne.

« Les SUV sont hyper-encombrants. Ils gaspillent une ressource rare dans une ville aussi dense que Paris : l’espace public », dénonce David Belliard. « Ces voitures nous obligent à diminuer la taille des trottoirs et à agrandir les places de stationnement. Elles nous empêchent de faire des pistes sécurisées pour les vélos », abonde Didier Jeanjean, adjoint au maire EELV de Bordeaux chargé de la nature en ville et des quartiers apaisés.

Angles morts

David Belliard pointe aussi du doigt des problèmes de sécurité : « Contrairement à ce que dit la pub, ces véhicules ne sont pas parfaits pour la jungle urbaine. Hyper-hauts, ils ont des angles morts importants qui rendent les enfants peu visibles. »

Pour cette raison, certains parents refusent que leur progéniture pratique la petite reine. Citée dans un article du Monde, une étude du Journal of Safety Research américain indique qu’un enfant a huit fois plus de risques de mourir sous les roues de SUV que de périr du fait d’un véhicule classique.

Autant de griefs qui justifient selon les mairies de Paris, Lyon et Bordeaux une hausse du ticket de stationnement de ces voitures. A combien s’élèverait-elle ? Aucun prix n’est, à ce stade, avancé. Dans la capitale, les tarifs de stationnement flambent déjà. Pour les non-résidents, ils ont bondi de 50 % dans les onze premiers arrondissements en 2021. Le tarif à l’heure est passé de 4 à 6 euros par heure. Dans les 9 autres, il a grimpé de 2,40 à 4 euros.

Un critère de poids ?

A côté d’une tarification sociale fondée sur le quotient familial pour les résidents, Bordeaux veut cibler les véhicules qui ont une emprise plus grande sur la voirie ou un poids plus élevé. Des critères qu’on retrouve aussi à Paris. L’adjoint de la capitale David Belliard l’a dit en janvier à l’occasion des assises du financement d’Ile-de-France mobilités. Il souhaite que les nouvelles recettes dégagées soient affectées aux transports publics.

Mais de la coupe aux lèvres, il y a encore loin selon l’avocat associé au cabinet Urso, Aloïs Ramel. « La loi prévoit que le barème tarifaire du stationnement peut être modulé en fonction de la surface du véhicule ou de son impact sur la pollution atmosphérique », rappelle-t-il.

Cela signifie, à ses yeux, que le nombre de kilos ne peut être invoqué… « De quoi parle-t-on ? Du poids à vide du véhicule ou du poids avec ses passagers ? Tout cela est subjectif. Un petit SUV quatre places pollue moins qu’un coupé Porsche deux places », soupèse Aloïs Ramel.

Haro sur les véhicules électriques

Et l’avocat de rappeler que le « Sport utility vehicles » ne correspond pas à une catégorie reconnue en droit français. « Il y a, parmi les SUV, des voitures relativement anciennes, d’autres beaucoup plus modernes, des « essence » et des « diesel », des électriques et des thermiques. L’impact d’un modèle sur la pollution ne peut être analysé que de manière extrêmement fine, série par série par série, année par années, option par option », assure Aloïs Ramel, qui met en garde contre une rupture d’égalité au détriment des propriétaires de SUV.

Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste des mobilités, Mathieu Flonneau rappelle, au passage, que « le poids d’une voiture augmente avec l’électrification et les batteries ». « Cela veut dire que le nombre de véhicules visés est considérable », martèle-t-il.

Bilan des courses ? Le stationnement des véhicules électriques pourrait être plus cher, avec la taxation des SUV. Un sacré paradoxe au moment où les pouvoirs publics, Union européenne en tête, plébiscitent ces voitures, considérées comme plus propres.

Sujet explosif

« Les propriétaires de SUV ne prennent pas leur voiture par plaisir dans les rues où il est difficile de circuler, mais parce qu’ils ont une famille », ajoute Aloïs Ramel. « On est dans cette logique d’ingénierie sociale où on choisit les habitants du centre de Paris », appuie Mathieu Flonneau.

« Notre enjeu n’est pas de sanctionner tel ou tel public, mais de favoriser certains usages plutôt que d’autres », réplique David Belliard. La caractéristique première du propriétaire de SUV n’est, à ses yeux, pas son statut familial, mais sa richesse… « On parle de véhicules qui coûtent plus de 25 000 euros », glisse-t-il.

La guerre des SUV ne fait que commencer. L’exécutif se tient, pour l’heure, à l’écart du champ du tir. Dépêchée par Emmanuel Macron, la convention citoyenne pour le climat voulait taxer plus fortement les véhicules de plus d’1,4 tonne. La barre a finalement été fixée à 1,8 tonne. Cela a permis à la majorité des SUV d’échapper au couperet.

L’enjeu n’est pas seulement environnemental et urbanistique. Il est aussi économique et social. La part des voitures made in France a été divisée par deux en l’espace de deux décennies. Depuis dix ans, plus de 100 000 emplois sont partis en fumée dans l’industrie automobile. Les SUV sont les derniers modèles fabriqués dans l’hexagone. Best-seller de la catégorie, la 3008 de chez Peugeot a permis de sauver la capitale française de l’automobile, Sochaux.

Focus

Quelle harmonisation avec les ZFE ?

Dans les zones à faible émission, les SUV sont nullement ciblés en tant que tels. Les ZFE visent à interdire l’accès des cœurs d’agglomération aux vieux véhicules essence et, surtout, Diesel. Le poids et la taille des voitures n’entrent pas en ligne de compte. « Une imperfection », selon Didier Jeanjean, adjoint au maire EELV de Bordeaux chargé de la nature en ville et des quartiers apaisés. « Vous êtes tout seul dans un tank électrique, vous pouvez accéder au centre de Bordeaux. Vous êtes cinq dans une vieille voiture Diesel que vous menez à son terme, vous ne pouvez pas entrer… », expose Didier Jeanjean. Coauteur d’une mission flash sur les ZFE, le député PS de la Seine-Maritime Gérard Leseul redoute une fronde contre « la voiture des riches ». Il souhaite que le poids et la consommation des véhicules fassent partie des critères d’accès aux ZFE.

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