Le gouvernement réfléchirait à réserver une part du Livret A pour financer les nouveaux réacteurs. Une piste de réflexion qui souligne que le point crucial du nouveau programme nucléaire est en effet le coût final de l’électron, constate Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

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Centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne), le 9 février 2023.
Centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne), le 9 février 2023. MATTHIEU RONDEL / AFP

Faudra-t-il un jour choisir entre se chauffer et se loger ? Cette question est absurde au niveau individuel, mais moins à celui de l’Etat qui doit arbitrer en permanence des sujets aussi inconfortables que celui-ci. Ainsi réfléchit-il aujourd’hui, selon Les Echos, à réserver une part du Livret A, dont les 375 milliards sont consacrés essentiellement au financement du logement social, pour en investir une partie dans le nucléaire. La réflexion est pour l’instant très théorique, puisque les besoins d’argent ne se feront sentir qu’à partir de 2027, quand démarreront les chantiers des nouveaux réacteurs. De plus, il ne s’agirait que d’une part modeste de cette cagnotte, de l’ordre de 10 milliards d’euros.

Cette affaire a le mérite de mettre sur la table le véritable talon d’Achille du nucléaire, son financement. Avec deux questions. La première est : combien ? Selon les dernières estimations du gouvernement établies en 2022, il faudra compter entre 51 et 56 milliards d’euros pour les six premiers exemplaires prévus. Les coûts de financement viendront s’y ajouter, ainsi que les aléas inévitables de ce genre de chantier, ce qui in fine pourrait aboutir à près de 10 milliards par machine.

La deuxième interrogation en découle : qui va payer ? En Grande-Bretagne, où EDF construit également des EPR, le financement sera largement privé et se répercutera sur la facture des usagers. La France n’est pas chaude, d’autant que les financeurs institutionnels ne se bousculent pas non plus. D’où la réflexion sur le Livret A.

Socle prépondérant

Le point crucial est le coût final de l’électron, qui déterminera sa compétitivité, et donc sa place dans le panier électrique français. Le nucléaire a-t-il vocation à remplacer le gaz comme énergie d’appoint à un coût élevé, mais indispensable, ou constituera-t-il comme aujourd’hui le socle prépondérant de la fourniture énergétique française, y compris en remplacement des hydrocarbures dans les transports ou l’industrie ?

Pour l’instant, l’inflation des coûts du nucléaire face à la déflation accélérée du prix des énergies renouvelables plaide en faveur de la première solution, en ligne avec les derniers scénarios de l’Agence internationale de l’énergie. Mais, dans l’imaginaire, beaucoup rêvent du retour au village gaulois et gaullien, quand la France déployait sa singularité nucléaire et ses prix imbattables. La sagesse recommande aujourd’hui de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, qu’il soit renouvelable ou nucléaire.

Philippe Escande

Energie : « Qui va payer pour le nouveau nucléaire ? »